« Ecosocialisme : Un autre monde existe, il est dans celui-ci »
Intervention de Corinne MOREL DARLEUX au Congrès du Parti de Gauche (Bordeaux, 24 mars 2013)
Il y a un peu plus de quatre ans, en 2008, nous lancions ensemble le pari fou et exaltant d’un parti creuset alliant le meilleur de toutes les traditions de la gauche socialiste, écologiste et républicaine. En 2012, notre candidat Jean Luc Mélenchon écrivait : « les idées de l’objection de croissance nous interpellent tous, parce qu’elles viennent percuter le socialisme, une certaine tradition marxiste. » Et il ajoutait : « Le nouveau courant progressiste que nous incarnons élargit son enracinement intellectuel »… Il avait raison ! Aujourd’hui, en 2013, le congrès de notre parti fait de l’écosocialisme son projet politique et s’inscrit ainsi dans la lignée inédite et combinée de Jaurès, Marx et Gorz. Camarades, il y a des moments de bonheur en politique, et celui que nous sommes en train de vivre en est un. Je le dis solennellement et avec émotion. Car je crois profondément que l’écosocialisme est l’avenir de notre Gauche, et qu’il en va des conditions de l’humanité même.
Vous le savez, voilà des mois que nous travaillons à ce projet, avec les premières Assises pour l’écosocialisme que nous avons organisées le 1er décembre 2012 à Paris en présence de nombreuses personnalités, associations, syndicats et revues. Puis, face au succès de cette première édition, il a été décidé d’en faire un processus permanent, co-organisé par un comité national, et je salue d’ailleurs aujourd’hui les membres de ce comité qui sont présents (nos camarades Mathieu Agostini, Guillaume Etiévant, Laurent Maffeis, mais aussi Janette Habel et celles et ceux qui se sont excusés de ne pouvoir être parmi nous, Paul Ariès, Susan George, Michael Lowy, Matthieu le Quang, D aniele Obono ou encore Jacques Lerichomme…). Notre Manifeste et ses « 18 thèses pour l’écosocialisme » est à la fois le premier résultat et le tout début de ce processus politique. Il intègre plus de 130 amendements reçus lors de la première phase de débat fin 2012, et a déjà été présenté à Nice, Marseille, dans l’Héraut, à Londres et au Maghreb, comme en témoignera Nabila Mounib, secrétaire générale du PSU marocain que j’aurai le plaisir d’accueillir dans un instant, et bientôt à Clermont Ferrand, dans l’Aveyron, en Champagne Ardennes, Poitou-Charentes, au Havre, à Grenoble, Valence, Lyon, Toulouse, Rennes, Toulon, dans le Doubs, à Brest, Chambéry, Périgueux, dans l’Essonne, l’Aude, le Gard, et les Pyrénées Orientales ! Il sera de nouveau discuté à l’occasion de la deuxième édition nationale des Assises en décembre de cette année et a déjà été traduit en espagnol, grec, arabe, italien, anglais, allemand, polonais, portugais et japonais pour être transmis aux personnalités et organisations avec lesquels nous sommes en lien à l’international. Dès la semaine prochaine, nous allons le présenter également au FSM à Tunis, et nous sommes en contact avec les Green Left en Grande Bretagne, ou encore le Réseau écosocialiste du Québec qui vient de se monter. Notre ami Michael Lowy est en ce moment même en train de le présenter aux États-Unis…
Bref vous le voyez, c’est un bel élan qui s’est mis en place autour de ce projet depuis plusieurs semaines. Mais en réalité, camarades, cela fait 4 ans que nous y travaillons, depuis la création du PG. Car finalement tout notre discours sur l’écologie politique et le refus du capitalisme vert, le lien systématique entre luttes sociales et environnementales, c’est bien ce même creuset entre un socialisme débarrassé du productivisme et une écologie farouchement anticapitaliste. En somme, tels des monsieur Jourdain de la politique, nous faisons de l’écosocialisme sans le savoir depuis le début ! Mais il nous fallait nommer ce projet, oser le définir et lui donner vie. Car nous avons, certes, par nos prises de position et notre présence dans les luttes, prouvé notre détermination à ne pas courber l’échine et à être du côté de celles et ceux qui résistent. Mais rompre avec le système implique également de provoquer un élan populaire autour d’un nouveau projet mobilisateur fait d’espoir, de bien vivre et de jours heureux. Pour construire une alternative politique à la droite, à l’extrême droite et aux libéraux en tout genre, nous avons besoin d’un projet qui donne à voir qu’une autre société est possible, pour que la colère qui s’accumule dans notre pays ne bascule pas du côté de la haine. Construire ce projet est un investissement politique essentiel pour l’avenir de notre gauche, en France et à l’international. Car le socialisme a ignoré la dimension écologique de son projet d’émancipation et n’a pas vu que la finitude des ressources naturelles nous menait doit dans le mur. Et l’écologie de son côté a eu un peu trop tendance à oublier l’analyse économique du système et à regarder de loin les luttes sociales.
