#NoTAV • Quand la résistance se conjugue en deux langues
Voila déjà 22 ans que la population du Val de Suse se bat contre ce projet de Ligne à Grande Vitesse Lyon-Turin. Lancé en 1991, lors d’un sommet franco-italien et confirmé en 1996 par la décision instituant le réseau transeuropéen de transport, ce projet a pour horizon 2025.
L’idée était de créer une ligne de train à grande vitesse principalement destinée au transport de marchandises. Le projet supposait de creuser un tunnel. Son tracé a été maintes fois redessiné. Sa version actuelle est longue de 57 km (soit un tunnel plus long encore que le tunnel sous la Manche qui mesure 50,5 kilomètres). Il passera sous le Mont-Cenis, entre la Savoie et le Val de Suse. Selon ses concepteurs, ce projet devrait permettre de réduire d’un million par an le nombre de camions circulant dans les tunnels du Fréjus, du Mont-Blanc et de Vintimille et de raccourcir le trajet Paris-Milan à 4 heures contre 7 actuellement. La ligne, prévue pour entrer en service à l’horizon 2025, doit diminuer de moitié le trajet Lyon-Turin qui se fera en moins de 2 heures. Elle mettra Paris à un peu plus de 4 heures de Milan contre 7 actuellement.La ligne, prévue pour entrer en service à l’horizon 2025, doit diminuer de moitié le trajet Lyon-Turin qui se fera en moins de 2 heures. Elle mettra Paris à un peu plus de 4 heures de Milan contre 7 actuellement.
Si la population du Val de Suse résiste autant à ce projet c’est qu’elle n’en est pas à son premier tunnel. La Vallée a subi plus de 40 ans de grands travaux. Elle abrite déjà la ligne ferroviaire de Fréjus (1984) dont les travaux de rénovation se sont terminés fin 2010 pour permettra à des containers plus grands (4,05 mètres) de passer sous le tunnel. Elle abrite aussi l’autoroute de Fréjus (1994).
Les grands travaux et la mise en place de ces infrastructures ont eu un coup environnemental conséquent pour la Vallée qui abrite de nombreuse terres agricoles et une faune particulièrement riche et de grands lacs mis en danger.
Car les excavations des grands travaux précédents ont déjà fait disparaître une cinquantaine des sources d’eau souterraines que la montagne abrite. La perte de plusieurs sources internes du Mont Cenis et de l’Ambin aurait au passage des répercussions sur lac français du Mont Cenis et sa centrale hydroélectrique.
Outre les risques sur l’alimentation en eau, les travaux mettent aussi en danger la santé des habitants. En 2006, 103 médecins du Val de Suse ont d’ailleurs lancé un appel pour alerter les pouvoirs publics sur le sujet. En 2011, suite à la relance du projet, un nouvel appel a été lancé qui a recueilli les signatures entre 312 praticiens, chirurgiens, infirmières et pharmacien. En effet, les massifs montagneux sont riches en uranium et en amiante. Le creusement du tunnel et la dispersion des particules dans l’air mettent en danger toute la population.
Et au-delà de ça, restent les inacceptables expropriations-expulsions des habitants et agriculteurs du Val se Suse qui se succèdent depuis Mars 2012 et contre lesquelles les membres du mouvement « No TAV », renforcé par les militants de Rifondazione Comunista, les syndicats, les anarchistes et les écologistes, résiste tant bien que mal, résistent, quitte à mettre leur vie en danger ((http://fr.euronews.com/2012/02/27/italie-coma-dun-opposant-au-tgv-lyon-turin-electrocute-sur-un-pylone-) pour garder les « presidi » (ZAD en français, pour « zone à défendre »)
Si le projet était contestable à l’époque, il l’est encore plus aujourd’hui.
