Economie • Le mirage de la compétitivité
Venue de la droite et du MEDEF, l’obsession de la compétitivité est désormais une préoccupation centrale de François Hollande et du gouvernement. Faute d’avoir relancé une véritable politique industrielle, ils ont commandé en juillet au Haut Commissaire à l’investissement Louis Gallois, un rapport sur le « défi de la compétitivité ». Or, censée redonner un avenir à l’industrie et lutter contre le chômage, la compétitivité est une illusion économique doublée d’une impasse sociale et écologique.
Un concept de droite repris par Hollande
La « compétitivité » est au cœur du discours économique de la droite depuis que Laurence Parisot en a fait sa priorité, en affirmant lors de son discours de réélection à la tête du Medef en 2010 : « le choix devant lequel on se trouve [n’est pas] relance ou austérité, mais compétitivité ou marasme ». Sarkozy en a ensuite nourri son programme économique. A travers sa « TVA sociale » faisant payer par les ménages des baisses de cotisations patronales. Mais aussi à travers sa proposition de « contrats compétitivité – emploi ». Un projet qui prétendait échanger sauvegarde de l’emploi contre baisse des droits du travail et des salaires. Une imposture dont les 1100 ouvriers de Continental ont été les cobayes de 2007 à 2009 : après avoir accepté des baisses de salaires et des dégradations de leurs conditions de travail, ils ont tous été licenciés, leurs sacrifices n’ayant servi qu’à redresser la rémunération d’actionnaires décidés dés le début à délocaliser la production. Caché derrière un enrobage de défense de l’économie du pays, le concept de compétitivité n’est donc qu’un prétexte pour obtenir une nouvelle hausse de la rémunération du capital au détriment du travail. Il a cependant été repris par François Hollande et le gouvernement qui considèrent aussi que la compétitivité serait le principal problème de l’économie française. Sur cette question, ils ne divergent de la droite et du Medef que sur la méthode et le calendrier de mise en œuvre : choc immédiat pour les uns, application étalée dans le temps pour les autres.
La vérité sur le déficit commercial Les tenants de la compétitivité brandissent « le déficit commercial » de la France pour justifier l’implication accrue du pays dans la compétition mondiale par le développement des exportations. Aucun bilan n’est pourtant jamais fait des responsabilités politiques dans le creusement de ce déficit. Or il est apparu en 2002 avec l’arrivée de gouvernements libéraux et son creusement s’est accéléré depuis 2007 et l’élection de Sarkozy. Les principaux tenants de la compétitivité sont donc des pompiers pyromanes. Et ce n’est pas le tassement des exportations qui est le principal responsable de cette dégradation mais la progression plus rapide des importations. La France produit de moins en moins ce dont son économie a besoin pour tourner. Rien que les importations annuelles d’énergie (60 milliards) représentent l’équivalent du déficit. Loin de l’illusion des gaz de schistes, cela signifie que si le pays sortait des énergies carbonées comme le propose le Front de Gauche, sa balance commerciale reviendrait à l’équilibre. |
Les exportations : une fausse solution
Miser sur la « compétitivité » pour redresser l’économie, consiste à donner la priorité aux exportations plutôt qu’à la production destinée à la demande intérieure. C’est ce que l’on appelle une « stratégie de l’offre », désormais défendue par le PS, par opposition « aux politiques de demande » longtemps dominantes à gauche. Or, quand bien même parviendrait-on à relancer les exportations françaises, que cela ne serait qu’un soutien marginal à la relance de l’activité et à la lutte contre le chômage. Tout simplement parce que les exportations ne représentent qu’à peine 20% de la richesse produite. Et c’est la part la plus aléatoire, car la plus dépendante de l’instabilité internationale, tant en terme monétaire que géopolitique. On passerait donc à côté de la relance de 80% de l’économie du pays.
C’est justement de cette impasse que les économies du Sud les plus dynamiques sont en train d’essayer de sortir. Là où l’Europe et la France s’y enfoncent au contraire en courant après « la compétitivité ». La Chine, 2ème économie mondiale, devant l’Allemagne, et le Brésil, 6ème économie, devant le Royaume-Uni, donnent désormais la priorité aux besoins de leur marché intérieur. Loin de réduire le coût du travail, ils augmentent rapidement les salaires. Cette « politique de la demande » est couplée au Brésil et en Argentine avec d’importantes mesures protectionnistes. Une stratégie clairvoyante qui a bien compris que le commerce international n’est devenu qu’une bulle parasite de la production. Dans les années 2000, les échanges mondiaux de biens et services ont progressé deux fois plus vite que la production totale. Le libre échange, loin de créer des richesses nouvelles, ne fait donc en réalité que les déplacer au détriment des droits sociaux et de l’environnement.