Et hélas on est bien loin d’un programme écosocialiste aujourd’hui quand ce gouvernement qui se dit « socialiste » envoie des CRS matraquer les salariés d’Arcelor Mittal devant le Parlement européen, qu’il laisse le Medef faire la loi avec l’ANI, et exclut de la loi d’amnistie sociale les défenseurs des migrants et de l’environnement… Ce gouvernement dont une composante se dit « écologiste » mais n’hésite pas à se féliciter de la confirmation par Hollande du report de la fermeture de Fessenheim à 2016 ! Pardon, mais que ce soit en matière de social ou d’environnement, on ne peut pas dire que le changement soit très clair. Et qu’on ne vienne pas nous raconter que c’est une question de budget contraint ! Le projet insensé d’aéroport à Notre Dame des Landes, c’est 131 millions pour l’État. La douteuse et coûteuse ligne à grande vitesse Lyon-Turin : 8,5 milliards. L’absurde et dangereux site d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure : 35 milliards !… Et pourtant, ils ne trouvent pas 1 milliard pour nationaliser Florange, préserver les emplois et une ressource sidérurgique essentielle pour produire l’acier dont nous avons besoin ici ! Et pourtant, rien n’est fait pour anticiper la raréfaction du pétrole, planifier la reconversion de l’outil industriel et préserver les emplois ! Où est la stratégie industrielle ? Où est la transition ? Où est la volonté politique ? Où est, surtout, l’alternative ? Elle est chez nous, les écosocialistes.
Et ce n’est pas un à-côté de nos politiques. Car il en va de la vie même sur Terre. Dérèglement climatique, perte de biodiversité, pollution de l’air, de l’eau et des sols, épuisement des ressources naturelles… Nous ne devons jamais oublier qu’il n’y a qu’un seul écosystème humain, qui ne connaît pas de frontières. Nous l’avons vu avec la marée noire du Golfe du Mexique ou Fukushima : les décisions prises à un endroit de la planète ont des répercussions partout ailleurs. Or le capitalisme et son productivisme ont un intérêt contraire à sa préservation : produire toujours plus, vendre toujours plus, pour toujours plus de profits. Ce sont donc toujours plus de pollution, de prédation sur les ressources naturelles et d’exploitation sociale. Pour préserver nos biens communs et garantir nos besoins fondamentaux, nous devons sortir des logiques de marché et de profits individuels. Une fois de plus, si eux ne savent pas, nous on peut ! Et on le prouve, cartes sur table. Dès la première année, le contre budget du PG permet de dégager plus de 130 milliards d’euros supplémentaires. Voilà de quoi mettre en place les investissements écosocialistes qui s’imposent : 55 milliards € pour partager les richesses et abolir l’insécurité sociale. 16 milliards € pour la planification écologique et l’agriculture paysanne. plus de 16 milliards d’euros pour la création d’un pôle public de l’énergie, les énergies renouvelables, la sortie du nucléaire et un plan pour le transport ferroviaire… Nous avons les moyens de mettre en place un vrai projet écosocialiste.
