Les solfériniens, des paroles et des actes

Solferiniens.jpg Les solfériniens qu’est-ce que c’est ? La réponse est dans leurs paroles et dans leurs actes. Le 6 mai dernier marque une nouvelle étape du déferlement de la lame de fond idéologique engendrée par le basculement du parti socialiste en parti solférinien. Les douze premiers mois d’activité gouvernementale nous ont offert un large panel de ces renoncements du verbe qui ont ouvert la porte à la déconstruction par les actes. Appuyé sur mes notes de blog de l’année écoulée, je vous livre sur ce site en téléchargement gratuit l’ouvrage « Les solfériniens, des paroles et des actes », qui met à jour ce processus. Avant de vous lancer dans la lecture, je vous invite à retrouver ci-dessous l’avant-propos en guise d’amuse-bouche.

Avant Propos

« Je ne suis pas le Président socialiste ». Pour abrupte qu’elle soit, la déclaration de François Hollande le 28 mars 2013 lors de son grand oral médiatique est un aveu savamment orchestré. Lui Président, il poursuit l’action qu’il a menée pendant plus d’une décennie à la tête du Parti socialiste (PS) et depuis 30 ans dans les arcanes de la rue de Solferino, siège du PS.

Après avoir progressivement renié l’héritage du mouvement progressiste et de l’humanisme radical, après s’être à dessein détaché des luttes et acquis de la classe ouvrière, François Hollande et les siens veulent faire de leur accession au pouvoir le grand bond par-dessus le socialisme : redistribution, souveraineté populaire, droit du travail, retraites, protection sociale, services-publics…, il n’est rien qui soit à l’abri de la remise en cause. Jusqu’au nom lui-même, « socialiste », qui leur pose problème comme en atteste la déclaration présidentielle.

« Trans-courants » dans les années 80, thuriféraires de la 3ème voie, dans les années 1990-2000, les dirigeants actuels du parti socialiste assument désormais comme les britanniques ou les italiens de ne plus se réclamer du socialisme. Ce n’est pas simplement avec le socialisme traditionnel qu’ils rompent ainsi. C’est aussi avec le socialisme républicain, cette spécificité française où universalisme, souveraineté populaire et indépendance sont si étroitement corrélés. Cet abandon les place de fait dans une position de soumission, un jour devant les banquiers, le lendemain devant la Commission européenne ou devant Mme Merkel.

Le tournant sémantique, comme toujours, traduit bien plus qu’un simple changement de terme. Si Hollande et les siens ne se réclament plus du socialisme, c’est qu’ils incarnent autre chose et qu’ils l’assument. A dire vrai, ils ne sont pas tous d’accord pour savoir quoi. Pour les uns c’est la social-démocratie. Pour les autres c’est le social- libéralisme. Pour d’autres encore c’est l’horizon démocrate. Leurs fondamentaux ne sont plus Robespierre, Jaurès ou Blum mais Clémenceau, Schröder ou Blair. Mais à défaut de savoir nommer ce qu’ils veulent être, ils expriment ce qu’ils ne sont plus.

Malgré ses efforts et ceux de la propagande des médiacrates bien-pensants, cette classe dirigeante du PS s’est coupée des militants et sympathisants socialistes. Elle est devenue le parti solférinien.

Celui qui dirige la République comme s’il s’agissait de diriger le PS et d’arbitrer entre des courants animés par le démon des ambitions personnelles.

Celui qui fait des courbettes devant le mur de l’argent pour avoir trop frayé avec l’oligarchie des puissants.

Celui qui capitule devant la droite allemande pour avoir trop partagé ses vues libérales.

Celui qui fait de la 5e République du coup d’état permanent l’outil de sa propre reproduction.

Celui qui déjà en 2005 voulait soustraire au peuple sa souveraineté lors du Traité sur la constitution Européenne (TCE), qui a voté sa resucée le Traité de Lisbonne sous Sarkozy et qui, une fois arrivé au pouvoir, s’est empressé d’avaliser le Traité sur la Stabilité, la coordination et la Gouvernance dans l’Union Européenne (TSCG) pour ne pas avoir à demander son avis au peuple.

Depuis le 6 mai 2012, les solfériniens, qu’ils soient au gouvernement ou qu’ils intriguent pour y entrer, font chaque jour la démonstration de leur transformation. C’est parfois dans les mots. C’est aussi dans les actes. Nous aurions tort de séparer les uns des autres tant ils participent d’une même offensive idéologique assumée. La cacophonie semble être la marque de fabrique du gouvernement Ayrault et pour autant il ne faut pas s’y tromper : les ballons d’essais sont comme sous Sarkozy une forme de gestion du pouvoir. Derrière les paravents individuels, les solfériniens jaugent des rapports de force, des résistances qui peuvent ou non s’exprimer, et poussent alors leur avantage au maximum en pensant éviter la cristallisation des colères.

Ainsi, le discours de la méthode solférinien frappe jusqu’aux fondamentaux de la République et du socialisme. Au nom de l’austérité, les solfériniens sont prêts à sacrifier l’unité et l’indivisibilité du peuple comme le promeut Marylise Lebranchu avec l’Acte 3 de la décentralisation. Ils déconstruisent l’universalité des droits comme s’y attèle Claude Bartolone. Harlem Désir et Jean-Marc Ayrault font eux des risettes aux Medef quand dans le même temps Vincent Peillon cible la gratuité et l’obligation scolaire… Leurs paroles sont les flèches du renoncement qui se mêlent à un état de confusion distillé par le système médiatique.

