Rail • Une réforme ferroviaire euro-compatible
Le ministre des transports a présenté le 29 mai les grandes lignes de la réforme ferroviaire au Conseil des ministres. Cette réforme veut créer un GIU ou « Gestionnaire d’infrastructures unifié » qui englobera dans un Etablissement public à caractère industriel et commercial unique (EPIC) Réseau ferré de France (RFF) et la SNCF après qu’ils aient été divisés au nom de la concurrence. A première vue, on pourrait s’en réjouir. Le gouvernement Ayrault est il enfin sur la voie de la résistance aux injonctions de Bruxelles ? Ce serait extraordinaire, et pour tout dire inespéré. Depuis leur arrivée à la tête du pays, grâce aux voix du Front de Gauche, pas plus le gouvernement que le Président n’ont brillé par leur combativité vis à vis des diktats de la commission. Car cette séparation inepte entre gestionnaire d’infrastructure et exploitant est l’application d’une directive européenne de 1991, puis du premier paquet ferroviaire de 2001.
L’effet nocif de la séparation, en 1997, de la SNCF chargée d’exploiter les lignes et de RFF, propriétaire du réseau n’est plus à démontrer : dette croissante de RFF, désorganisation des services et des missions des cheminots, pression sur leurs conditions de travail. C’était le prix à payer pour « moderniser le système ferroviaire ». Il fallait permettre une concurrence « libre et non faussée » pour permettre aux opérateurs privés de prendre une partie du gâteau. D’où la nécessité de séparer le gestionnaire de l’infrastructure du transporteur. Il s’agissait ni plus ni moins de remettre en cause le monopole de la SNCF sur le transport ferroviaire.
On connait la suite : le fret ferroviaire a été ouvert à la concurrence en 2003, et le transport international de voyageurs en 2009. Le transport ferroviaire de marchandises a reculé au profit du transport routier. En 2005, soit l’année précédent l’ouverture à la concurrence, la part du ferroviaire était de 10,9%, en 2010, elle n’était plus que de 8,6 % ! Merveilleuse logique qui aboutit à défaire un service au lieu de le conforter ! Et ce n’est qu’une étape, car le transport de voyageurs est lui aussi promis à ce bel avenir.
Il faut se souvenir de l’exemple britannique, qui est en matière ferroviaire le cas d’école de ce qu’il ne faut pas faire. La privatisation de British Rail et de Railtrack sous le gouvernement conservateur de John Major a eu des effets absolument désastreux : flambée des tarifs, baisse drastique des investissements et inévitablement désorganisation majeure qui aboutit à une inefficacité et une insécurité globale du système ferroviaire britannique.
Or, que ce soit par idéologie, par aveuglement, ou par connivence avec les milieux des affaires qui ont leurs entrées à Bruxelles, la Commission Européenne ne renonce pas à imposer ce modèle libéral aux transports. Elle a adopté le 30 janvier dernier le 4e paquet ferroviaire dont l’idée directrice est l’adhésion forcenée à ce modèle destructeur. Ainsi, il s’agit dans le vocabulaire de la Commission d’ériger des « murailles de Chine » entre gestionnaire du réseau et exploitant, c’est à dire d’interdire leur réunification sous une même entité. C’est pourtant un préalable essentiel à toute réforme ferroviaire qui vise une planification écologique des transports ainsi que la satisfaction des besoins sociaux de mobilité.
Plus encore, la Commission, qui en matière de dogmatisme et de rigidité n’a plus rien à prouver, veut interdire que les appels d’offre puissent se faire de façon globale ou par zones géographiques. C’est ligne par ligne que l’attribution des marchés d’exploitation devra se faire. On imagine assez bien ce qui va se passer : les compagnies ferroviaires privées garderont les lignes rentables tandis que les autres seront supportées par l’Etat, voire les Régions, si elles le peuvent. Un tel éclatement rend toute péréquation absolument impossible, condamnant à terme certaines lignes pourtant structurantes en matière d’aménagement du territoire.
Encore récemment, dans ses « recommandations » à la France faites en échange d’un délai pour ramener le déficit à 3% du PIB, la Commission exigeait que le France ouvre le transport ferroviaire intérieur de passagers à la concurrence. Il s’agit ni plus ni moins de déconstruire le service public afin de permettre aux groupes privés de tirer le maximum de profit pour alimenter le fantasme du retour à la croissance.
Voilà le contexte. Quelle est la réponse du gouvernement ? Réintégrer RFF et SNCF, excellente idée ! Encore faut-il réellement le faire. Car il s’agit en réalité d’une réforme euro-compatible que Cuvillier nous présente là. L’usine à gaz que prépare le ministre n’est qu’une demie réponse aux enjeux du ferroviaire. Il faut tout d’abord noter que le ministre accomplit le tour de force d’unifier tout en maintenant la séparation. En effet, ce GIU (Gestionnaire d’infrastructures unifié) créé est un nouvel Etablissement public à caractère industriel et commercial qui se superpose aux deux EPIC existants que sont RFF et SNCF sans les refondre en un seul et même établissement, ce qui aurait pourtant été la solution de bon sens qu’un gouvernement du Front de Gauche aurait adoptée. Ce GIU maintient donc la séparation et n’impose aucune intégration. Il sera dirigé par un directoire bicéphale, co-présidé par les PDG des deux établissements maintenus séparés. Un conseil de surveillance sera chargé de trancher les désaccords. On lui souhaite bien du courage, car une telle organisation ne manquera pas de les multiplier.
Mais pire encore, cette réforme ferroviaire reste dans les clous de la feuille de route fournie par la Commission. Elle ne remet absolument pas en cause l’objectif de l’ouverture à la concurrence du transport intérieur de voyageurs, prévue pour 2019, donnant ainsi satisfaction à l’injonction de l’euro-technocrate Barroso.
Le statut des cheminots que les libéraux rêvent de faire sauter est lui aussi en danger. En assurant les droits des travailleurs, il permet un service public de qualité. Mais dans une société de concurrence, il est une entrave à faire sauter. Tout en affirmant vouloir le conserver, le gouvernement fait l’inverse, car il annonce qu’il sera complété d’une convention collective qui définira l’organisation et l’aménagement du temps de travail, respectant ainsi les préconisations du rapport Bianco qui appelaient à une augmentation de la productivité des salariés du secteur. Derrière la formulation de « continuité du service public » il est à craindre que soit visée la limitation du droit de grève. C’est encore une fois un recul en matière de droit des salariés qui s’annonce.
Une véritable réforme qui réponde aux enjeux écologiques et qui soit utilement sociale devrait commencer par sortir le ferroviaire de la logique de profitabilité pour l’orienter vers une logique de service public. Elle devrait réaffirmer le rôle souverain de l’Etat afin de permettre une véritable planification écologique du développement du transport ferroviaire.
Crédit photo photosdegauche.fr (michel_soudais)