Dette étudiante • Le capitalisme appliqué à l’université

dette_etudiante.jpgLa loi d’orientation sur l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) de Geneviève Fioraso illustre parfaitement l’  absence de rupture avec le gouvernement précédent. Elle prend la suite de la LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités) de Sarkozy qui, par le désengagement financier de l’État a rendu déficitaires 23 universités françaises sur 80 et a conduit les établissements à être de plus en plus dépendants de fonds privés.

Alors que Hollande dénonçait la stagnation des budgets sous Sarkozy, son gouvernement n’a pas fait mieux. Il a même fait pire. A peine votés, les budgets des universités ont été rabotés par un prélèvement autoritaire baptisé « contribution au redressement des comptes publics ». Pour 2013, on annonce un budget qui augmenterait de 0,9 point de moins que l’inflation. Autant dire qu’il diminuerait. Comment boucler dès lors les budgets des universités « autonomes ». La tentation de faire payer les étudiants devient presque irrépressible. La décision de mettre fin à la gratuité des classes préparatoires symbolise au même moment le renoncement définitif au principe de gratuité, dernier verrou à la marchandisation des études. Or supporter individuellement le coût de la formation est lourd de conséquences. François Delapierre détaille les effets et les enjeux de ce basculement dans La bombe de la dette étudiante, paru dans la collection Politique à gauche chez Bruno Leprince.

Idéologie néolibérale

L’enseignement primaire et secondaire est gratuit, pourquoi le supérieur ne le serait-il pas ? Pour faire contribuer les étudiants au financement de leurs études, il faut d’abord les convaincre que les études supérieures sont une marchandise. C’est ce que défend notamment la théorie du capital humain. Celle-ci considère chacun comme un investisseur de lui-même, opérant des choix économiques rationnels dont la finalité est d’augmenter sa valeur sur le marché du travail. Dès lors, c’est à chacun de choisir et de payer sa formation en fonction du gain qu’elle apporte en terme « d’employabilité », mesurée essentiellement par le niveau de salaire. Les établissements y compris publics participent à cette vision en communiquant les taux d’emploi et le niveau de salaire moyen après le diplôme. Mais on comprend que le rapport aux études s’en trouve bouleversé. Fini le désintéressement, la conscience d’une dette à l’égard de la collectivité : c’est l’intérêt personnel et marchand qui devient le moteur du système.

Marchandisation, financement privé, endettement

Le mouvement de marchandisation de l’enseignement supérieur est une réalité mondiale, favorisée par des institutions comme l’OCDE Mais on pourrait se dire que la France en est préservée par l’attachement porté au service public d’éducation. C’est sans compter sur la convergence des intérêts entre un gouvernement austéritaire pour qui l’ESR coûte trop cher et ceux qui voient là un marché à saisir.

Parmi ceux-ci se trouvent les financiers. L’augmentation des frais d’inscription permet de transférer aux particuliers un financement hier assuré par l’impôt, auquel le capital et les ultrariches entendent désormais échapper. Mais les dépenses croissantes supportées par les étudiants et leurs familles ne coïncident pas avec une augmentation de leurs revenus. C’est pourquoi la hausse des droits d’inscription s’accompagne d’un recours croissant à l’emprunt. Les prêts étudiants sont donc fortement encouragés. On le voit en ce moment au niveau européen avec le nouveau programme Erasmus qui au lieu d’un système de bourses proposera à partir du 1er janvier 2014 un mécanisme de garantie de prêts.

Une dette « explosive »

Il y a déjà 180 000 prêts étudiants aujourd’hui en France. C’est bien moins que dans d’autres pays. L’activité salariée répondant plus fréquemment aux dépenses d’éducation : ¼ des étudiants sont aujourd’hui salariés au moins à mi-temps. Mais c’est une évolution en cours. Ainsi, depuis 1991, année de lancement par Jospin des prêts étudiants garantis par l’état, le nombre de prêts étudiants a été multiplié par 2250 !(1)

Pendant qu’en France commence à se banaliser le recours à l’emprunt, il explose là où il est installé de longue date. Aux Etats-Unis, le montant des crédits étudiants atteint désormais 1000 milliards de dollars. Ces emprunts forment une bulle susceptible d’un krach à la subprimes(2). Car le remboursement des prêts étudiant repose sur l’obtention du salaire qui semblait « découler » du diplôme recherché. Or si le capital n’a plus l’intention de payer la formation à travers l’impôt, il ne veut pas davantage payer la qualification dont l’élévation le menace d’une hausse régulière du « coût du travail ». Les jeunes diplômés découvrent donc précarité et déqualification. Aux États-Unis, le taux de défaut sur leurs crédits a donc doublé entre 2008 et 2011. De tels taux renvoient au déclencheement de la crise des subprimes. D’autant que les mécanismes financiers de titrisation ont été utilisés à nouveau sur ces crédits et conduisent au même risque systémique. Les emprunts étudiants non remboursés sont déjà dispersés, sous formes de titres, dans une multitude d’établissements financiers. Les mêmes causes conduisant aux mêmes effets, la dette étudiante menace le système financier international d’une nouvelle explosion.

la_bombe.jpg

Faire de l’université un bien public ?

De plus, la privatisation du financement de l’ESR accroît les inégalités et précarise les étudiants. La logique de marchandisation nuit intrinsèquement à la qualité de l’enseignement. La perspective de rentabilité prive d’une vision à long terme. Les filières privilégiées sont celles qui permettent une utilisation immédiate des étudiants ainsi formés sur le marché du travail. Comment développer par exemple des modes de productions d’énergie alternatifs aux énergies fossiles puisque ce sont elles qui dominent le marché ?

Laisser le marché fixer les orientations de l’enseignement supérieur c’est étouffer la recherche non immédiatement rentable, mais déterminante pour l’avenir.

Or jusqu’à présent c’est à l’État qu’il de fixer le contenu des diplômes. Affirmer que l’ESR est, plus qu’un service public, un bien public, c’est affirmer son lien avec la société dans son ensemble et ses évolutions. Une 6ème République écosocialiste doit avoir une université qui réponde à l’intérêt général de notre temps. Et notamment à la nécessaire transition écologique de notre mode de production, de consommation et d’échange Et puisque l’ESR conçu ainsi et non comme une variable qui s’ajuste aux besoins du marché profite à l’ensemble de la société, c’est bien la société dans son ensemble qui doit la financer.

Contre une dette privée qui veut soumettre à la finance les futurs cadres de la société dès leur plus jeune âge, il existe une dette publique vertueuse, due non pas à son banquier, mais à l’égard de la collectivité, qui se paye alors en servant l’intérêt général grâce au savoir acquis gratuitement.

bombe_dette_etudiante-1.jpg

(1) 80 demandes de prêts en 1991 contre 180000 prêts étudiants en 2012

(2) cf. La bombe de la dette étudiante, pp 63-67

Commentaires

Les Commentaires sont clos.