Ce que sera la 6e République
C’est le moment où beaucoup réalisent. C’est pour eux un choc de consternation, de stupéfaction, d’effarement ou tout simplement un choc de trouille… La 6e République, on va la faire ! Pour de bon. Une fois de plus, les importants qui nous regardent de haut sont victimes de leurs œillères. Lorsque nous avons fait du changement de République le thème de nos trois grands rassemblements de la campagne présidentielle, ils ont « décrypté » ce qu’ils prenaient pour un « coup de com’ » et l’ont rangé au rayon des bonnes trouvailles à côté de la cravate rouge du candidat. Ils ont confié nos discours à des linguistes spécialistes du populisme et en ont tiré de beaux nuages de mots. Mais ils n’ont rien entendu de ce que nous disions. Ils n’ont pas compris ce que déclarait Jean-Luc devant la foule du Capitole à Toulouse. « Voyez, vous tous qui vous demandez ce qu’est ce phénomène : ce phénomène qui remplit cette place, les rues avoisinantes et les places avoisinantes, cela s’appelle la révolution citoyenne, qui est commencée ! Nous avons, nous, appelé à cette mobilisation comme nous l’avions fait avant à la Bastille, et comme nous le ferons encore à Marseille dans quelques jours. C’est une même marche, et nous vérifions, ici, là, qu’à notre appel vous répondez. Car nous savons que demain vous aurez déjà fait cette répétition générale, et que si c’est moi qui suis élu, lorsque je vous appellerai, vous y serez ! Et qui que ce soit qui soit élu en définitive, rien ne fera rentrer dans son lit le fleuve qui est en train de déborder ! (…) Nous voulons que soit élue une Assemblée constituante, dont le premier rôle sera de redéfinir la règle de vie commune. »
Notre force, c’est que nous ne lisons pas les textes écrits par d’autres. Dans les années 30, Orwell disait des intellectuels qui accompagnèrent majoritairement l’essor des totalitarismes qu’ils avaient « l’esprit réduit à un gramophone ». Cette formule s’applique à merveille aux crânes d’œufs qui recrachent les exigences des financiers, récitant les traités européens et autres éléments de langage vendus par Stéphane Fouks et ses communicants. Orwell s’étonnait de leur indécence, rendue possible par leur totale insensibilité à la part de bonheur et d’humanité que recèle la vie des petites gens, aussi dure soit-elle, et par leur ignorance presque complète des vies concrètes que leurs raisonnements abstraits venaient à briser. Les gramophones de notre époque ajoutent à l’intransigeance à laquelle peut conduire l’abstraction de leur pensée le cynisme caractéristique de l’idéologie libérale. Pour eux les discours ne sont jamais vrais. Ils ne font qu’habiller les égoïsmes individuels qui sont pour eux le seul fondement de la vie en société. C’est pourquoi, non content de s’écouter parler, ils n’entendent pas ce que nous disons.
Mais nous, nous prenons au sérieux ce que nous disons. Nous pesons souvent nos mots. Nous les pensons toujours. Plus important encore, le grand nombre de ceux qui sont là les entendent et les comprennent. Des milliers de consciences libres ont donc adhéré à cette idée que la présidentielle était une répétition générale de la révolution citoyenne pour une Sixième République. Ces gens n’ont pas disparu le 6 mai 2012. A la différence du système médiatique, ils n’ont pas une mémoire de poisson rouge. Ils comprendront donc qu’en appelant au 5 mai nous tenons la promesse que nous leur avons faite à la présidentielle. Et qu’après un an moins un jour ils peuvent récupérer leurs chaussures de marche quand bien même ils les auraient laissées sur le bord de la route.
