Accords sur la flexibilité : ni la CFDT ni le PS n’ont trahi
« Le code du travail, au fond, ça résume notre réelle divergence.
Vous, vous y croyez toujours et moi je n’y ai jamais cru.»
Jérôme Cahuzac à propos de la femme de ménage de sa clinique
(Par Thomas Pizard)
Au risque de vous surprendre, mes ami-e-s, ni le PS ni la CFDT ne nous ont trahis. En signant les accords sur la flexibilité du travail pour l’une, en acceptant d’en faire le cœur d’une loi à venir pour l’autre, les deux organisations aux destins liés n’ont pris personne en traître. Dès lors que nous prenons le temps de nous pencher sur l’évolution de cette centrale et de ce parti. Alors, évidemment, je suis radicalement opposé au texte que le Medef, la CFDT, la CFTC et la CGC ont signé vendredi 11 janvier. Oui, à mon sens, il constitue une étape dramatique de la régression sociale. Mais il ne faut pas se montrer surpris : tant la signature de la CFDT que l’aval du parti dit « sérieux » étaient prévisibles voire annoncés.
D’abord, revenons sur cet « accord », sur ce que le patronat appelle « flexicurité ». Le Parti de gauche l’a résumé par la voix de Martine Billard et je partage grosso modo cette analyse :
Le Medef a obtenu tout ce qu’il voulait : les licenciements seront plus faciles, les délais de recours plus courts et la possibilité d’aller en justice plus difficile.
Les salariés n’obtiennent que des miettes et au lieu de durcir les conditions d’utilisation des CDD, la taxation introduite ne concerne même pas tous les CDD et pourra être contournée sans problème. Et si la demande patronale de nouvelles exonérations est acceptée, ce sont 40 millions qui seront économisés par le patronat sur le dos de l’Unedic.
Exit donc la notion de redistribution des richesses. Exit surtout la feuille de route fixée par le résident de la République lui-même autour de la conférence sociale : il n’y aura pas de « sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels ». Au nom de la « crise », le Medef a gagné sur toute la ligne. Il a obtenu, au nom de « la lutte pour l’emploi », l’assurance que le Code du travail ne soit plus « un obstacle » pour les entreprises. L’organisation politique dirigée par Laurence Parisot a bien profité, en la matière, des concessions annoncées par le gouvernement dès octobre dernier sur le « coût du travail ».
Cela fait plusieurs fois que j’évoque dans ces colonnes le renoncement idéologique du PS. Pour les dubitatifs, il a été clairement illustré par les positions prises par le ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, lors de son face à face avec Jean-Luc Mélenchon, lundi 7 janvier. Je vais laisser les mots à mon ami pour de vrai Sydné qui a décrypté les propos du ministre :
On doit rembourser la dette. Peu importe son origine, peu importe son injustice, peu importe sa cruauté. Quand on est “responsable” on ne se soucie pas de ce genre de détail. Pour Cahuzac, l’assassin du socialisme, il ne s’agît pas d’un simple remboursement, mais bien plus de ne pas se mettre à dos les maîtres créanciers. Sinon ils risqueraient de se fâcher et de ne plus prêter d’argent aux taux qu’ils décident, aux conditions de remboursement qu’ils fixent. Parce que la dette c’est leur gagne-pain, le moteur de leur système.
La ligne politique de la « gauche du PS » est une fois encore foulée aux pieds. Finie la politique qui peut, qui agit, qui se donne les moyens de transformer le réel. Place à la « gauche » d’accompagnement des oukases du capital sur fond de « l’Etat ne peut pas tout ». La référence rappelle que ce renoncement remonte à loin. Le gouvernement de Lionel Jospin, qu’il est de bon ton de considérer comme « le plus à gauche du monde à l’époque », a ouvert la voie royale au social-libéralisme, en le mettant en œuvre quand les mots se voulaient d’un joli rose rouge. Faut-il rappeler que le premier acte du Premier ministre Jospin a été de signer le traité d’Amsterdam auquel il s’était opposé durant la campagne des législatives de 1997 ? Dès lors, Jospin et ses proches ont accepté de priver volontairement l’Etat, outil de l’intervention publique, des moyens d’agir. C’est ici qu’il faut chercher les premiers renoncements concrets du PS. L’aval et la justification des accords sur la flexibilité et la précarisation découlent directement de ce choix opéré à la fin d’un printemps vieux de 15 ans.
