Protectionnisme solidaire • La clef vers l’écosocialisme
Le libre-échange compromet gravement notre souveraineté. Non seulement il détruit l’industrie en France mais il est nuisible au niveau mondial. Il organise un nivellement général par le bas des droits sociaux, des normes environnementales et des salaires. Et il démultiplie le saccage de l’écosystème. Loin de la logique patronale de la « compétitivité » qui veut exporter à tout prix, nous pensons que le pays doit produire à nouveau ici ce dont nous avons tous besoin : du textile à l’électronique, en passant par l’électroménager, la chimie, la métallurgie et la transformation des matériaux (plasturgie, ameublement, etc.) ou l’agriculture.
Un outil indispensable
Le protectionnisme solidaire rend possible le respect de la souveraineté alimentaire par la mise en place d’une politique agricole paysanne au service de l’intérêt général, pour les pays du Nord comme du Sud. Et, la reconstitution d’une capacité de production industrielle nationale est impossible sans de fortes mesures de protection commerciale. La finalité de la production doit être la satisfaction des besoins : nous produisons ici ce dont nous avons l’utilité. Barrières tarifaires, quotas d’importation, visas, normes sociales et écologiques, le panel de mesures est large pour défendre un autre modèle d’échanges internationaux et de politique industrielle.
Le protectionnisme que nous défendons favorise la solidarité internationale des travailleurs, notamment par des accords de coopération loin de l’aveugle « laissez-faire » qui est toujours la loi du plus fort. Il permet de faire décroître certaines consommations et d’en faire croître d’autres. Le protectionnisme est ainsi le compagnon logique de la planification écologique et des échanges commerciaux internationaux sur la base de la coopération et de la complémentarité.
Relocaliser l’économie
En rompant avec le cadre de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) nous devrons mettre en place une politique productive nationale dans une économie relocalisée : nos objectifs seront de produire et acheter au niveau français et européen et de produire des biens utiles socialement, durables (notamment par l’allongement des durées de garantie légales) et de qualité. Un des premiers moyens de cette politique productive sera un grand service public de la qualification capable de reconstituer et d’élever le savoir-faire des travailleurs dans tous les domaines utiles. Le financement de la production sera facilité par le crédit délivré par un pôle public financier issu de la nationalisation des banques pour sortir les entreprises et les coopératives de la guerre économique mondiale qui ne permet pas de produire correctement.
Limiter le dumping social
Le protectionnisme solidaire est le moyen qui permet de rompre cette spirale infernale du tous contre tous et de contraindre les échanges commerciaux à prendre en compte la crise écologique par l’interdiction de produits suspects de toxicité ou de processus de fabrication polluants destructeurs d’écosystèmes et la mise en place de taxes (ou « contributions compensatrices »…) sur la distance de transport des marchandises. L’imposition de contributions compensatrices aux frontières et la mise en place de quotas s’imposent même, dans l’intérêt général comme dans l’intérêt bien compris de chaque citoyen (que l’on ne saurait réduire à la seule dimension du consommateur). Les deux catégories principales de distorsions inacceptables des échanges mondiaux proviennent des conditions d’organisation (droit du travail, travail forcé, travail des enfants, etc.) et de rémunération du travail (salaires, cotisations, retraites, santé, etc.) – ou plus généralement des conditions d’exploitation des travailleurs. L’objectif est d’interdire purement et simplement la commercialisation en France des produits réalisés dans des conditions de travail inacceptables et de corriger par une contribution compensatrice les distorsions de rémunération du travail.
Il s’agira donc de déterminer un coefficient corrigeant les disparités, déterminé en évaluant la part du travail dans le prix du produit, et le rapport avec le coût du capital entre la France et le pays d’importation, d’abord par pays de production puis par sociétés. Une analyse des rapports d’activité et des comptes annuels des sociétés permet de porter des diagnostics relativement précis. Des sociétés ne présentant pas de rapports ni de comptes exploitables ne devront pas être autorisées à commercialiser leurs produits en France. Ainsi, pour un produit électronique assemblé aux USA mais dont 40% de la valeur provient de composants importés de Chine et en supposant que le coefficient de correction salarial acceptable entre France et Chine soit de 1 à 5, la taxe sera de 5 x 40% = 2 fois le prix du produit. On doit pouvoir traiter une cascade de sous-traitances de cette façon. La taxe obtenue peut prendre la forme d’une compensation qui sera rendue aux pays en question si les droits sociaux et les politiques salariales progressent.
Un projet crédible
De façon à édicter des règles qui soient à la fois simples à comprendre, rationnelles, basées sur des données macro-économiques objectives (PIB et données statistiques), et résistantes aux tentatives inévitables de fraude, il faudra mobiliser les expertises qui existent au sein de l’appareil d’État : INSEE, douanes, centres techniques d’État comme le Laboratoire National d’Essais qui conduit des analyses très variées sur les produits commercialisés en France, attachés économiques des ambassades.
Des compétences spécifiques existantes dans l’industrie pourront également être mobilisées. Il est en effet de pratique courante dans l’industrie de déterminer la répartition exacte du « coût travail » et du « coût matière » dans des produits finaux sophistiqués (un téléphone portable, une automobile, un téléviseur LCD…) intégrant des composants et des sous-ensembles provenant d’une chaîne de valeur et de sous-traitance complexe (Reverse Costing). Les industriels des grands groupes s’en servent pour évaluer indépendamment le coût objectif des fournitures de leurs sous-traitants et négocier ainsi au mieux les prix d’achat. Il faudra enfin reconstituer un corps d’inspection et de contrôle des importations. Les politiques d’achat de la grande distribution feront l’objet d’un contrôle spécifique.
Le protectionnisme solidaire, élément clef de réponse à l’impasse écologique et sociale dans laquelle nous entraîne le système capitaliste et financier, est donc loin d’être une utopie ou un slogan sans lendemain. Loin de conduire à l’enfermement, il ouvre de nouvelles coopérations internationales basées sur le respect mutuel et la recherche d’échanges équilibrés. A la concurrence, il oppose l’échange équilibré et l’émulation. Il est possible de le déployer rapidement et efficacement, les compétences pour ce faire existent en France aussi bien dans l’appareil d’État que dans le secteur privé. Encore une fois, c’est la volonté politique qui doit s’exprimer. Quand on veut, ici aussi, on peut.
Boris Bilia et Jean Charles