Les puissants voudraient tellement que cette campagne n’ait été qu’une parenthèse ! Pour eux les élections sont une procédure de recrutement un peu particulière. Une fois le poste pourvu, on peut jeter les CV à la poubelle. Le débat est clos puisque le résultat donne raison à l’élu et tort au battu. Ce dernier doit attendre la prochaine fois (il peut s’opposer pour la forme) ou se rallier. Mais avions-nous tort de vouloir la 6e parce que nous n’avons pas été élus ? Rappelons le contexte. Cahuzac n’était même pas ministre. Pourtant le candidat Hollande lui-même admettait que le système ne fonctionnait pas correctement. Ségolène Royal appelait déjà à un coup de balai. Comment Hollande le traduisit-il ? Il proposa de balayer Sarkozy (c’est un « salopard » répétait-il à son sujet selon le livre de Laurent Binet). Un coup de balayette en quelque sorte. Il prétendit qu’en élisant un « président normal », le pays retrouverait un régime normal. On l’entendit même sur le plateau de « Des paroles et des actes » vanter la « mystique » de l’élection présidentielle qui devait le transfigurer. En quoi, il ne l’a pas dit. Sans doute pas en Pépère. Mais la mystique n’a pas marché. L’alternance n’a rien réglé. Avant que n’éclate l’affaire Cahuzac, le divorce entre le peuple et le pouvoir solférinien était déjà profond. C’est que le problème n’est pas celui d’un ni même de deux hommes, Sarkozy et Cahuzac. C’est le système qui est en cause. Nous avions donc raison de vouloir la 6e République. Nous avons raison de la vouloir encore. Et disons-le aussi, les Verts avaient raison l’an dernier de nous appeler à la lutte contre la corruption. S’ils ont choisi une magistrate anti-corruption comme candidate à la présidentielle plutôt qu’une personnalité connue pour son engagement sur les questions environnementales, n’était-ce pas qu’ils pensaient nécessaire de donner un coup de balai ?
Il faut donc reprendre notre marche vers la Sixième République. C’est la seule solution réaliste. On s’est cruellement moqué de Hollande, Monsieur Bricolage avec sa boite à outils. Mais tous ceux qui proposent de rafistoler une 25e fois la Cinquième République sont autant de Messieurs Bricolage. Rien de ce qu’ils proposent ne peut empêcher l’édifice de s’effondrer. Et les égouts de remonter alors à la surface. Il est urgent d’en finir, d’assainir l’atmosphère !
Que sera la Sixième République ? Nul ne peut le dire. Il ne faut pas avoir peur de cette incertitude. C’est celle de la démocratie. La nouvelle constitution sera l’œuvre du peuple. Le but d’une constitution est justement d’en assurer la souveraineté. C’est en son nom que des décisions légitimes –enfin !- peuvent être prises. C’est donc le peuple seul qui peut édicter la règle du jeu.
Il le fera en élisant une Assemblée Constituante. C’est une procédure logique et simple. Une telle Assemblée comprend des élus de droite, de gauche, de toutes sensibilités, chacun ayant présenté devant les électeurs ses options institutionnelles. Puis la Constituante rédige un projet de constitution qui est soumis au peuple par referendum. C’est son seul objet. L’Assemblée nationale actuelle pourra donc continuer à légiférer. Ainsi les citoyens éliront leurs représentants à la Constituante sur la seule base de leurs propositions pour la Sixième République. Bien sûr les parlementaires actuels ne pourront en être membres. On ne peut siéger dans deux assemblées en même temps. J’en signale une conséquence pour Xavier Bertrand qui présente Jean-Luc Mélenchon comme un être « assoiffé de pouvoir » : Jean-Luc ne pourra pas être élu à la Constituante. Mais Xavier Bertrand non plus. Je suppose que l’image du balai devient ainsi plus concrète.
Comment le peuple exerce-t-il la souveraineté ? Le plus souvent par l’intermédiaire de ses représentants. La Constitution doit donc garantir leur responsabilité devant le peuple. La Sixième marquera là une rupture majeure avec la Cinquième. Celle-ci a voulu un président politiquement irresponsable. Cet esprit d’irresponsabilité s’est ensuite diffusé dans tout l’édifice institutionnel dont le président est la clé de voûte. De plus, le temps politique s’est accéléré depuis 1958. Le raccourcissement du mandat présidentiel en tient compte. Mais cela ne suffit pas de voter tous les cinq ans quand le contexte politique peut changer tous les ans. Heureusement des instruments pratiques et concrets existent aujourd’hui pour permettre une souveraineté populaire continue. La créativité démocratique des peuples ne s’est pas arrêtée en 1958. Je pense notamment au referendum révocatoire qui est en vigueur dans plusieurs Etats des Etats-Unis d’Amérique, en Equateur ou au Venezuela. Ce referendum permet la révocation d’un responsable politique par ceux qui l’ont élu. Qu’il s’agisse d’un président, d’un maire ou d’un parlementaire. On voit son utilité immédiate dans l’affaire Cahuzac. Désir, Hollande, Bartolone ne cessent de dire que le retour de Cahuzac à l’Assemblée est inconcevable, que le Parlement en serait souillé et la France humiliée. Mais ils ne peuvent empêcher ce qu’ils présentent eux-mêmes comme un désastre démocratique et moral. Nous sommes dans un état de droit. La loi s’applique à tous de la même manière, Cahuzac compris. Ils ne vont tout de même pas donner son nom et son adresse en espérant que quelques excités règlent le problème en lui cassant la gueule ! Il paraît déjà qu’un pharmacien aurait refusé de lui délivrer des médicaments. Je réprouve ces méthodes de salopard dignes du blocus monétaire décrété contre le peuple chypriote par le gouverneur de la Banque Centrale européenne. J’y oppose la méthode démocratique et pacifique du référendum révocatoire. Dès lors qu’un seuil donné de l’électorat le demande, une majorité des votants peut décider la révocation. Il faudrait 10 ou 20% des inscrits pour le déclencher. Pas au bout de quinze jours bien sûr. Les Vénézuéliens ont estimé qu’un tel référendum ne devait être possible qu’à partir de la mi-mandat. Ils voulaient laisser ainsi le temps à l’élu de faire ses preuves et ne pas encourager l’instabilité institutionnelle. Cela se discute. J’en étais jusqu’ici convaincu. Mais l’expérience de Cahuzac pourrait me faire préférer un délai plus court. Parfois un an suffit pour réaliser que la personne élue ne fait pas l’affaire. Quoi qu’il en soit, ce sera à la Constituante d’en décider.
