Egalité des droits • Emancipation, laïcité, universalisme
Le gouvernement devait présenter, lors du conseil des ministres du 7 novembre, son projet de loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe. Nous pourrions nous en féliciter mais le Premier ministre Ayrault a précisé que le texte n’abordera pas « toute une série d’autres questions – l’autorité parentale, PMA (procréation médicalement assistée), l’adoption conjointe pour les couples non mariés, le droit des tiers ». Sur ces sujets, il a renvoyé « à une loi complémentaire qui pourrait être une loi sur la famille ». Le PS fait donc le choix de présenter une loi en retrait de ses promesses de campagne. On aurait pu penser que sur cette question « de société », le gouvernement PS-EELV allait se donner une « posture de gauche » masquant ses renoncements sur les questions économiques et sociales. Or, là encore, il refuse de mener la lutte sur des idées, mettant à mal la bataille pour l’égalité des droits de tous les couples et de tous les enfants. Car si ce projet de loi était adopté en l’état, il maintiendrait des inégalités en droits selon l’orientation sexuelle des parents et ne permettrait pas de garantir une filiation pour l’ensemble des enfants déjà en situation d’homoparentalité.
En fait, le gouvernement se trouve embarqué dans un projet de loi pensé comme une opération de « clientélisme homo » et non comme une loi d’égalité des droits, estimant que le mariage « sec » pourrait être une revendication en tant que telle du mouvement LGBT… Il n’a pas compris que le mouvement LGBT porte une démarche émancipatrice et universaliste d’égalité pour régler des situations homoparentales existantes concrètes, mais aussi des valeurs progressistes concernant toutes les formes de familles. Et pourquoi le gouvernement a-t-il besoin de 5 mois pour faire adopter une loi qui, hormis la mesure symbolique du « mariage pour tou-te-s », s’annonce une coquille presque vide.
Pourquoi un projet a minima ?
La gauche gouvernementale ne se contente pas de rechercher un « compromis » en refusant de mobiliser son camp, elle fait pire. Elle est en train d’offrir, dans la société, un espace inespéré à l’Eglise catholique (mais pas seulement) en l’institutionnalisant comme « gardienne de la famille ». Comme si les réformes du droit de la famille, du droit des femmes ou de celui du droit à vivre sa sexualité avaient été le fruit d’un compromis avec les tenants d’une vision archaïque de la famille hétéro-normée. En effet, toutes les démarches d’audition du gouvernement participent de la réinstallation de l’Eglise dans le champ politique comme si elle avait « voix au chapitre » sur ce sujet comme sur d’autres.
Ainsi, Manuel Valls en septembre a participé à une béatification. C’était la première fois dans l’histoire de la République qu’un ministre de l’Intérieur se rendait lui-même à ce type d’événement ecclésial. Evidemment pas un mot sur l’obscur personnage béatifié, Louis Brisson, qui était un adversaire de la République et de l’Instruction publique laïque, ni de son antisémitisme. Rien non plus sur ces écrits où il affirmait que « la femme est fourbe naturellement » (…) ou que « la femme est traîtresse ». Cette visite c’est inscrite dans un calendrier chargé : un déplacement au Vatican pour une canonisation cette fois d’un prête missionnaire du temps de la colonisation à Madagascar, et une inauguration à Strasbourg d’une mosquée financée sur fonds publics où le ministre de l’Intérieur y a fait des déclarations consternantes en osant prétendre que le Concordat « est compatible avec notre République et notre démocratie (et qu’il) il n’y a pas de raison de le supprimer en prétextant l’exception qu’il représente ». En disant cela, M. Valls piétine la laïcité en donnant des signes de conversion à la « laïcité positive » si chère à N. Sarkozy mais surtout il prétend que l’Eglise est « dans son rôle lorsqu’elle défend des valeurs et notamment celle du mariage ». Il remet ainsi en cause la séparation de l’Etat et des églises.
Hiérarchie catholique et droite se sentent pousser des ailes
C’est dans ce contexte qu’André Vingt-Trois redouble de propos contre l’égalité des droits, au nom de la sauvegarde de l’institution du mariage et de la famille traditionnelle. Il est relayé par des voix politiques à droite qui propagent des propos clairement homophobes. La bronca des maires qui disent refuser de marier des couples de personnes de même sexe s’organise médiatiquement, relayée par les réseaux de la droite catholique (Civitas) qui prévoient pour le 18 novembre une grande manifestation familialiste réactionnaire contre l’égalité des droits. L’UMP prend le relais en menaçant, comme le fait Copé, de « descendre dans la rue ». En face le PS et le gouvernement restent silencieux. Résultat : les courants réactionnaires imposent jusqu’à leur vocabulaire : le « mariage homo », à la place de « mariage pour tous », qui renvoie à une idée qu’il s’agirait d’accorder un droit particulier !
Refuser le « mariage pour tous » c’est refuser l’égalité !
Ce débat n’est pas accessoire ou secondaire. Il renvoie à des choix de société qui, si nous cédons, pourrait s’avérer destructeurs pour notre vivre ensemble. La droite est à l’offensive. Certains comme Vanneste considèrent que l’homosexualité est une perversion. D’autres défendent une conception archaïque, sexuée et patriarcale du mariage. Pour eux, il y aurait une infériorité « naturelle » de l’homosexualité vis à vis de l’hétérosexualité. Pour eux, le mariage relève d’une vision biologiste (chacun son rôle, sa place). Ce sont les mêmes qui s’étaient opposé au mariage civil et au droit au divorce en 1792, ou au PACS en 1999.
Face à eux, le positionnement de la majorité présidentielle est inquiétant. Il laisse la voie libre aux partisans de la recomposition des droites qui sont en train d’organiser la mise en mots de la jonction d’avec l’extrême droite. Le choix des solutions tièdes aboutit à des renoncements. Car c’est l’adoption des lois laïques du début du 20e siècle qui a mis fin à des siècles de guerre de religion. Elle a permis de garantir l’égalité en droit par l’exigence que la puissance publique s’interdise de juger quiconque selon ses convictions. Aujourd’hui, l’enjeu c’est de poursuivre dans cette voie en garantissant l’égalité de toutes et tous et en interdisant à la puissance publique de trier (donc de juger) les citoyens selon leur orientation sexuelle, ou leurs enfants selon la forme de leur famille. C’est cette nouvelle étape de l’émancipation qu’il s’agit de conquérir. Raison de plus de combattre tout autant la droite réactionnaire que la stratégie d’un gouvernement dont la ligne d’action politique est de démobiliser la société et de n’afficher aucun volontarisme car ils ne souhaitent ni confrontation, ni rupture. Nous avons au contraire besoin de rupture car maintenir le mariage comme un contrat entre « un homme et une femme », c’est en fait maintenir le patriarcat comme « naturel donc immuable ».
Jean-Charles Lallemand
Pascale Le Néouannic
Respect de la loi
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