A gauche pour de vrai ! • Lettre ouverte à Marc Dolez d’un militant du PG
Cher camarade, cher Marc,
Tu décides aujourd’hui de quitter le Parti de Gauche après avoir quitté en 2008 le Parti Socialiste. À gauche pour de vrai !, ta décision ne peut nous laisser sans réaction, car comme toi, nous avons milité au sein de l’aile gauche du parti socialiste, comme toi nous l’avons quitté face à l’impossibilité de bouger la ligne sociale démocrate de ce parti. Alors comme toi nous avons rejoint le Parti de Gauche dans l’espoir de refonder une gauche véritablement sociale, écologique et républicaine. Mais nous, nous restons et réagissons aux motivations que tu avances.
Le Parti de Gauche dis tu, est dans une opposition au Parti Socialiste alors qu’il devrait être dans une opposition à la droite. Tu aurais raison cher Marc si nous appliquions comme tu le fais une grille de lecture ancienne de ce que doit être l’action politique : critiquer la droite quand on est de gauche, critiquer la gauche quand on est de droite. Cette ancienne façon de faire, qui promeut finalement l’immobilisme sur un échiquier convenu, où la partie est connue de toutes et tous avant même qu’elle ne commence, détourne les citoyens des urnes et de l’idée même de la politique. Car l’important en politique, comme ailleurs finalement, n’est pas la position de principe, attendue et convenue. Mais bel et bien le combat pour les idées, les principes, les convictions. Hier, avant le 6 mai 2012, le Parti de Gauche s’opposait à la règle d’or. Hier, avant le 6 mai 2012, le Parti de Gauche s’opposait au TSCG. Hier, avant le 6 mai 2012, le Parti de Gauche s’opposait à toutes formes de TVA anti sociale. Alors, au lendemain du 6 mai 2012, le Parti de Gauche défend ses convictions contre une politique soumise à quelques oligarques financiers qui imposent et obtiennent de François Hollande ce qu’ils obtenaient déjà de Nicolas Sarkozy. De là où nous militons, nous n’aurions pas compris un soudain changement d’orientation du Parti de Gauche au seul motif qu’à l’assemblée et au gouvernement une alternance s’est produite, mais pas une alternative. Et pour tout te dire cher Marc, si d’aventure le Parti de Gauche avait cessé de s’opposer à ces politiques monétaristes et financières alors nous aurions pensé à le quitter. Mais heureusement il continue à porter le fer plutôt que de se résoudre à la résignation qu’impliquerait, comme tu le suggères, une simple alternance de personnes.
Jean-Luc Mélenchon a eu tort, affirmes-tu, de jouer « comme on joue au poker » le capital électoral acquis durant la présidentielle du côté d’Hénin-Beaumont contre Marine Le Pen. Il est vrai que de ton côté tu étais carrément pour un soutien du Front de Gauche au candidat socialiste. Dans ta logique, il valait mieux activer le bon vieux front républicain contre le Front National. Là encore tu sembles appliquer une grille de lecture ancienne, très ancienne même. Cela fait maintenant 30 ans que l’argument utilisé contre le FN est systématiquement et uniquement celui du vote utile. C’est-à-dire une vision purement arithmétique de ce qu’est un affrontement politique. Avec cette vieille grille, rien sur le fond des idées, rien sur le fond des pratiques. Surtout rien. Juste l’agitation de la menace FN pour garantir, avec l’aide de coalitions improbables, son élection sans avoir à affronter POLITIQUEMENT l’extrême droite. Jean-Luc Mélenchon, en allant dans le fief de l’héritière FN, démonter un à un les éléments de la propagande frontiste et avancer une à une les propositions de l’humain d’abord, front contre front, ne fait que poursuivre le débat engagé contre le FN durant la présidentielle. Il redonne un espoir : le FN n’est pas une fatalité qu’il faut électoralement gérer, mais le résultat des politiques financières et libérales conduites depuis la fin des années 70. Cette orientation était déjà fortement présente durant la présidentielle. Et tu te félicites toi même du très bon score obtenu le 23 avril. Alors pourquoi, subitement, au lendemain du 6 mai, aurait-il fallu faire volte-face ? Pour toi, Jean-Luc Mélenchon a simplement hypothéqué le capital électoral du Front de Gauche tout entier en allant sur le terrain pour faire de la politique contre Marine Le Pen. Pour toi, mener l’action politique sur le terrain consiste donc finalement à gérer un capital, en bon père de famille, sans prendre de risque. Et pour tout te dire cher Marc, si d’aventure le Parti de Gauche devait cesser de lutter politiquement contre le FN et lui préférer une stratégie « tranquille » de gestion d’un capital électoral, alors nous pourrions penser à le quitter. Mais heureusement il poursuit sa marche rouge contre la régression brune.
