Ligne THT Cotentin-maine • Témoignage sous haute-tension
Lorsque l’on arrive chez Agnès et Christophe Jouault dans le pays de l’Ernée en Mayenne, à St-Pierre-des-Landes, on est surpris par la richesse de la terre, grasse à souhait et la générosité des cultures de ce couple de maraîchers. Les carottes, salades et autres légumes de saison rappellent l’enfance dès lors que l’on a dépassé la quarantaine. C’est à ce moment précis que l’on se dit qu’il y a bien trop longtemps que l’on n’avait pas vu ni consommé de légumes biologiques.
Installés depuis vingt ans dans leur maison, Agnès et Christophe ont développé leur activité d’agriculture biologique sur sept hectares (car il faut prendre en compte la jachère) depuis 1997 dans une région d’élevage. Leur habitat est à l’image de leur activité professionnelle et de leur mode de vie : sain, soucieux de l’environnement et tourné vers un développement durable. Cette activité, un travail dur et exigeant, leur permet de vivre de leurs cultures (une quarantaine d’espèces de légumes sur l’année). Les cantines scolaires, soucieuses de la santé de la jeunesse, font désormais partie de la clientèle.
Mais c’était sans compter sur le projet de construction de la ligne THT (Très Haute Tension) Cotentin-Maine dont ils apprirent l’existence en 2005.
Ils sont incollables sur le sujet.
Normal, ils ont participé à de nombreuses réunions d’informations, puis de résistance, puisqu’un pylône est prévu alors dans le champ voisin, à 180 mètres de leur exploitation.Ils ont assisté à tout : la politique de l’argent qui va acheter chacun sur son passage, à travers toutes
les strates de la société, du collectif au particulier et jusqu’au propriétaire voisin qui, n’habitant pas sur place, acceptera le pylône sur ses terres.
Ils vous diront qu’à l’instar des « plans sociaux » dans les grandes entreprises françaises tout a connu une accélération conséquente à l’issue de la dernière campagne présidentielle. Les résistants au projet ont reçu des ordonnances d’interdiction de se rendre sur les chantiers de la THT. Les patrouilles de forces de l’ordre se sont intensifiées sur le tracé de la ligne et autour des domiciles des résistants.
Lorsque l’on se promène sur la propriété de la famille Jouault, on baigne dans la fraîcheur des légumes colorés fraîchement récoltés. La chaudière à bois déchiqueté, les panneaux solaires et le savant aménagement des haies laissent apparaître un mode de vie à la recherche de l’équilibre écologique. Puis, tout à coup, on la voit. La ligne THT est là. Tout est en place. Elle vient d’être mise sous tension ce 3 mai 2013.
La famille Jouault et à travers elle tous ceux qui seront obligés de vivre en cette présence, sur ce tracé, est inquiète.En tout et pour tout, l’entreprise RTE (Réseau de Transport d’Electricité) ne leur a proposé qu’une indemnisation forfaitaire au préjudice visuel
ou en cas de vente, le remboursement de la différence entre le prix de vente de la propriété avant la construction de la ligne et sa valeur actuelle estimée par une commission d’évaluation.
Mais que peut-on bien faire quand on vient de travailler sans ménager ses efforts pendant presque vingt ans, à mettre sur pied une agriculture exigeante ? Et pour aller où ? Vivre quoi ? Vivre de quoi ? Et qui voudrait s’installer à leur place, à 180 mètres de la ligne ?
La famille Jouault est inquiète. Car malgré les courriers, assez flous et généralistes, qui se veulent rassurants sur l’impact sur la santé humaine,ils savent bien par leurs connaissances que les vaches demeurant à proximité des pylônes ont développé de multiples pathologies dont des inflammations mammaires soignées aux antibiotiques et rendant le lait impropre à la consommation. Ils ont aussi entendu parler de dépressions et de leucémies. Ils ont peur pour leur santé.
Ils ont peur aussi pour leur exploitation : l’impact sur le paysage, les haies, le bocage, les arbres
abattus, la biodiversité. Qui peut prouver réellement que la terre dans laquelle ils plongent leurs mains tous les jours ne sera pas impactée par les champs électriques et magnétiques générés par la THT ? D’après eux, les élus ont lâché l’affaire et ils se sentent isolés, épuisés, oubliés.
Partir pour aller où et faire quoi ? Leur vie et leurs amis sont ici, en Mayenne. Ils se demandent où est passée la démocratie. Car cette dernière ne se résume sans nul doute pas à un bulletin de vote de temps en temps. Pas plus que la vie et l’existence de la famille Jouault n’a pu, pour l’instant, peser sur ce qu’on appelle un « projet d’utilité publique ».
Anne Stoessel