L’ Humanité • Walter Butler, actionnaire de Virgin et oligarque à la française

Butler

Les regards se tournent vers lui. Les représentants syndicaux n’ont d’yeux que pour leur actionnaire ­majoritaire. 
Un pirate spécialisé dans le rachat d’entreprises en difficulté et qui, bien souvent, s’échappe sans payer l’addition.

«À Butler de payer l’addition ! » À l’heure où la menace d’une cessation de paiement plane sur l’ensemble du groupe Virgin Megastore en France, les salariés se tournent vers leur actionnaire majoritaire, ­Walter Butler, qui, à travers ­Butler Capital Partners, contrôle 74 % des actions (contre 20 % à ­Lagardère et 6 % à Virgin Mobile France, le groupe de Geoffroy Roux de Bézieux). Ce mardi, un représentant du fonds d’investissement doit participer à la réunion du comité d’entreprise. Le discret spéculateur réussira-t-il une fois de plus à rester confortablement installé dans l’ombre et à échapper à ses responsabilités dans le désastre qui s’annonce ?

Un capitalisme d’état

Caricature parfaite du petit oligarque à la française, Walter Butler, devenu inspecteur des finances à sa sortie de l’École nationale d’administration en 1983 (promotion Solidarité, en hommage à Lech Walesa), n’aura pas servi l’État bien longtemps… avant d’aller se servir à l’occasion, bien souvent, des vagues successives de privatisation.

Lors de la première cohabitation, entre 1986 et 1988, il entre au ­cabinet de François Léotard, le ministre de la Culture, en tant que conseiller pour l’audiovisuel : il conduira notamment le processus de privatisation de TF1. Pour celui que ­Dominique de Villepin a aidé à préparer le concours d’entrée à l’ENA, voilà de quoi étayer encore son carnet d’adresses: Francis Bouygues, Jean-Marie Messier qui s’occupe des privatisations au cabinet d’Édouard Balladur, Dominique Bussereau et ­Dominique Ambiel, tous les deux proches de Jean-Pierre Raffarin… Après la défaite de la droite, Walter Butler part se ­réfugier dans la banque d’affaires Goldman Sachs aux États-Unis. C’est dans cet établissement extrêmement célèbre désormais que le haut fonctionnaire se transformera en pur financier. 
« Goldman, c’est là que j’ai ­appris à lire, à écrire et à ­compter dans les affaires », glissera-t-il quelques années plus tard dans l’Expansion.

Revenu en France au début des années 1990, il fonde avec le concours de l’un des parrains du capitalisme français de l’époque, Bernard Esambert, le patron de la banque d’affaires Roth
schild, son propre fonds d’investissement. Très vite, Walter ­Butler devient un spécialiste du 
« retournement »: selon la ­légende, il achète des entreprises en difficulté, les redresse et les revend en faisant la culbute; en pratique, il s’empare aussi de lambeaux d’entreprises publiques à prix cassés qu’il revend ensuite à prix d’or. L’homme est bien introduit dans les rouages du capitalisme d’État: il bénéficie des conseils d’Alain Minc et surtout de la protection de François Pinault, le puissant patron de PPR qui le fera rentrer au conseil d’administration de la Fnac et lui remettra la Légion d’honneur en 2004.

Les cercles du pouvoir

Dans ses opérations, opaques pour la plupart, ­Walter Butler profite de sa proximité avec les cercles du pouvoir. En 2006, alors que de nombreux observateurs dénoncent un bradage, il devient l’actionnaire majoritaire de la SNCM, la compagnie privatisée qui assure les liaisons entre la Corse et le continent, et quelques années plus tard, il revend en empochant cinq fois sa mise de départ.

À la Sernam, l’issue est un peu différente, même si, là aussi, ça sent le pactole pour Butler: après avoir racheté pour une bouchée de pain (on parle de 10 millions d’euros) le secteur messageries de la SNCF, non sans que l’entreprise publique ne le renfloue à hauteur de 500 millions d’euros, le spéculateur finira par transférer à la collectivité la charge du plan de social en mettant la boîte en redressement judiciaire, avant que la SNCF, via sa filiale de logistique Geodis, ne vienne, début 2012, racheter les derniers morceaux… Chez Virgin, Walter Butler se sauvera-t-il encore sans payer l’addition ?

Virgin déjà retoqué en justice. C’est une épine dans le pied du fonds d’investissement Butler. En mai dernier, le tribunal de grande instance de Paris a donné raison au comité d’entreprise et au syndicat SUD, qui contestaient la façon dont Virgin avait lancé des plans de licenciement distincts pour la fermeture de ses magasins de Metz (janvier 2012) et Toulouse (mars 2012). Le tribunal a estimé que Virgin devait reprendre la procédure à zéro et fournir une « information complète et loyale » sur la stratégie de l’entreprise. Il a aussi souligné que la situation économique justifiant ce plan devait s’apprécier au niveau du groupe Butler, et non de la seule entreprise Virgin. L’affaire sera examinée en appel le 28 janvier.

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