Je sors d’une séance extraordinaire du Conseil régional d’Ile-de-France. Au menu, le SDRIF, ou Schéma Directeur de la Région Ile-de-France. En avez-vous entendu parler ? Non ? Cherchez bien. Un peu ? Vaguement ? Pas du tout ? C’est vraiment un problème car le SDRIF est le document censé planifier le développement de la région jusqu’en 2030 !
Hélas il fallait être vraiment très attentif pour être informé de l’adoption d’un nouveau SDRIF. Force est de constater que la Région n’a pas cherché à faire de ce débat l’affaire de tous les citoyens. La « concertation » a été menée selon le vice-président chargé du dossier « tambour battant ». L’expression est assez juste. Elle vient de ces soldats, les tambours, chargés de faire avancer à bon rythme les fantassins sur le champ de bataille. Mais ce qui est une qualité dans le monde militaire n’en est pas une dans les institutions démocratiques. Le débat préparatoire au SDRIF a été lancé au mois de juin, à la veille des vacances d’été. Seules pour l’essentiel quelques communes ou communautés d’agglomération ont pu faire remonter des contributions. Celles-ci portaient sur la vision qu’elles avaient du développement de leur propre territoire. Cette méthode n’a donc pas permis de faire ressortir les enjeux régionaux par-delà les intérêts particuliers locaux. Pour cela il aurait fallu procéder tout autrement en mettant les grands débats du SDRIF sur la place publique. Il aurait fallu en faire une question politique, nécessitant l’implication citoyenne, la controverse et l’arbitrage populaire. Il y avait de quoi faire. Ce texte de plusieurs centaines de pages balaie presque toutes les politiques régionales et nous engage à long terme. Il soulève des questions brûlantes. Comment faire reculer la place de la voiture ? Comment rapprocher les emplois des lieux d’habitation ? Comment garantir l’accès de tous aux services publics ? Comment loger tous ceux qui en ont besoin et résorber les inégalités territoriales ? Ce sont des sujets nécessairement conflictuels car ils brassent des intérêts considérables et remettent en question le modèle de développement actuel de l’Ile-de-France. Si elle l’avait voulu, la Région ne manquait pas de moyens pour lancer ces débats. La dernière campagne de communication régionale, qui porte sur l’avenir des jeunes, s’étale sur de nombreux 4 par 3. Dans le Parisien de cette semaine un numéro promotionnel rédigé par la Région est consacré à l’apprentissage. On y lit l’immense bêtise selon laquelle il faudrait remplacer le refrain « passe ton bac d’abord » par « passe l’apprentissage d’abord » niant la démocratisation qu’a représenté le bac professionnel qui date tout de même de 1985. Mais aucune affiche, aucun supplément promotionnel au Parisien n’a été édité pour faire connaître le SDRIF.
Cela nous désole et nous a conduits à déposer une motion demandant le report de la discussion sur le SDRIF qu’a présentée mon camarade Jean-François Pélissier.
La révision du Schéma Directeur de la Région Ile-de-France aurait pu être l’occasion de faire avancer un nouveau modèle de développement régional. C’est ce qu’a montré l’intervention de mon camarade Eric Coquerel.
Notre région souffre en effet d’un modèle de développement socialement et écologiquement intenable. Il concentre la richesse dans certains territoires et la pauvreté dans d’autres. C’est un résultat de l’adaptation à la mondialisation libérale. L’inégalité est en effet un invariant d’échelle dans le capitalisme de notre époque. Ce terme, invariant d’échelle, est utilisé en mathématiques au sujet des fractales, ces objets dont la structure se retrouve à toutes les échelles (ou dit autrement des objets donc chaque élément est aussi un objet fractal, un peu comme les poupées gigognes en quelque sorte). Dans ce cas d’espèce, cela signifie que les normes néo-libérales qui organisent la mise en concurrence dérégulée des territoires creusent les inégalités entre les Etats, puis, au sein des Etats, entre les régions, puis, au sein des régions, entre les communes, puis, au sein même des communes, entre les quartiers. Vu dans l’autre sens, cela signifie que pour lutter contre les inégalités que l’on constate localement, il faut les affronter régionalement, et résister à la logique capitaliste qui les organise mondialement. Ceci invalide la ligne qui domine la majorité régionale selon laquelle on peut lutter contre les inégalités tout en renforçant « l’attractivité » internationale de l’Ile-de-France pour participer victorieusement à la compétition mondiale des grandes métropoles. Le capitalisme de notre époque ajoute à cette injustice sociale une grave tare environnementale. La spécialisation des territoires qui découle de leur mise en concurrence multiplie les déplacements subis de personnes et de marchandises. Au final c’est du mal-vivre, surtout en banlieue, et une dégradation accrue de l’environnement par l’explosion du trafic automobile.
