Ce que nous dit le Mont Valérien
Samedi 1er juin, c’est aux côtés de ma camarade Pascale le Néouannic et de nombreux militants du Parti de Gauche que j’ai gravi les escaliers du Mont Valérien, à l’invitation de l’Association pour le souvenir des fusillés du Mont Valérien et de l’Île-de-France.
Quelle joie de voir ces jeunes se réapproprier toute cette poésie: Aragon, Prévert, Eluard, et tous les anonymes rédacteurs de tracts… Autant de plumes qui ont tracé le chemin vers la Libération dans la douleur ; les lycéens et lycéennes qui ont étudié ces textes savaient que parmi les 1007 fusillés au Mont Valérien pendant l’occupation, certains étaient plus jeunes qu’eux. Voir dans leur yeux la conscience de notre histoire passée, dans leur timbre de voix la conscience de notre responsabilité collective de notre communauté de destin. Sophie me racontera par la suite combien cette expérience les a marquée et transformée. Ceux qui étaient en échec ont repris confiance car ils ont trouvé du sens.Belle démonstration de l’enjeu de l’éducation populaire. Oui l’école de la République a bien pour mission de former la conscience républicaine et c’est possible !
Dans un deuxième temps, l’ensemble des associations d’anciens combattants, des organisations syndicales et des partis politiques présents ont pu solennellement déposer des gerbes de fleurs au pied de la flamme du mémorial. Mais je ne comprends pas, aucune gerbe du PS, aucun élu-e-s socialiste présent-e-s. C’est plus que regrettable. Nous sommes ensuite montés dans la clairière aux fusillés, l’endroit précis où furent exécutés les résistants par centaines, notamment les membres du fameux « groupe Manouchian ». Sous l’ombre des grands arbres, bercés par les chants d’oiseaux et le bruissement des feuilles, on dirait presque un bel endroit pour mourir : on pense au Dormeur du Val de Rimbaud. Mais le poids de l’histoire nous glace dans ce trou de verdure qui a vu fusiller tant de partisans. La Chorale populaire de Paris était présente pour faire résonner le Chant des Partisans dans la clairière.
Beaucoup d’émotion à la lecture des dernières lettres de condamnés à mort à leur famille. Beaucoup de fierté aussi, à l’évocation de ces résistants exemplaires, pleins de courage face à la mort. « Bonheur à tous, Bonheur à ceux qui vont survivre/ Je meurs sans haine en moi pour le peuple Allemand » écrit Aragon ; c’est l’esprit qu’on sent déborder de ces lettres écrites avec des mots d’humanité, de simplicité et d’affection pour ceux qui restent et qui auront un monde à reconstruire. Le disque de Léo Ferré que mes parents écoutaient en boucle quand j’étais petite raisonne comme jamais dans ma mémoire.
Quand on essaie de réfléchir à la résonance politique que cette commémoration a dans notre actualité immédiate, on prend conscience de la pertinence et de l’audace du monde rêvée et écrit alors par les résistants. Car au-delà du devoir de mémoire envers celles et ceux qui se sont battus pour résister à l’oppression, les moments comme ceux-là doivent nourrir notre action et notre réflexion politiques! Les hommes et les femmes de la résistance se sont donnés pour mission de remodeler le monde sur les décombres de la barbarie. Leur héritage politique et social se trouve en germe dans le fameux programme du Conseil National de la Résistance, dont nous fêtons cette année le 70ème anniversaire. Adopté dans la clandestinité, il contient les grande ligne du projet de République Sociale, et prévoit notamment « l’établissement de la démocratie la plus large (…), la liberté de la presse et son indépendance à l’égard des puissances d’argent (…), l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie (…), le retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques (…), le droit au travail et le droit au repos, notamment par le rétablissement et l’amélioration du régime contractuel du travail (…), la reconstitution, dans ses libertés traditionnelles, d’un syndicalisme indépendant, doté de larges pouvoirs dans l’organisation de la vie économique et sociale (…), un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’Etat ».
Ça ne vous rappelle rien ? En remettant l’humain d’abord et soumettant l’économie et la finance à l’intelligence collective, le CNR s’est appuyé sur des principes de dignité, de justice sociale mais aussi des principes écologiques qui sont plus que jamais d’actualité.
Or, force est de constater que les grandes réalisations de ce programme – la nationalisation des banques, les Services Publics, la Sécurité Sociale et le Droit du Travail – ont été et sont violemment attaquées par le gouvernement actuel, dans la continuité de trente ans de démantèlement de l’Etat social ! Denis Kessler, vice-président du MEDEF de 1998 à 2002, avait appelé à « défaire méthodiquement le programme du CNR »[1]. C’est aujourd’hui au même « détricotage » minutieux qu’appellent les libéraux de tout poil. « 70 ans, c’est vieux ! Le monde bouge ! », nous disent-ils. Nous leur répondons que ce programme n’a pas pris une ride !
En somme, se commémorer c’est toujours trouver humblement des forces pour les combats du temps présent : à notre façon, nous devons résister ! Nous ne manquons pas de modèles, de détermination, d’idées et de compétences. Rendre hommage au CNR, ce n’est pas seulement en parler dans des discours, c’est défendre concrètement son héritage: non à la prédation sur les Services Publics, non au dépeçage du régime des retraites, non à la précarisation généralisée du Droit du Travail ! Non à l’exploitation des richesses du sol comme via le gaz de schiste au mépris de l’intérêt général de protection de notre écosystème ! Non aux diktats de la Finance, vite nationalisons les banques ! Sur le mur de grès rose du Mémorial, nous retenons cette simple phrase : « Quoiqu’il arrive, la flamme de la résistance ne s’éteindra pas »
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