Le Parti de Gauche privilégie l’écologie au détriment de la question sociale affirmes tu. L’argument classique et surtout traditionnel des adorateurs du productivisme. Là encore, ta grille de lecture date d’une époque totalement révolue. Le dumping social, les délocalisations, le chômage, la précarité, l’accroissement de la pauvreté, proviennent de cette marchandisation de toutes les ressources de la planète dans le seul but d’accroitre, encore et encore, les profits de quelques multinationales, et tant pis si pour y parvenir on use jusqu’à la moelle les ressources naturelles. Ainsi, produit-on à un bout du monde, le fruit ou le légume, la voiture ou la télé, le vêtement ou l’acier que l’on va consommer à un autre bout de ce monde. Juste parce qu’il est plus facile d’exploiter des salariés, hommes, femmes enfants à un bout du monde plutôt qu’à l’autre. Sauf que les consommateurs riches des pays riches perdent leur emploi parce que leur usine s’est délocalisée. Sauf que les ouvriers des pays pauvres sont exploités plus que rémunérés. Le productivisme libéral c’est la précarité et la pauvreté sociales du présent. L’écosocialisme c’est la protection sociale de demain. Et pour tout de dire cher Marc, si jamais le Parti de Gauche devait retourner dans le monde passé des mythes et des légendes de la croissance obtenue par une consommation frénétique, donc d’une production abusive et irresponsable, alors nous pourrions penser à le quitter. Mais heureusement, sous l’impulsion d’une Martine Billard, d’une Corinne Morel Darleux, d’un Mathieu Agostini, le Parti de Gauche rentre fièrement dans la modernité de l’écosocialisme.
Jean-Luc Mélenchon et le Parti de Gauche tout entier jouent perso et se « cornérisent » déclares-tu. Pourtant, lors de son Conseil National qui s’est tenu pas plus tard que ce samedi 15 décembre, nous apprenions qu’il était désormais fort de 12 000 adhérents, c’est-à-dire un doublement de ses militants en à peine 3 ans. 5 plates formes ont été présentées par des camarades différents aux idées différentes, mais tous résolus à avancer unis pour affronter les épreuves de l’austérité, l’entrée dans le nécessaire écosocialisme, l’avènement d’une république sociale et solidaire. Pendant ce temps, où étais-tu ? Tu aurais dû venir t’exprimer, et présenter pourquoi pas ta propre plate forme. Et nous en aurions tous débattu ensemble. En revanche, c’est seul, tout seul, et contre l’avis du Parti de Gauche, que tu votes les contrats d’avenir, un machin compliqué de plus pour alléger les cotisations sociales patronales, avec l’UDI, s’il vous plaît Monsieur. C’est seul, tout seul, contre l’avis de ton parti que tu t’abstiens sur le budget plutôt que de voter contre. Cette « stratégie » du ni oui, ni non, cette stratégie du « on ne dit rien sur le PS, on ne dit rien sur le FN », cette stratégie où finalement on n’affirme rien, si ce n’est en douce dans un quotidien qui est devenu la vitrine de l’Élysée et de Matignon, a-t-elle rendu visible une seule de tes actions à l’assemblée ? Cette stratégie ne t’a-t-elle pas plutôt cornérisé toi, aussi bien dans ton parti qu’en dehors de ton parti ? Enfin, les Français ne voient pas les choses comme tu les vois. Lorsqu’on leur demande qui ils souhaitent voir plus présents sur la scène politique pour les défendre, ils ne citent pas ton nom, cher Marc. Mais celui de Jean-Luc Mélenchon qui arrive en 4e position des personnalités de « gauche ». Mieux, il est le seul à progresser de 4 points en décembre selon l’institut BVA, de 6 points auprès des sympathisants de gauche. Quant au Parti de Gauche, qui se gauchise trop à tes yeux, qui s’extrémise trop à tes yeux, que se la joue trop perso à tes yeux, il est le parti de gauche alternatif au PS qui a la meilleure image auprès des Français, devant tous les autres partis de la gauche, avec 31 % d’opinions positives. Il progresse même de 2 points en cette fin d’année 2012. Sa stratégie de combat contre le libéralisme, contre le F Haine, pour un écosocialisme ambitieux te déplaît, certes. Mais elle plaît aux Français !
Finalement mon cher Marc, ton départ du Parti de Gauche est d’une imparable logique. Le Parti de Gauche te propose d’inventer le 21e siècle, de le façonner afin que l’humain passe d’abord. Tu t’y refuses, car tu ne comprends pas cette modernité qui s’impose face à un monde passé qui se prend le mur de l’impasse avec une violence extrême. Le parti de Gauche ferait le pari de l’écroulement du PS déclares tu. À gauche pour de vrai ! nous constatons bien plus l’écroulement d’un monde ancien. Et si d’aventure le PS devait s’écrouler et le FN triompher, comme tu le prophétises, ce sera parce que les partis de la gauche humanistes, écologiques et socialistes n’auront pas relevé les défis d’un monde qui se transforme radicalement. De cette transformation une clarté peut naître. Mais à vouloir poursuivre les méthodes de l’Ancien Monde, comme finalement tu le suggères, l’obscurité brune s’imposera effectivement.
Sydne93