Face à cette idée, que proposent les tenants de la Cinquième République ? De pleurer ou de montrer les poings si Cahuzac revient à l’Assemblée, nous l’avons vu. Mais aussi de transformer les élections locales en référendums intermédiaires. Ce n’est pas moi qui le dis. C’est la porte-parole du gouvernement elle-même sur le plateau de Mots Croisés. Elle me répond quand je défends le référendum révocatoire que les Français pourront dire leur mécontentement par rapport à Hollande à l’occasion des élections municipales. Tel quel ! J’imagine la tête des maires PS qui entendent cela en même temps que moi. Ils ont dû la maudire. Mais cette imprudence est très révélatrice. Elle rappelle qu’aucun régime ne peut contenir l’expression du peuple. Les élections locales sont donc la soupape de sécurité de celui que nous subissons. Il faut bien que le désaveu tombe sur quelqu’un ! Au final, l’irresponsabilité du président prend tous les élus en otage. Voilà le parti solférinien pris en tenaille entre un président issu de ses rangs et la floppée d’élus locaux qui constitue sa seule trame réelle dans la société. L’échec de l’un, c’est la mort de tous les autres. Quand ça tient, la dissuasion est efficace. C’est marche ou crève : tout le monde rame dans la galère. Mais quand ça craque ? Cette contradiction a miné l’UMP, elle fera demain voler le PS en éclats. Mieux vaudrait que chaque élu soit responsable de son mandat et de lui seul. Ce serait plus démocratique et rationnel. Pour cela, il faut le référendum révocatoire.
Dans la Sixième république, le principe de responsabilité devra s’appliquer partout, à tous les responsables publics, au-delà des élus. Je pense par exemple au gouverneur de la Banque de France. Il est insupportable de l’entendre se présenter comme un « chef d’entreprise » alors qu’il gère un bien public des Français. Par ailleurs, c’est à lui que revient une grande part du contrôle de la finance. C’est la Banque de France qui a accordé une licence bancaire au groupe Reyl, chargé de l’évasion fiscale de Cahuzac. Devant qui en rend-il compte ? Si ces personnages ne sont pas sous le contrôle des parlementaires eux-mêmes contrôlés par le peuple, il ne faut pas s’étonner qu’ils finissent sous la coupe de la finance. A tous les niveaux, le contrôle populaire est bien la condition du rétablissement de la souveraineté. Cela conduira aussi à mettre un terme à l’inflation des autorités indépendantes à laquelle nous avons assistée sous la Cinquième République.
