L’écosocialisme : le républicanisme du XXIe siècle ?

Vitelecosocialisme

Des OGM à Fukushima, l’évidence de la crise ­écologique interpelle chaque jour le citoyen. Or le souci de soi et celui de la nature ne suffisent plus, même s’ils prêtent à penser, pour construire notre avenir, si nous ne leur associons pas une conscience politique.

Le socialisme et l’écologie ont en commun de refuser la primauté de la rentabilité à court terme du capitalisme. Si le premier semble proclamer l’humain d’abord et le second l’écosystème avant tout, ils devraient se rejoindre pour considérer que l’expansion capitaliste doit être stoppée, pour la défense du principe d’égalité d’un côté et de la protection du monde naturel qui nous entoure de l’autre. Tous les mouvements qui ont pensé l’émancipation collective et le progrès de la vie humaine ont en commun la recherche de l’intérêt général. Aujourd’hui, l’émancipation humaine exige de ne pas aliéner le cadre naturel, et la valorisation des conditions naturelles de notre ­existence sur Terre est impossible sans des exigences fortes pour la vie sociale contre l’ensemble des formes de domination. Telle est la perspective écosocialiste, synthèse des traditions socialistes, écologistes et républicaines, qui nous invite notamment à relire Marx et Rousseau.

Penseur matérialiste, Marx ­comprend l’homme comme un ­vivant, intégré dans la nature dans laquelle il agit par l’intermédiaire du travail, lieu de l’interaction entre le corps de l’homme et son environnement. Si le travail possède une dimension émancipatrice, car il permet un progrès dans les conditions de subsistance, le capitalisme le dénature en en faisant une aliénation pour le travailleur et considère finalement la nature comme un simple moyen pour la production de profits. On ne saurait cependant, à l’instar de la deep ecology, opposer l’homme et la nature, faire de cette dernière une valeur transcendante qui s’imposerait à lui. Il s’agit de penser les conditions d’émancipation au sein de la nature. Parce qu’il n’est porté que par la logique de l’intérêt individuel à court terme, le capitalisme ne peut être moralisé, sain et régulé. Son dépassement dans une économie populaire, écologiquement et socialement planifiée, est nécessaire.

De manière plus surprenante encore, la pensée républicaine, inspirée par Rousseau, peut y voir un renouveau de sa propre tradition. Non pas le Rousseau des Rêveries, mais bien celui des textes politiques, et de l’incompatibilité de l’intérêt général et des intérêts particuliers. Critique souvent ignoré des vices de l’économie de marché, Rousseau développe un républicanisme radical qui s’affirme contre le despotisme aussi bien que contre la dictature en herbe des lois de l’économie. Les seules lois qui s’imposent aux hommes sont celles qui sont issues de la volonté générale du peuple. La survie de l’humanité dans des conditions raisonnables implique que l’idéal républicain soit associé à une redéfinition de l’intérêt général à l’aune du bien ­commun universel, incluant notamment les éléments de première nécessité à toute vie humaine, comme l’eau.

Loin de toute doctrine sociale-libérale ou de tout capitalisme vert, la formule conceptuelle de l’écosocialisme rassemble deux notions qui se retrouvent autour d’une finalité unique : la préservation du bien naturel universel et la promotion de l’égale dignité des hommes. La crise que nous vivons pose l’impossibilité de poursuivre l’accumulation du capital, c’est-à-dire de prolonger un développement du seul point de vue de la croissance du profit. Si tout républicanisme est un humanisme, vivere civile et buen vivir deviennent indissociables. Pour une émancipation de tous, la République sociale ne pourra donc être que la République écologique.

Christophe Miqueu : Auteur de Penser la République, 
la guerre et la paix sur les traces de 
Jean-Jacques Rousseau (éditions Slatkine) 
et de Spinoza, Locke et l’idée de citoyenneté. Une génération républicaine à l’aube 
des Lumières (« Classiques » Garnier).

Benoît Schneckenburger : Auteur d’Apprendre à philosopher 
avec Épicure (Ellipses) et de Populisme, le fantasme des élites (Bruno Leprince éditions).

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