Parti de Gauche de l’Essonne • Le train suisse du RER C

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J’ai participé cette semaine à un comité de ligne du RER C assez surréaliste. Il faut que je vous en dise un mot avant d’en venir au mystérieux train suisse auquel le titre de ce billet fait référence. Je ne suis pas sûr que vous sachiez ce qu’est un comité de ligne. Et pourtant, cette instance est présentée comme une grande avancée de la « démocratie participative » dans les transports. Cette grandiose conquête démocratique est assez intermittente, il faut bien le dire, puisque la périodicité normale de ses réunions est d’une fois tous les 18 mois. On y fait le bilan de l’année passée, puis on y évoque les évolutions prévues à court, moyen et long terme. Ce soir-là, tout devait être expédié en deux heures (!) au terme desquelles le vice-président de la Région a retenu, pour s’en féliciter, que la discussion n’avait pas été émaillée d’injures. Cela semblait constituer un événement d’une grande nouveauté. J’en déduisis que les objectifs de la soirée étaient assez modestes.

Dans la salle, quelques représentants d’associations. La plus présente dans les débats est sans conteste Circule. Les autres participants, très majoritaires, sont des élus : des maires comme celui d’Epinay-sur-Orge ou d’Ivry-sur-Seine, des adjoints aux transports (j’ai repéré ceux de Sainte-Geneviève-des-Bois et Saint-Michel-sur-Orge), des conseillers généraux ou régionaux, dont Marie-Christine Carvalho de Morsang-sur-Orge. Il n’y a, notez-le, aucun représentant des salariés de la ligne. Ils ne sont ni membres ni invités. C’est à la fois un symbole (la « démocratie participative » qui s’arrête aux portes des entreprises) et une belle bêtise sachant qu’ils sont souvent les mieux placés pour connaître les difficultés concrètes d’exploitation de la ligne.

A la tribune, de gauche à droite, le responsable du RER C, côté RFF (réseau ferré de France) et le directeur de cette même ligne, côté SNCF. Plouf et chocolat, dirait Jean-Luc. Puis, derrière une table séparée de la précédente par le grand écran du pauoueur-poïnt, le vice-président de la Région et deux cadres du STIF (syndicat des transports d’Ile-de-France) que ce vice-président vice-préside également. Cela fait beaucoup de responsables. Il n’y a donc aucun responsable. Ainsi va la « gouvernance » du transport ferroviaire dans le nouveau monde des libéraux. Personne ne dirige vraiment là-dedans. Pas la peine, le marché doit s’en charger !

Le plat de résistance de ce comité de ligne, c’est la réforme des horaires pour 2014. D’un côté, les élus d’Ivry et Vitry veulent augmenter la fréquence des dessertes dans ces deux gares. Ils ont de solides arguments : l’augmentation forte du nombre de voyageurs qui y prennent le train. De l’autre, les élus du Val-d’Orge ne veulent pas rallonger les temps de transports vers Paris. Ils ont de solides arguments : les conditions de transport particulièrement inconfortables des valdorgiens obligés de faire chaque jour l’aller-retour vers Paris. Les uns dénoncent l’égoïsme de la grande couronne. Les autres vitupèrent contre les « privilèges » de la petite couronne. C’est donc à ce moment là que ça devait saigner.

Le vice-président annonce avec frayeur le bain de sang et multiplie les appels au calme. Puis la SNCF présente la solution techniquement équilibrée qu’elle a mitonnée. Un arrêt de plus au quart d’heure pour les uns… c’est mieux que rien. Une minute de temps de transport supplémentaire pour les autres… ça aurait pu être pire (on parlait d’un passage systématique en omnibus!). Chacun s’est battu contre le voisin, montrant les dents. La miette arrachée n’en pèse que plus lourd. Tous crieront victoire au retour. La discussion dure néanmoins. Le conseiller général de Villeneuve-le-Roi veut un engagement écrit à ne pas dépasser la minute. Le cadre de la SNCF lui répond que de toute façon les grilles horaires sont théoriques. On avait remarqué ! Plusieurs intervenants rétorquent que cette fameuse minute s’ajoute à trois autres minutes anticipées dans les grilles horaires 2012. Ce n’est pas faux leur concède-t-on. Puis, après un dernier appel du vice-président à respecter non seulement les uns et les autres mais aussi l’horaire prévu, la réunion passe aux projets à long terme. Ce dernier point est rapide : les grands projets d’avenir tels que le sextuplement des voies sont suspendus à des décisions qui ne sont pas encore prises. Elles semblent ne dépendre de personne dans la salle. Quelque part sans doute quelqu’un barrera ces projets au nom de l’austérité. La tension retombe. L’orage est passé. Bon travail ! La SNCF a trouvé le moyen de moyenner et le vice-président a habilement présidé.

