Pérou : En mémoire des victimes de la guerre civile

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Le mercredi 28 Août dernier les associations des familles de victimes ont appelé à une grande marche en mémoire aux près de 70 000 morts de la guerre civile qui a eu lieu au Pérou entre les années 80 et les années 2000. Près de 3000 personnes ont répondu à l’appel, parmi lesquelles de nombreux responsables politiques du Frente Amplio (regroupement des partis de gauche, en opposition à la politique du gouvernement actuel). Le but de se rassemblement était de commémorer les 10 ans du rapport de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR, Comisión de la Verdad y Reconciliación), chargée d’enquêter sur ces 20 ans de guerre civile et d’engager les réparations pour les familles des victimes. Il faut dire que ce conflit n’est pas un conflit mineur : il a marqué en profondeur l’histoire du Pérou et a fait en 20 années plus de morts que dans toute l’histoire du Pérou indépendant (depuis le 28 Juillet 1821).

Le lieu du rassemblement était le monument « el ojo que llora » (« l’œil qui pleure ») à Lima, érigé à la mémoire des victimes de cette guerre. Un monument à la fois sobre et émouvant : il s’agit d’une fontaine, représentant un œil versant un filet d’eau continue. Situé aux abords de la Place de la Révolution (El campo de Marte) à Lima, il fut partiellement détruit en 2007 par les partisans de l’ancien Président péruvien Alberto Fujimori, et est figure aujourd’hui au patrimoine culturel du Pérou. Des photos de victimes étaient posées au sol à proximité du monument et des milliers de galets marqués du nom de ces victimes traçaient un labyrinthe avec la fontaine pour centre. Pendant près de 2 heures de nombreuses associations, venues de toutes les régions du Pérou, se sont succédé sur l’estrade où figurait le slogan : « nunca mas » (plus jamais). Ce furent deux heures très intenses, sous un soleil vif, ce qui est rare à Lima, particulièrement en cette période de l’année. La marche a ensuite rejoint la place San Martin, ou la maire de Lima (Susana Villaran), a pris la parole, devant une foule dense, attentive et émue.

Ce rassemblement était bien plus qu’un rassemblement symbolique et de mémoire. Les séquelles de la guerre civile dans la société péruvienne sont encore importantes. Cette division du pays est particulièrement visible dans la façon dont les conclusions de la commission ont été accueillies. La gauche dans son ensemble a plutôt salué et reconnu le travail de la commission, mais une partie de la droite, Fujimoriste (du nom d’Alberto Fujimori qui a gouverné le pays entre 1990 et 2000 et qui est actuellement en prison), continue de la rejeter. Si la responsabilité du groupe maoïste du Sentier Lumineux est pointée, l’action des divers gouvernements qui se sont succédé est aussi fortement critiquée par l’acte final de la commission. En effet sur ces 20 années de conflits, les différents gouvernements n’ont pas hésité à faire preuve d’un autoritarisme sans limite, en négation totale des droits fondamentaux de l’Homme. Ce sont ainsi des milliers de personnes qui ont été emprisonnées, sont disparues ou ont été tuées par les forces de l’ordre au nom de la « guerre contre le terrorisme ». Les effets de cette politique ont été désastreux pour des milliers de familles et ont aussi été à l’origine d’une radicalisation du conflit, de l’aveu même de la commission. Le gouvernement d’Alberto Fujimori fut particulièrement féroce dans sa politique de répression, suite à son auto coup d’état (« autogolpe ») de 1992, qui lui permis de suspendre un certains nombre de droits constitutionnels et de faire passer des mesures répressives sans communes mesures. La cour suprême du Pérou a considéré en 2010 que Fujimori était bien responsable des activités du groupe colina, un escadron de la mort à l’origine de très nombreuses disparitions et morts. C’est la raison pour laquelle il purge actuellement 25 ans de prison. Et ce malgré les pressions incessantes de ses partisans pour que la grâce présidentielle lui soit accordée. Il faut dire qu’aux yeux de nombreux péruviens, Alberto Fujimori est le vainqueur de ces années de guerre contre le terrorisme. Pour le moment Ollanta Humala, Président de la République du Pérou, refuse cette grâce.

A bien des égards la marche de mercredi était un signal envoyé par les péruviens : Fujimori a sa place en prison ! Même si de nombreux autres responsables des forces de l’ordre et des services de renseignements devraient eux aussi s’y trouver. « Nunca mas impunidad » (plus jamais d’impunité), disaient les manifestants.

Il s’agit aussi d’un message envoyé par les populations indigènes, paysannes et pauvres : nous avons le droit à la justice « queremos una reparacion justa » (nous voulons une juste réparation). Car durant les nombreuses années du conflit, elles n’ont subis que l’indifférence générale, au niveau national mais aussi au niveau international. Le gouvernement États-uniens de George Bush et son bras armé impérialiste sur le continent, l’OEA (Organisation des États d’Amérique), ayant d’ailleurs reconnu le gouvernement de Fujimori suite à l’autogolpe de 1992, malgré le caractère anticonstitutionnel de cette prise de pouvoir et les demandes de l’Argentine et du Chili que le Pérou soit exclue de l’OEA. Pourtant : les disparitions (13 000 enregistrées par le CVR) furent 10 fois plus nombreuses que sous la dictature de Pinochet au Chili. Aujourd’hui encore ces 20 années de guerres ne sont presque pas connues, à l’étranger mais aussi au Pérou ou les conclusions de la mission de la CVR ont fait l’objet de très peu d’intention, pour ne pas dire de désintérêt. Voila pourquoi les organisateurs de la marche ont plusieurs fois répété le mot d’ordre selon lequel « un peuple dans mémoire est un peuple sans destin » (Beatriz Merino Lucero, « défenseur du peuple »).

Mais ce conflit, et les conclusions de la commission rendues le 28 Août 2003, est aussi un reflet des profondes divisions qui parcourent la société péruvienne. Ainsi le « portrait type » de la victime établis pas la commission fait état d’un homme, paysan, d’origine indigène et pauvre. Le conflit n’a que très peu concerné les classes supérieures et urbaines de Lima. C’est l’attentat de la rue Tarata, dans le quartier riche de Miraflores, le 16 juillet 1992, qui a touché pour la première fois véritablement ces classes supérieurs jusqu’alors plutôt épargnées. 3 jours plus tard le principal responsable du Sentier Lumineux, Abimael Guzman, fut arrêté, engageant le déclin irrémédiable du Sentier Lumineux.

Telles sont donc les raisons pour lesquelles les forces de gauche étaient présentes en nombre mercredi 28 juillet 2013 à Lima aux côtés des associations de victimes et des populations indigènes, pour exprimer leur solidarité. Pour exprimer aussi que le projet émancipateur et progressiste de la gauche ne saurait être assimilé aux actions du Sentier Lumineux et du Mouvement Révolutionnaire Tupac Amaru (MRTA).

De Lima, Arthur Morenas

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