Il faut maintenant convaincre, et le Manifeste est un des outils à notre disposition. Nous avons d’ores et déjà démonté l’illusion du triptyque : relance de la croissance – consommation – redistribution des richesses. Et nous savons aujourd’hui qu’une croissance infinie dans un monde fini est au mieux une vue de l’esprit, au pire un suicide civilisationnel. Nous avons réussi à inverser dans un nombre d’esprits grandissant la logique traditionnelle de l’offre et la demande. Car l’antiproductivisme, c’est tout simplement ça : cesser de raisonner en termes de production à écouler sur le marché, où peu importe ce qu’on produit, comment et où, mais au contraire repartir des besoins sociaux, et non de ceux des actionnaires. Il nous reste à questionner et approfondir l’articulation entre l’Etat et les citoyens, entre le national et le local, à aller plus loin sur la notion de propriété privée, notamment des moyens de production. Démondialisation et protectionnisme solidaire, dotation inconditionnelle d’autonomie et salaire socialisé, coopératives et autogestion… sont autant d’horizons de débats que nous devons approfondir. Il nous faut également réfléchir à la réduction drastique du temps de travail, en réinterrogeant le fameux slogan « travailler moins pour travailler tous » car rien ne sert de travailler plus que le temps nécessaire à produire ce qui nous est nécessaire.
L’écosocialisme, vous le voyez, nous permet d’avoir une vision systémique, à la fois sur les questions d’environnement mais aussi de modèle industriel, économique, et de démocratie sociale. Voilà ce que nous avons décliné en 18 thèses dans ce Premier manifeste qui vient de paraître chez Bruno Leprince. Bien sûr, ces notions ne sont pas toutes encore totalement partagées. Nous nous heurtons encore parfois aux réflexes d’opposition entre création d’emplois et préservation de l’environnement, souvent sur des projets industriels. Et pourtant, on sait bien que la relocalisation et la transition écologique permettraient de créer de nombreux emplois. On sait aussi le coût catastrophique du laisser faire en matière économique et sociale : la seule augmentation du prix du pétrole pourrait détruire 100 000 emplois dans l’industrie automobile dans les 5 à 10 ans à venir ! Alors la vraie question est bien de savoir si on laisse le marcher faire, ou si on fait preuve d’anticipation et de volonté politique.
Cela ne se fera évidemment pas sans des liens forts avec le monde du travail. Or reconnaissons-le, des décennies de discours environnementaliste opposant les uns aux autres ont fait des dégâts. Nous ne nous reconnaissons pas dans cette écologie là, celle qui culpabilise les individus sans dire mot de la responsabilité du mode de production capitaliste. Celle-là même qui est prête à laisser le soin du « développement durable » aux multinationales Suez, Veolia et autres Total ou Vinci. La grande nouveauté de notre approche et son succès est au contraire d’y associer systématiquement les salariés. Comme lorsque nous avons, au mois de mars 2012, organisé une grande rencontre de salariés en lutte pour échanger sur leurs projets de reprise intégrant la planification écologique. Les papeteries M-Real, le thé des Fralib, les acieries d’Arcelor… Ce sont eux qui font tourner les machines, eux qui connaissent l’outil de production, eux qui possèdent les compétences. La reconversion écologique ne se fera pas sans eux, encore moins contre eux. Voilà notre défi. Et aujourd’hui, il a un nom. Il s’appelle écosocialisme.
En conclusion, amis, camarades, nous disposons désormais d’un projet : l’écosocialisme, de la planification écologique comme programme, de la règle verte comme boussole, et d’une stratégie, la révolution citoyenne, c’est à dire la réappropriation de la politique par tous et partout. Combinés, ils nous donnent les outils pour mener de front lutte institutionnelle, bataille culturelle et résistances de terrain. Ce qu’il nous faut ensuite, c’est juste une bonne dose de courage politique, d’audace et de cohérence… Et aussi de mentons fiers et de têtes dures (sourire). Nous les avons, camarades !
Paul Eluard a écrit « Un autre monde existe, il est dans celui-ci ». Alors allons le chercher. Adelante !