Décentralisation ? Non, féodalisation !

Ren%c3%a9_revolUn avant projet de loi mettant en place ce qu’on appelle l’acte 3 de la décentralisation est en circulation par  mi les parlementaires et les responsables des collectivités territoriales et doit être envoyé par le gouvernement avant fin janvier pour avis au Conseil d’Etat. Puis ensuite le débat parlementaire sera engagé dés mars pour aboutir dans l’année à une loi définitive pour que les prochaines élections municipales (2014), départementales et régionales (2015) se tiennent dans le cadre de cette nouvelle architecture. La lecture de cet avant projet m’a particulièrement inquiété et c’est pour éclairer ce débat à venir que j’écris cette note.

Cette réforme des collectivités territoriales est présentée comme l’acte 3 de la décentralisation. L’acte 1 avait été constituée par les lois Defferre de 1982 et l’acte 2 par la réforme Raffarin de 2004. Or cette nouvelle réforme a été préparée par le précédent gouvernement Fillon-Sarkozy et est poursuivie par l’actuel gouvernement Ayrault-Hollande avec des modifications marginales. Il nous faut donc étudier de près ce texte, dont les conséquences sont importantes pour le fonctionnement de notre République. Avant d’analyser dans le détail les conséquences du projet de loi actuellement élaboré en ce moment, il est utile dans une première partie de rappeler les orientations générales des élites néolibérales concernant les collectivités locales qui ont imposé leur philosophie générale, tant dans les cercles dirigeants de la droite que dans une partie de la gauche.

Première partie :

L’axe bureaucratique contre l’axe démocratique

Notre République est le résultat d’une construction historique et le fruit de nombreux combats sociaux et politiques. Ces combats ont comme fil rouge la nécessité d’assurer la souveraineté populaire sur les institutions publiques. Les trois étages qui ont constitué la France républicaine depuis 1789 jusqu’à nos jours sont clairement identifiés (nation, département, commune) et soumis à l’expression de la souveraineté populaire par le biais du suffrage universel direct. Au niveau national l’élection du parlement au suffrage universel garantit que la capacité de faire la loi est soumise à la volonté populaire ; l’élection au suffrage universel du président de la république ne fait que s’ajouter à cet aspect (sans aborder ici le débat sur ses effets antidémocratiques de l’élection présidentielle). Il en découle que la Loi votée par le parlement est la même pour tous sur tout le territoire national, assurant le caractère unique et indivisible de la République, participant de l’exigence de l’égalité des citoyens face à la loi. A l’échelle territoriale la République s’est toujours refusée à hiérarchiser les collectivités locales, aucune collectivité ne peut ainsi exercer une autorité tutélaire sur une autre. Elles se distinguent uniquement par le territoire couvert et par les compétences exercées. La collectivité locale centrale de la République Française est la Commune. La libre administration des communes, inscrite dans notre droit fondamental actuel, est l’héritière du combat pour les libertés commencé dés le Moyen-âge par la revendication de la liberté communale. L’élection des mairies au suffrage universel direct a été une conquête des républicains contre tous les pouvoirs autoritaires et anti démocratiques de l’ancien régime, de l’Empire ou du régime de Vichy.

L’autre institution locale héritée de la Révolution est le département avec l’élection au suffrage universel de son assemblée, le mal nommé Conseil général. Donc commune, département et parlement sont les trois piliers de ce que j’appelle l’axe démocratique de notre république, chacun étant issu du suffrage universel direct. Cela ne signifie pas que tout est parfait dans ce système institutionnel, loin s’en faut (on peut par exemple discuter le mode de scrutin uninominal à deux tours à l’échelon national et départemental qui, à la différence du scrutin proportionnel, empêche une grande partie de la population d’être représentée) mais ces institutions sont au fondement républicain de notre vie politique.