Pour la CFDT, la bascule remonte à plus loin encore. Si jamais bascule il y eut vraiment. Sur ce point, le débat fait rage entre les spécialistes de la question. Je me souviens d’avoir eu des discussions passionnantes sur le sujet, lorsque j’étais journaliste à La Marseillaise, avec Gilles Marcel, alors secrétaire général de l’Union départementale CFDT des Bouches-du-Rhône ; Jean-Marc Canvagnara ou Jean Sicard, ces deux derniers sont aujourd’hui au Parti de Gauche. Pour faire simple et ne fâcher personne, on va admettre que la « révolution idéologique » de la CFDT date du congrès de 1988 qui voit triompher une ligne d’ « adaptation du syndicalisme face aux mutations économiques et sociales ». Elle sera approfondie dans la période 1992-1998 sous les mandats de Nicole Notat.
Je m’efface derrière mon ami Allain Graux, auteur d’une fondamentale Histoire des syndicats en France. Dans le chapitre consacré à la CFDT, il revient sur l’évolution de la centrale orange sous la direction de celle que l’on nommait gentiment « la tsarine » :
La CFDT abandonne définitivement « la transformation sociale » pour se livrer au pragmatisme qu’elle nomme la recentralisation de l’action syndicale. Elle s’oppose à la grève de 1995 et soutient les réformes Juppé sur les retraites lors des évènements de novembre- décembre. Le congrès de Lille en 1998 est essentiel puisqu’il a permis de clarifier la conception du syndicalisme CFDT : un syndicalisme confédéré qui fait le choix de l’adaptation, de la négociation, de la lutte contre l’exclusion et pour l’emploi, d’une mondialisation ordonnée et solidaire.
L’achèvement de cette mutation idéologique est certes portée par une direction homogène. Mais elle est bien vite assimilée par la base. Les militants s’en revendiquent. C’est ce que montre fort justement l’étude Les Militants CFDT aujourd’hui, pratiques syndicales et rapport au politique réalisée par le Cevipof, le CNRS et Sciences Po :
Des militants de tous secteurs professionnels partagent la conviction que le syndicat doit savoir « donner des contreparties » et « faire des concessions » : le but de la négociation est d’arriver à un résultat qui convienne à l’un et l’autre côtés et exprime un équilibre « entre les intérêts patronaux et les intérêts des ouvriers ». L’entreprise est peu suspecte de philanthropie mais comme acteur central de l’économie, n’a-t-elle pas toute légitimité à faire des bénéfices ? L’engagement dans le dialogue social justifie que le Medef défende l’intérêt des entreprises à la table des négociations collectives nationales. Il faut, pour les salariés, améliorer le possible par le compromis et refuser toute place à l’affrontement. Cette lecture est renforcée par l’analyse de la crise : le dialogue s’impose d’autant plus que les entreprises ont des difficultés.
Il apparaît donc clairement une « gauche de contrat » qui s’oppose avec force et cohérence à une « gauche de combat ». Le bloc PS-CFDT s’estime triomphant dans ce combat ayant, grâce à l’intelligence tactique de Mitterrand, flingué le PCF (ou du moins le croient-ils) en tant que force militante d’un côté et profitant, de l’autre, du syndrome Fukuyama : « Le communisme est mort, le capitalisme a gagné, l’histoire est finie ». Las, l’heure de la fin de l’histoire n’a pas sonné. Et la gauche de combat a bel et bien repris du poil de la bête.