En fait ce SDRIF révisé n’avait aucunement l’ambition d’impulser la reconversion sociale et écologique de la Région et c’est pourquoi nous avons voté contre. Il s’agissait de mettre à jour la version précédente de 2008 en y intégrant le Grand Paris voulu par le président sortant. On retrouve ainsi dans ce document la vision par pôles de compétitivité qui était celle de Sarkozy. Un immense complexe universitaire est programmé sur les terres agricoles du plateau de Saclay, malgré l’absence de transports en commun (la ligne de métro censée desservir ne verra pas le jour avant 2025 annonce la ministre Duflot). La Défense, déjà tentaculaire, pourra être étendue avec 450 000 m² de bureaux supplémentaires. Un grand pôle d’affaires doit voir le jour à Roissy, avec à son côté une zone commerciale géante dans le triangle de Gonesse. Et pour relier ces pôles « de dimension mondiale » dans un réseau associant aéroports, universités et sièges sociaux du CAC 40, ce métro rapide (parce qu’il s’arrêtera le moins possible dans les bassins de vie) voulu par Sarkozy que Pierre Laurent avait si justement baptisé « métro classe affaires » pendant la campagne des régionales. La droite s’est d’ailleurs bruyamment réjouie : « votre SDRIF c’est le Grand Paris ». Il aurait été alors plus cohérent qu’elle vote pour comme le lui a fait remarquer le président du groupe socialiste Guillaume Balas !
Il est vrai que le tracé initial a été modifié pour mieux couvrir l’est parisien et relier des bassins de vie populaires. Il est vrai aussi que le Grand Paris a été complété d’un volet consacré à la modernisation du RER et notamment des lignes C et D. Mais comme nous l’avions dénoncé à l’époque, les financements promis par Sarkozy en contrepartie de la signature de Huchon n’étaient que des promesses verbales. Cécile Duflot a reconnu qu’il manquait au moins un milliard. Aujourd’hui on nous dit que le milliard manquant va réapparaître. Mais dans les couloirs chacun reconnaît que le calendrier sera très fortement rallongé. En plus, des travaux d’une telle ampleur financière dépendent de l’évolution de la situation budgétaire du pays et du bon vouloir des institutions indépendantes censées chargées dorénavant selon les termes du TSCG de contrôler les dépenses des Etats. Il faudra faire des arbitrages ! Qui les fera ? Le directoire de la Société du Grand Paris ? Le haut conseil des finances publiques ? Imaginez ce que seront leurs décisions vue la puissance des lobbies du CAC 40, des deux aéroport et des Grandes Ecoles coalisées pour donner la priorité à la partie du réseau qui doit les desservir dans l’Ouest parisien au détriment du plan de modernisation des RER ou des portions situées à l’Est, en Seine-Saint-Denis et même dans le Val-de-Marne qui est pourtant le tronçon consacré comme prioritaire.
C’est d’autant plus rageant de se retrouver dans cette situation que le président sortant a été sorti. Pourquoi appliquer le mauvais compromis signé avec Sarkozy quand nous pourrions en faire un meilleur avec le nouveau gouvernement ? L’exécutif de la Région craint peut-être qu’une rediscussion soit l’occasion saisie par l’Etat pour retirer ses billes ou par l’Union Européenne pour bloquer des projets très coûteux ? Décidément l’austérité est une machine à étouffer la volonté politique et à piétiner le droit des citoyens à changer les politiques conduites en leur nom. Heureusement tout n’est pas fini. Maintenant commence l’enquête publique sur le SDRIF. Alors ne ratez pas l’occasion de faire évoluer ce mauvais projet.