Il l’est d’autant plus que l’accord signé en Janvier 2001 par les gouvernements français et italien prévoyait (article 1) que la ligne ne verrait le jour que si les services existant arrivaient à saturation
Or c’est loin d’être le cas. De fait, l’utilisation de la ligne ferroviaire existante décline régulièrement depuis le début des années 2000. Ces dernières années, on estime qu’elle n’est utilisée qu’à un quart de ses capacités! Et n’allez pas croire que ce soit au profit de l’autoroute. Celle-ci aussi voit la fréquentation des camions de marchandises diminuer. Elle a baissé de 12% entre 2005 et 2008 et continue de baisser à rythme constant.
Cela n’empêche pas le gouvernement de Monti d’expliquer que «Le TGV Lyon-Turin permettra de soulager la vallée d’un lourd transport sur route fortement polluant». Tous les prétextes sont d’ailleurs bons pour faire croire que le fret ferroviaire doublerait avec cette nouvelle ligne. On se voit ainsi expliquer que le nouveau tunnel, plus haut, permettra de faire passer des containers plus grands. Mais c’est faire fi du fait que les capacités de la ligne ferroviaire actuelle ont été mises au gabarit et sont suffisantes pour absorber ce trafic. L’argument selon lequel le nouveau tunnel permettrait de faire passer des conteneurs de 4,20 mètres au lieu de 4,05 mètres a une portée limitée : on estime que l’effort ne permettrait une hausse du report modal que de 3% à peine.
Aux risques pour l’environnement et la santé, aux expropriations et au manque de justifications techniques s’ajoute un coût prohibitif pour les pouvoirs publics difficilement explicable en cette période d’austérité budgétaire. En effet, le coût total du chantier est évalué à plus de 26 milliards d’euros (dont seul 40% du cout de base, estimé à 8,5 milliards d’euros, sera financé par l’UE)! Sans parler des contours flous des plans de de financement qui laissent largement planer le doute sur les bénéfices que pourraient en tirer les mafias qui ont trop souvent la mainmise sur le BTP côté italien.
Côté français, la Cour des Comptes a confirmé le 5 novembre 2012 la baisse de trafic entre la France et l’Italie, la sous-évaluation du budget de base, l’absence de maîtrise des coûts, la sous-utilisation de la ligne existante et le fait que la saturation de la ligne existante, condition de l’accord franco-italien de 2001 n’était pas acquise. Elle a aussi dénoncé le fait que « le pilotage de cette opération ne réponde pas aux exigences de rigueur nécessaires (…) rendant difficile les financements publics » Elle a par ailleurs insisté sur la « faible rentabilité socio-économique » du projet et a même recommandé de ne pas « fermer la porte à l’amélioration de la ligne existante » qui a été écartée sans justification.
L’argument socio- économique objecté par la Cour des Comptes française mérite qu’on s’y intéresse de très près. Car l’argument de l’emploi est souvent avancé par les promoteurs du projet. Car les 10 000 emplois promis de part et d’autre des Alpes doivent être revus à la baisse au vu de l’expérience acquise mais en plus la plupart de ces emplois ne seront pas pérennes. Quant au développement que cela suppose pour la région, il est particulièrement discutable. Est-ce l’intérêt des citoyens français et italiens que d’habiter une zone de passage ? Pourquoi privilégier une ligne de ce type alors que la plupart des habitants demandent plus de transports publics accessibles pour leurs trajets quotidiens et qui seraient utiles aux touristes et créeraient plus d’emplois durables ?
Autant de raisons que les dirigeants européens refusent d’entendre. Côté italien, les travaux ont déjà . Une galerie de reconnaissance de 7,5 km a été creusée. Côté français on en compte déjà trois dans lesquelles 800 millions d’euros ont été investis.
Une répression inadmissible de part et d’autre des Alpes.