Le code génétique d’une Constitution ne se trouve pas dans des livres de droit constitutionnel mais dans la situation historique où elle a vu le jour. C’est parce qu’elle répond à leurs objectifs concrets que les citoyens peuvent consentir à une loi commune. En 1958, De Gaulle instrumentalisa le sentiment qu’un régime fort était nécessaire face à la crise algérienne. En 2013, l’intérêt général le plus impérieux et le plus évident aux yeux de tous est la réponse à l’urgence écologique. Notre loi commune doit être compatible avec les équilibres de l’écosystème. C’est simple, c’est une question de vie ou de mort. Mais comment y arriver ? Bien sûr il faudra se doter de normes environnementales et les faire appliquer par des inspecteurs adaptés. Mais la 6e République ne doit pas être 1984. Nous ne sommes pas de ceux qui veulent faire prospérer d’innombrables bureaucraties chargées de contrôler les élus plutôt que de confier cette tâche au peuple. Il en est de même pour la transformation de notre modèle de production. Nous ne pouvons pas mettre un inspecteur à la relocalisation derrière chaque carcasse de quadrupède. Ce sera aux salariés eux-mêmes de s’assurer que la production est bien écologiquement soutenable. Cela implique qu’ils soient convaincus que tel est l’intérêt général, qu’ils soient formés et éduqués à tous les niveaux du système scolaire à la prise en compte des interactions avec la nature. La Sixième République aura donc son projet scolaire comme la Troisième qui confia à son école la mission de produire des citoyens capables de voter et des hommes capables de se battre sous le drapeau. Cette responsabilité nouvelle des travailleurs implique aussi les droits qui vont avec. Vous souvenez-vous des prothèses mammaires PIP ? Les travailleurs de l’entreprise se doutaient que les produits utilisés étaient dangereux. Mais ils ne pouvaient rien dire de peur de perdre leur emploi ou briser leur carrière. La Sixième République donnera donc des droits aux citoyens dans l’entreprise : avis conforme sur toutes les décisions stratégiques de l’entreprise, protection face aux licenciements… Autre raison pour laquelle les droits des salariés sont devenus essentiels en 2013 : aujourd’hui 90% de la population du pays est salariée.
La Constitution de la Sixième république doit ensuite garantir la souveraineté du peuple face à toutes les menaces. En 1958, il s’agissait principalement du risque d’invasion étrangère. Le président de la République fut fait chef des armées, et son élection au suffrage universel lui donna la légitimité d’appuyer sur le bouton nucléaire. Mais aujourd’hui, il faut aussi faire face à des menaces nouvelles. Le poids du secteur bancaire en est une. On a beaucoup glosé sur Chypre et ses actifs bancaires huit fois supérieurs à la richesse du pays. Mais en France les banques pèsent quatre fois le PIB. Une défaillance bancaire emporterait le budget de l’Etat. Il faut donc un chapitre de la Constitution chargé de protéger la société et organiser ses relations avec les banques : rôle d’une Banque de France replacée sous contrôle démocratique, séparation des activités bancaires (contrairement à la loi Moscovici qui porte frauduleusement ce nom), mécanismes démocratiques et transparents de garantie bancaire et de faillite ordonnée…
Faut-il faire la liste de tout ce qui a changé depuis 1958 ? Le paysage médiatique par exemple. Il y avait alors sur le sol national trois chaînes de radio et une chaîne de télévision, toutes publiques. C’est trois fois moins qu’en Corée du Nord aujourd’hui. Un ministère assurait le contrôle de ces chaînes. Aujourd’hui le monde médiatique français n’a plus rien à voir. Comment faire en sorte qu’il assure le droit à une information la plus complète, pluraliste et sérieuse possible des citoyens ? C’est un enjeu démocratique essentiel que la Constitution nouvelle doit prendre en charge. En 1958, il n’y avait pas Internet. La Sixième République innovera en étant la première à inscrire la neutralité des réseaux comme un principe constitutionnel. En 1958, il n’y avait pas comme aujourd’hui une majorité de femmes qui travaillent et ont aussi gagné la maîtrise de leur corps. La Sixième République sera donc intégralement paritaire.
En 1958, il n’y avait pas non plus l’Union Européenne. Le lien de notre Constitution avec les textes de l’UE a fait l’objet de nombreux bricolages sous l’égide du Conseil Constitutionnel. Je propose d’adopter une règle simple tirée de la Constitution irlandaise : tout transfert de souveraineté ne pourra être décidé que par referendum. Ainsi, nous éviterons la forfaiture du traité de Lisbonne, qui donna à l’oligarchie ce goût de revanche proportionnel à la frousse subie au soir de la victoire du « non » en 2005. Cette disposition constitutionnelle aura aussi l’avantage de renforcer la place de la France en Europe. Aucun traité ne pourra méconnaître les exigences du peuple français. Regardez comment les Allemands imposent plus facilement leurs vues du fait que tous les plans de sauvegarde doivent passer devant le Bundestag. C’est comme cela aussi que le plan chypriote est devenu un plan allemand : le Parlement chypriote n’a pas eu le droit de le voter tandis que le Parlement allemand aura à le faire.
Oui bien sûr la Sixième République doit aussi être parlementaire. Car nous savons qu’un collectif est plus intelligent qu’une personne seule et que seule la publicité des débats permet d’impliquer le peuple. Mais ne cherchez pas cette Constitution dans un livre. Elle n’a pas de modèle car elle répond à des défis nouveaux. Elle sera aussi innovante que la constitution de Bolivie ou d’Equateur. C’est nous tous qui l’écrirons. Cela commence le 5 mai prochain avec ce que vous mettrez sur votre pancarte.