Privatisation • Quand la Bibliothèque nationale de France privatise le domaine public

« Tu dis : “ Cette pensée est à moi. ” Non mon frère,
Elle est en toi, rien n’est à nous.
Tous l’ont eue ou l’auront. Ravisseur téméraire,
Au domaine commun bien loin de la soustraire,
Rends-la comme un dépôt : Partager est si doux ! »
Henri-Frédéric Amiel, Rien n’est à nous (1880)

C’est le 15 janvier 2013, qu’ Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, Louis Gallois, commissaire général à l’investissement, et Bruno Racine, président de la Bibliothèque nationale de France, se « félicitent de la conclusion de deux nouveaux accords de numérisation et de diffusion des collections de la BnF, couvrant les livres anciens et les fonds musicaux » [1]. Ils ont été bien avisés de se féliciter eux-mêmes car à ce jour, personne ne s’est précipité pour se joindre à eux ; bien au contraire : de tous côtés, les protestations fusent. Les premières critiques furent émises par le site Actualitté qui suit l’affaire depuis longtemps, suivi de près par Philippe Aigrain sur son blog, et le communiqué commun de La Quadrature du Net, SavoirsCom1, Creative Commons France, L’Open Knowledge Foundation France et Communia, rejoints rapidement par Framasoft, Regards Citoyens, Veni Vidi Libri, Le Parti Pirate, Libre Accès,Vecam, Liber TIC et PiNG, puis par Calimaq, par l’Association des bibliothécaires de France (ABF) et par Interaction Archives, bibliothèques et documentation (IABD), sans oublier Wikimédia (avec quelques nuances), ni les syndicats CGT et FSU de la BnF. Une pétition est en ligne qui a déjà reçu des milliers de signatures.
Nous reprenons ici les principaux arguments de ceux qui contestent les accords passés par la BnF.

Le contenu des accords

Puisque ces accords n’ont pas été publiés, on ne peut en savoir que ce qu’en disent les signataires, notamment à travers le communiqué de presse cité plus haut [2]. Selon ce communiqué, les accords portent sur la numérisation par des sociétés privées de deux séries de documents : les livres anciens, antérieurs à l’année 1700, au nombre de 70 000, et un lot de 200 000 disques en vinyle. Ils ont été conclus par une filiale de la BnF, « BnF Partenariats » (eh oui, une bibliothèque peut avoir une filiale, comme n’importe quelle entreprise capitaliste…), avec les sociétés ProQuest (États-Unis) pour les livres et Believe Digital (France) et Memnon Archiving Service (Belgique), pour les disques. Aux termes des accords, les livres et disques numérisés ne seront accessibles pendant dix ans que dans les murs de la BnF, et soumis aux conditions d’accès de cette institution, à l’exception de 3500 livres (5 %) qui seront accessibles immédiatement et gratuitement sur le portail de la BnF, Gallica. Les sociétés privées contractantes auront l’exclusivité de la commercialisation des versions numérisées des livres et disques pendant dix ans. Pour les autres aspects de ces contrats, notamment la répartition des recettes des ventes entre la BnF et ses « partenaires », rien n’est public.

La commercialisation du domaine public

Précisons tout d’abord que ces accords portent sur la numérisation de ce que l’on appelle le domaine public littéraire et artistique. Or ce domaine public, par définition, appartient à tout le monde, ou à personne, comme on voudra, il est en tout cas de libre usage, y compris commercial. Nous achetons depuis longtemps des œuvres d’auteurs classiques qui sont dans le domaine public ; les éditeurs les rééditent régulièrement et les vendent pour couvrir leurs frais de production et un peu plus, avec cet avantage non négligeable qu’ils n’ont pas de droits d’auteur à payer sur ces ventes [3]. Par contre, on peut se demander s’il est dans la vocation des bibliothèques, en l’occurrence de la BnF, de procéder à cette commercialisation qui relève, autant que l’on sache, plutôt des éditeurs et des libraires. Car la vocation première d’une bibliothèque publique est bien la communication au public le plus large possible et dans les meilleures conditions possibles de la documentation culturelle que les créateurs et les contribuables d’un pays lui ont permis d’acquérir et de conserver. À cet égard, la Bibliothèque nationale de France se doit-elle une attitude exemplaire, en tant que première bibliothèque du pays, financée sur fonds publics, et détentrice du dépôt légal de toute œuvre réalisée en France. On peut donc dire que la BnF sort de son rôle lorsqu’elle se lance dans les affaires. C’est sans doute pourquoi elle a créé une filiale spécialisée.

Le partenariat public-privé (PPP)

lire la suite de l’article sur le sited’origine : http://www.acrimed.org

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