Peillon, de la division à la soustraction

manif_rythmes_scolaires« Lorsqu’on croit que les masses ne peuvent être achetées qu’avec des pourboires, on finit par perdre [leur] confiance et le respect de ses adversaires ; on ne gagne rien, mais on perd tout ». Vincent Peillon ferait bien de méditer cette sentence de Rosa Luxemburg à l’heure où il cherche à diviser le mouvement qui s’est levé contre sa réforme des rythmes scolaires et plus généralement contre sa loi d’orientation scolaire en octroyant aux enseignants du premier degré une prime annuelle de 400 €.

Fin janvier, Vincent Peillon faisait d’abord sortir les aboyeurs du PS et les médiacrates pour taxer les enseignants de corporatisme. La ficelle un peu grosse, et surtout largement élimée par la Droite, ne suffisait pas à opposer enseignants et parents. Deuxième tentative quelques jours plus tard. Alors que la question salariale dans la fonction publique vient d’être balayée d’un revers de manche par le gouvernement, Vincent Peillon propose maintenant un troc aux seuls enseignants du primaire, le secondaire étant de fait doublement oublié, dans la réforme comme financièrement. Le Ministre est hors-sujet. Les enseignants n’attendent pas une aumône de sa part. Ce n’est pas d’une prime dont ils ont besoin mais d’un salaire à la hauteur du service qu’ils rendent à la Nation, un salaire qui leur permette de vivre dignement de leur travail et les mette à distance des intérêts individuels et clientélistes.

A trop vouloir diviser, le Ministre a fini par soustraire. Alors même que le principe d’une réforme des rythmes faisait l’unanimité dans la communauté éducative, et continue d’ailleurs à la faire tant cette évolution est nécessaire, le Ministre s’enferme dans la solitude et cherche à passer en force comme en témoigne le dédain méprisant affiché suite à l’avis négatif rendu par le Conseil Supérieur de l’Education (CSE) sur son décret.

N’en déplaise au Ministre, ce que demandent les enseignants avec le reste de la communauté éducative, c’est une réforme qui engage enfin les ruptures nécessaires avec la casse méthodique orchestrée depuis 10 ans. Ce qu’ils demandent, c’est une refondation de l’école qui permette la réussite de tous les élèves. La réforme des rythmes scolaires aurait dû permettre de repenser la place de l’enfant dans la société et le rôle de l’école dans sa construction. A quoi sert l’école ? Voilà l’impensé permanent de Vincent Peillon qui traverse tant les rythmes que la loi d’orientation. Les savoirs et les apprentissages sont-ils purement utilitaristes ou visent-ils à l’émancipation ? Comment peut-on rendre la vie en collectivité épanouissante ? Qu’est-ce que cela présuppose en termes d’organisation ?

Au-delà du manque d’ambition, ce sont les capitulations idéologiques de l’égalité des chances et du socle commun contenues dans la loi d’orientation qui se déclinent jusque dans la réforme des rythmes et en font une nouvelle occasion manquée. La réforme des rythmes scolaires version Peillon entérine cette idée d’une école à plusieurs vitesses. En rejetant dans le temps périscolaires des activités et des apprentissages qui doivent être proposés à tous, cette réforme segmente les savoirs, sert de prétexte pour sortir de l’école les disciplines émancipatrices qui doivent être proposées à tous les enfants pour leur fournir un haut niveau de culture commune et ouvre un petit peu plus la porte à la marchandisation de l’éducation. L’école à la carte Peillon est une atteinte au fait que tous les enfants sont capables d’apprendre.

Parallèlement, la réforme des rythmes version Peillon fait fi de l’égalité républicaine entre les élèves et entre les territoires. L’école publique, parce qu’elle est l’outil de la Nation, doit s’adresser de la même façon à tous les élèves. Elle ne peut être dépendante comme le souhaite le Ministre de la volonté des collectivités locales ! Le caractère national de l’école n’est pas négociable ! La gratuité non plus. En étant laissée au libre choix des collectivités locales, l’école ne serait plus gratuite et elle ne pourrait donc plus être obligatoire. Quelle régression !

La réforme des rythmes version Peillon ne peut être déconnectée du nécessaire changement plus global de la société. Impossible de partir des besoins de l’enfant si le choix n’est pas fait de rompre avec la précarité et la flexibilité. Le gouvernement ne peut pas le 11 janvier 2013 apporter sur un plateau estampillé Medef un accord de flexibilité-compétitivité sur l’emploi que seuls des syndicats qui ne représentent à peine un tiers des salariés signent, et dans le même temps prétendre agir dans l’intérêt des enfants. Le temps de l’enfant ne peut pas être dissocié de celui du salariat ni de celui de la famille !

Dans ces conditions, on comprend qu’il y ait un si grand dénominateur commun contre la réforme Peillon. Plutôt que raturer, le Ministre doit retirer son décret et s’atteler avec les différents acteurs à sa réécriture tant la version actuelle est porteuse de danger pour l’école de la République. Il doit surtout enfin commencer à envisager l’école sous l’angle de l’égalité et de l’émancipation.

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