Mais pour donner des gages à leurs nouveaux vassaux et faire taire le peuple, les solfériniens ont besoin que leurs paroles s’accompagnent d’actes. Depuis leur arrivée sous les ors de la République, ils ont frappé et s’apprêtent à frapper encore et encore. Manuel Valls, comme son prédécesseur Claude Guéant, pourchasse les Roms, Vincent Peillon avalise pour l’Ecole le socle commun de François Fillon, Pierre Moscovici laisse les patrons se remplir les poches sur le dos des salariés, François Hollande impose l’austérité européenne…

Le Petit tour d’horizon qui vous est ici proposé sous formes de courtes chroniques un an après l’arrivée de François Hollande au pouvoir ne se veut bien sûr pas exhaustif. Les éléments les plus structurants de la politique gouvernementale, s’ils apparaissent au fil des pages, ne forment volontairement pas l’architecture de cet ouvrage. Ce qui est modestement mis en exergue, c’est comment des pratiques, des connivences, des actes politiques posés depuis un an, par le verbe ou par l’action, rompent avec un héritage et dessinent un nouvel horizon qui s’éloigne chaque jour un peu plus du socialisme. Là où certains voudraient voir des communications mal maîtrisées, force est de constater qu’il s’agit au contraire d’une lame de fond cohérente où la fabrique du langage a façonné le contenu politique et a substitué aux mots de l’émancipation et du combat, ceux de la conformité et de la soumission. Ce qui est appelé couramment la « novlangue » joue quotidiennement son rôle de propagande et de domestication des esprits. On la retrouve à chaque échelle de la vie : dans les journaux, à la télé, dans les publicités… bâtissant une imprégnation lente. Plus la langue du libéralisme est parlée, plus ce qu’elle porte se produit dans la réalité. C’est ainsi que deux phénomènes concomitants se produisent : des mots n’ayant pas le même sens se substituent l’un à l’autre progressivement (équité / égalité, égalité des chances / égalité des droits…) et des mots sont tellement utilisés qu’ils en perdent leur sens (démocratie participative, citoyenneté, lutte contre le terrorisme, crise…) ce qui les fait disparaître du champ de l’action concrète.

Le décryptage des paroles des solfériniens est en ce sens un éclairage de la rupture idéologique qui s’est opérée. Nous retrouvons dans leur bouche les mots des libéraux : le travail est un coût, les cotisations sociales sont des charges, les classes sociales sont des couches, les exploités des exclus…. En acceptant le langage des libéraux, ils ont décliné la politique qui s’y accole.

Ne rien céder sur les mots, s’approprier à travers la culture et le langage son propre destin est donc au cœur de la lutte. L’unité du peuple s’établit comme le décrit Gramsci avec la création d’« un nouveau sens commun, et par conséquent une nouvelle culture et une nouvelle philosophie qui prennent racine dans la conscience populaire avec la même force et le même caractère impératif que les croyances traditionnelles ».

Ces chroniques se veulent aussi un outil de lutte contre le rythme médiatique. Les éditorialistes aux ordres de l’oligarchie insufflent des temporalités où la superposition conduit à l’oubli des paroles et des actes. Pourtant, dans l’imaginaire collectif du peuple, les sorties quotidiennes du parti solférinien font leur œuvre et distillent le venin de l’affadissement et de la soumission à la doxa libérale.

Ces chroniques sont basées sur des notes de blog (www.cocq.wordpress.com) que j’ai commises depuis le 6 mai 2012 et que j’ai recontextualisées afin de leur donner sens et cohérence. Certaines peuvent prendre des formes spécifiques comme cette lettre ouverte à Luc Carvounas. D’autres se font à la première personne comme il est d’usage avec ce nouvel outil d’expression qu’est le blog politique. Enfin, le parti solférinien n’étant pas monolithique, nombreux sont ceux qui ont durant cette année échappé à ma plume. Qu’ils prennent garde, je ne les ai pas oubliés. Pour d’autres, les évènements écoulés m’ont amené à leur prêter une attention toute particulière comme c’est le cas par exemple du Président de la République. Qu’ils sachent que je ne les lâcherai pas.

Pour utile que je pense être la tâche de remettre en lumière les paroles et les actes des solfériniens, celle-ci ne peut faire sens que si nous y accolons un débouché politique. Cet héritage foulé au pied ici évoqué, ces combats et acquis galvaudés, cette aspiration à un idéal humain où l’émancipation individuelle et collective se réalise dans la vertu républicaine, c’est-à-dire la passion de l’intérêt général, nombreux sont ceux qui souffrent de les voir souillés. Le drapeau du socialisme, sa jonction avec l’écologie politique, son imbrication intrinsèque avec la République, d’autres l’ont désormais relevé. Le parti solférinien a finalement défini lui-même la nouvelle ligne de faille qui le sépare du peuple. Parallèlement, le Front du peuple se lève et se pose en rempart contre l’oligarchie mais aussi en terreau fertile pour voir éclore les lendemains qui chantent.

Solferino est la grande bataille de Napoléon le Petit comme aimait à nommer Victor Hugo. Celui qui avait au préalable pris le pouvoir par un coup d’état contre la IIème République a cru pouvoir flatter les prolétaires avant de remplacer la carotte par le bâton. Son visage s’est immanquablement révélé et le peuple a chassé cet empereur avide de la reconnaissance des puissances de l’argent et qui fricotait avec l’ennemi contre les siens. Les solfériniens peuvent croire que le 6 mai 2012 est leur apogée. Mais les mêmes causes produisent les mêmes effets. Le Front du peuple qui se lève sera là pour le leur rappeler.

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