C’est donc tout ? Si vous êtes un usager du RER C, vous ne pouvez ignorer que des travaux avaient débuté cette même semaine où le comité de ligne discutait du nombre de minutes que durera la minute supplémentaire. La durée prévue de ce chantier est de 6 semaines. Cela représente plus du dixième d’une année, vacances comprises. Pendant ces six semaines, ce n’est pas une minute supplémentaire que doivent endurer les usagers du Val d’Orge. Ce sont huit trains supprimés à l’heure de pointe du matin et huit à l’heure de pointe du soir. Quand tout va bien ! Vendredi dernier, plusieurs trains matinaux ont été annulés de manière imprévue. L’ampleur de la « gêne occasionnée » méritait qu’on en parle. J’en ai donc parlé. Le représentant de RFF a dû concéder qu’il y avait là « une question ». Je traduis à l’attention des non spécialistes des comités de ligne ce terme également utilisé par son collègue de la SNCF (il leur reste au moins un langage commun, ça sera utile quand nous rétablirons l’unité des deux entreprises). En français courant on appellerait cela un problème. Avec une grande franchise, le chef de RFF en admit même deux.

Premier problème : l’état du réseau. Pendant que l’on caresse mélancoliquement les bénéfices qu’apporterait un sextuplement des voies malheureusement incompatible avec l’austérité, les quatre voies existantes pourrissent sur pied. J’exagère ? Les travaux actuellement engagés étaient urgents me confirme-t-on. Il s’agit d’une portion de voie de huit kilomètres, entre Paris Masséna et Choisy, qui n’a pas été rénovée depuis 1972. 40 ans à se faire rouler dessus, pour des traverses en bois, c’est long. Du coup 15% des traverses en question étaient défectueuses. Si l’on avait attendu davantage, il aurait fallu imposer des réductions de vitesse voire arrêter le trafic. Et désorganiser les transports à l’échelle du pays tout entier puisque passent sur ces voies le RER C, des trains grandes lignes et même le TGV. Hélas cette portion n’est pas un cas isolé. L’an dernier, déjà, des travaux « de rénovation des voies et du ballast » avaient dû être engagés en catastrophe. Menés en plein mois d’hiver, ils avaient accumulé les déboires et pris beaucoup de retard. Du coup, tout n’a pu être fait. Ce qui veut dire qu’il faudra reprendre là où ils s’étaient arrêtés. En urgence à nouveau.

Pour ne pas réitérer cette désastreuse expérience, la SNCF et RFF ont pris une mesure inédite pour venir à bout du tronçon Masséna-Choisy. Récapitulons. C’est la SNCF qui utilise le réseau. Mais elle ne l’entretient pas depuis que l’exploitation et le réseau ont été séparés (un néolibéral se reconnaissant au fait qu’il préfère séparer les activités de la SNCF que celles des banques). La SNCF loue ses « sillons » à RFF. C’est ce dernier qui est chargé d’entretenir les voies. Mais RFF n’a pas les équipes pour mener à bien les travaux de rénovation. Il se tourne donc vers SNCF Infra qui est une branche de la SNCF. Vous suivez ? Il le faut parce que ce n’est pas encore fini. En effet, SNCF Infra n’a pas non plus les moyens de traiter en un temps raisonnable un chantier aussi conséquent. Même avec les sous-traitants auxquels elle recourt abondamment. Elle décide d’utiliser un train-usine qui permettra de mécaniser les opérations. Or elle ne possède pas de train-usine suffisamment performant. Il faudrait le concevoir, l’entretenir, s’en servir sur l’ensemble du réseau national, toutes choses mal vues à l’heure de l’externalisation et de la régionalisation. Elle loue donc le train-usine aux Suisses ! La Suisse, avec son réseau ferroviaire de 5000 km, vient au secours, contre rétribution, de la France et ses 30000 km de lignes. Bien sûr, il faut que le train suisse soit disponible. C’est-à-dire que les Suisses n’en aient pas besoin. Ils nous laissent leur bijou l’hiver parce que l’hiver, ils ont mieux à faire que de réparer leurs voies. Peut-être nous font-ils un prix « basse saison » ? Du coup nous n’avons qu’à espérer qu’il n’y ait pas un nouveau coup de froid. Si l’essence gèle une nuit, non seulement les travaux sont suspendus mais c’est le trafic du lendemain qui en prend un coup.

Quand je lui demande, sans vouloir nuire aux Suisses, si la SNCF ou RFF n’auraient pas usage à demeure d’un tel équipement, le ponte de RFF admet qu’il y a là une autre « question ». Il reconnaît qu’il fallait aller vite. Il pense qu’économiquement cela pourrait s’examiner. Et il ajoute qu’il aurait fallu en outre passer par une homologation. J’avoue que je ne mesure pas complètement l’immense complexité de la chose. Je me dis juste, de peur de l’oublier, que ce sont les mêmes qui ont inventé le TGV. Apparemment ils ont réussi à homologuer cette invention puis à rentabiliser cet investissement considérable. Mais c’était encore le service public à l’ancienne. Il n’y a plus que les Suisses qui fonctionnent comme cela !

Lecteur usager du RER, te voilà prévenu. L’an prochain il faudra remettre d’autres portions de voie sur le métier. On compte déjà 50 semaines de travaux par an. Il faudra aussi redemander un créneau aux Suisses. Espérons qu’ils continueront à louer leur train ! Sinon nous serons obligés de leur emprunter des ânes.

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