Impasse sociale illustrée par le « modèle allemand »
Le redressement de la compétitivité défendu par les libéraux et les sociaux-libéraux serait un désastre social. Il veut comprimer fortement les salaires et les protections sociales pour gagner des parts de marché à l’exportation en faisant baisser temporairement les prix de vente. Loin de toute visée sociale-démocrate, c’est une pure logique de dumping qui aide le capitalisme à intensifier la compétition entre les travailleurs des différents pays. Appliquée en Allemagne depuis Gerhard Schröder, cette stratégie s’est traduite par un appauvrissement rapide de la population. Le nombre de travailleurs pauvres y est désormais le plus élevé d’Europe et 70% des chômeurs sont pauvres contre seulement 33% en France. La baisse importante de l’espérance de vie en bonne santé montre aussi que ce dumping social débouche sur une aberration productive : la dégradation des conditions de vie des travailleurs fait reculer leur productivité. Et donc leur compétitivité. Le « modèle allemand » n’a donc rien d’efficace et de durable.
L’aberration écologique
Dangereuse socialement, l’obsession de la compétitivité est aussi une aberration écologique. Le développement des exportations conduirait en effet à intensifier encore les transports internationaux de marchandises et donc à accroître l’empreinte carbone de la production. Le libre échange est donc disqualifié écologiquement. En en faisant le moteur du « redressement » de l’économie, le gouvernement passerait complètement à côté de l’enjeu de la relocalisation et de la conversion écologique de la production.
Le faux problème du coût du travail
Bouc émissaire du débat sur la compétitivité, le « coût du travail » n’est pas responsable du recul de l’emploi industriel en France. Au contraire, plus on a fait baisser le coût du travail pour les employeurs, plus les emplois industriels ont été détruits. Depuis 2002 les exonérations de cotisations patronales sont ainsi passées de 19 à 28 milliards par an. Soit 215 milliards de baisse cumulée du coût du travail en 10 ans ! Résultat : 700 000 emplois industriels détruits sur la même période. C’est pourtant dans la même direction des baisses de cotisations que la droite et le PS proposent de continuer, sans aucune imagination.
France / Allemagne : les vrais chiffres Selon une enquête de l’INSEE publiée au printemps 2012, une heure de travail industriel coûtait 33,37 euros en Allemagne et 33,16 euros en France. L’heure de travail coûte donc un peu moins cher en France qu’en Allemagne. La France était aussi moins chère que la Belgique, le Danemark et la Suède. Et l’écart est encore plus frappant si on regarde uniquement l’industrie automobile, celle qui concerne PSA. Toujours selon l’INSEE, « dans l’industrie automobile, le coût horaire allemand est le plus élevé d’Europe. Il est en particulier supérieur de 29% à celui observé en France » : 43,14 euros en Allemagne et 33,38 euros en France. |
Le vrai problème : le coût du capital
Le Medef, relayé par la presse économique, répète régulièrement que « les marges des entreprises diminuent au détriment de l’investissement ». Ce diagnostic est juste sur le plan comptable. Mais il ne dit rien sur la responsabilité de cette situation. Car la « marge disponible » dépend des salaires mais aussi des dividendes prélevés par les actionnaires. Or entre le 1er trimestre 2007 et le 1er trimestre 2012, les dividendes nets versés ont progressé de 27% alors que la masse salariale ne progressait que de 12%. Cela signifie que les actionnaires contribuent deux fois plus que les travailleurs à faire reculer la marge des entreprises. Le vrai problème économique du pays n’est donc pas le coût du travail mais le coût du capital. Les dividendes prélevés par les actionnaires sur l’activité des entreprises représentaient 3,2% de la richesse nationale en 1980, ils en représentent aujourd’hui 9,3 %. Le capital coûte donc 120 milliards d’euros annuels de plus à l’économie aujourd’hui qu’il y a 30 ans. Autant d’argent de perdu pour l’investissement productif et les salaires.
Le coût de l’euro Un autre coût dont personne ne parle est celui lié aux variations du cours de la monnaie. Or depuis 2000, la valeur de l’euro a grimpé de 45%. Cela signifie que les prix des produits européens vendus en dehors de l’UE ont été renchéris d’autant. C’est Louis Gallois lui-même qui avait d’ailleurs expliqué il y a quelques années, qu’Airbus perd 100 millions chaque fois que l’euro monte de 1 centime. Il suffirait donc de dévaluer durablement l’euro pour améliorer la compétitivité. |
La quête de la compétitivité ressemble donc à un mirage. Elle prétend agir sur un moteur économique, les exportations, qui est aléatoire et disqualifié à long terme par la crise écologique. Elle contribue à désigner le coût du travail comme bouc émissaire du chômage. Pour mieux exonérer la responsabilité beaucoup plus lourde du coût du capital et de l’euro.
Laurent Maffeïs