Dans le Val de Suse les manifestations et occupations sont violemment réprimées notamment depuis le mois de Février 2012. La manifestation monstre (70 000 personnes marchant de Bussolin à Suse) a subi les charges violentes des carabinieri. Avec le début des expropriations début Mars 2012, le Val de Suse ressemble de plus en plus à une zone militarisée. La police est partout : obligation de laissez-passer pour accéder aux terrains agricoles, contrôles incessant, sans parler des barbelés qui font désormais partie du paysage. Les démantèlements des « presidi » (ZAD) sont de plus en plus violents et les arrestations nombreuses.
Côté français la liberté d’expression n’est pas plus respectée que dans l’Italie de Monti. Les bus de militants No TAV italiens venus le 1er Décembre dernier participer à l’avant sommet franco-italien du 3 Décembre se sont vu interdire le passage de la frontière.
Le 3 Décembre, le millier de manifestants italiens et français notamment qui étaient parvenus à Lyon pour le rassemblement Place Brotteaux contre le projet découvrent la liberté d’expression version Hollande. Après mains barrages policiers sur leur route, les italiens n’ont pu arriver qu’à 15H30 à un rassemblement prévu à 12H. A leur arrivée, la place était quadrillée par un impressionnant dispositif de CRS qui empêchaient toute circulation des militants depuis le matin. Aucune négociation, malgré les demandes réitérées notamment de militants du Parti de Gauche, n’a été possible. A 18H, impossible de repartir : les CRS ont voulu contrôler tout le monde. Les militants ont été frappés à la matraque et la place enfumée de gaz lacrymogènes que les militants puissent en sortir. Une méthode qui rappelle le dispositif mis en place le 21 Octobre 2010 dans la même ville sous les ordres d’un autre gouvernement comme le dénonce le collectif du 21 Octobre (http://www.collectif21octobre.fr/news/breve.php?val=49_on+change+gouvernement+pas+methode) . Les militants non lyonnais ont même été poursuivis jusque dans les bus à l’intérieur desquels les CRS lancent des gazs lacrimogènes !
François Hollande et Mario Monti, sourds aux revendications comme à l’accoutumée.
L’étouffement de la manifestation a été efficace. La presse ne s’est fait l’écho que de la rencontre entre de président du conseil de fait, Mario Monti, et François Hollande. Tous deux ont validé la signature de l’accord intitulé «déclaration commune relative au tunnel Lyon-Turin» convenue par leurs ministres des Transports. Cet accord valide le projet de LGV sur la base du budget initialement prévu et largement sous-estimé de 8,5 milliards d’euros et convient de la répartition suivante des dépenses: 2,9 milliards d’euros pour l’Italie, 2,2 milliards pour la France, le reste (40%) étant en principe apporté par le budget européen. Rien n’est dit des 18 milliards restants, évidemment.
Le Parti de la Refondation Communiste (PRC) et le Parti de Gauche (PG) condamnent la criminalisation de l’opposition au projet, les entraves à l’expression des citoyens italiens et français opposés au projet et la répression dont ils ont été victimes.
Le PRC demande l’abandon total et immédiat du projet.
Le Parti de Gauche demande a minima un moratoire permettant la réévaluation du projet par des cabinets indépendants de la maîtrise d’ouvrage et aux citoyens. Il soumet aussi et surtout au débat les propositions alternatives suivantes :
– financement alternatif de l’autoroute maritime méditerranéen avec des bateaux de transport issus des chantiers navals français et la valorisation des infrastructures portuaires : le report sur autoroute maritime des poids lourds circulant sur la côte méditerranéenne réduirait le trafic de 700.000 camions au passage de Vintimille pour un coût 50 fois inférieur au projet Lyon-Turin
– financement alternatif de l’autoroute ferroviaire Nord-Sud : sillons Espagne-Belgique, Espagne-Allemagne-Suisse de traversée de la France via Lyon avec la rénovation de ces sillons – dont le sillon Lyon-Turin – pour leur permettre la montée en charge.
– taxation du tonnage à vide à partir de 16 T puis progressivement jusqu’à 18 T pour accompagner la montée en charge des sillons de ferroutage Nord-Sud.