Or à ce triptyque républicain « nation-département-commune » s’oppose un autre modèle de gestion des territoires fondé sur le triptyque Europe-Région- Agglomération. Ces niveaux d’exercice du pouvoir se sont graduellement imposés dans les 50 dernières années. L’Europe est le fruit de la construction européenne et des transferts de souveraineté de la nation vers les institutions européennes depuis 1957 qui se sont accélérés après l’Acte Unique de 1986 puis les séries de traités depuis Maastricht en 1992. La région, refusée par les républicains depuis la fin des Provinces féodales de l’Ancien Régime, est apparue dans les années soixante dans le cadre de la réforme gaulliste de l’Etat puis a conquis une plus grande place avec la réforme Defferre de 1982. Enfin dans les décennies 1990 et 2000 des textes, dont la loi Chevènement de 1999, substituent à la coopération intercommunale les communautés de communes et autres agglomérations. Ce triptyque repose sur un argumentaire rationaliste : l’espace européen serait plus efficace que l’espace national dans le cadre d’une mondialisation croissante, l’espace régional serait plus adapté à la compétition intra-européenne que le département trop petit ; quant aux 36000 communes françaises elles seraient une exception française archaïque inapte à traiter les enjeux des territoires et les communautés de communes, agglomérations et métropoles seraient plus adaptées à une gestion moderne du territoire. Cette rationalité bureaucratique est au cœur du discours moderniste partagé par les élites politiques au pouvoir depuis trente ans et qui défend un nouveau modèle de gestion des territoires, ou, pour parler la novlangue néolibérale, un nouveau modèle de « gouvernance » territoriale.

Un modèle de compétitivité des territoires et de défiance du citoyen.

Ce modèle bureaucratique est fondé sur deux principes dominants :

Premier principe : la compétition territoriale. C’est l’importation dans le domaine des collectivités territoriales du principe économique, dominant depuis le triomphe du capitalisme financiarisé et mondialisé, de l’offre compétitive. Sans développer cette notion ici, on peut la résumer par l’idée que la croissance économique ne passerait plus par la hausse de la demande privée et publique (pouvoir d’achat en hausse et régulation publique) mais par une amélioration de la compétitivité de l’offre. En d’autres termes dans la capacité du secteur productif privé d’un territoire de conquérir des parts de marché sur les autres, par le jeu combiné de la baisse des prix et de l’innovation, d’où l’antienne de la baisse du coût du travail et des dépenses publiques, de la réorientation des dépenses sociales « improductives » vers des dépenses « productives ». Cette doctrine économique néolibérale sert de doxa et d’inconscient aux élites ; même si la crise mondiale depuis 2008, fruit de cette politique, a ouvert un champ plus élargi de critiques. On transfert donc aux territoires et aux collectivités publiques la logique de la compétitivité. Le but de la gestion d’un territoire consisterait à créer de l’attractivité pour les investissements en vue de créer emploi et prospérité. Ce discours propagandiste, vous pouvez le lire à longueur de colonnes dans les publications des journaux édités par les Régions et les Agglomérations ou Métropoles. Il faut baisser les impôts sur les entreprises (voire multiplier les zones franches et autres cadeaux de toute sorte), favoriser la mobilité et la formation de la main d’œuvre adaptée à ces entreprises arrivantes. Dans la compétition mondiale les grandes métropoles devraient se livrer une guerre sans merci pour conquérir aux détriments des

autres les activités porteuses. La conséquence en est naturellement l’appauvrissement et la désertification des autres territoires urbains ou ruraux éliminés de cette compétition. Dans certains pays centralisés comme la France ces territoires moins compétitifs ont pu bénéficier des mécanismes de redistribution de revenus et de services publics qui servent ainsi d’amortisseurs. Mais la baisse des dépenses publiques ne peut qu’affaiblir cette capacité de résistance ; ces territoires semblent dans cette logique voués à la paupérisation (comme le montre le chercheur Laurent Davezies dans son dernier ouvrage La crise qui vient). Quant aux fleurons de la compétition, dans les métropoles, la priorité est donnée à l’attractivité au détriment de la solidarité. La politique d’aménagement urbain est entièrement dirigée par la nécessité de favoriser la compétitivité du territoire. C’est le fondement de tout le discours gestionnaire dominant, notamment à la tête des régions et des grandes agglomérations.

Deuxième principe : éliminer le « biais démocratique ». Je tire cette expression des penseurs néolibéraux notamment américains qui développent l’idée que la démocratie a un défaut (biais) majeur qui nuit à l’efficacité économique. Ce vieil argument réactionnaire – développé par Vilfredo Pareto, économiste très libéral du début du XXe siècle qui applaudit à l’arrivée de Mussolini [preuve que le libéralisme économique s’accommode mal du libéralisme politique] – a été remis à la mode par les économistes libéraux contemporains (notamment l’école de Virginie). L’idée en est simple si ce n’est simpliste : en démocratie le peuple a intérêt à élire ceux qui leur promettent plus de pouvoir d’achat, plus de services et moins d’impôts ; la démocratie ne peut donc n’être pour ces auteurs que source d’inflation et de déficit public ! Ils en concluent qu’il faut sortir du champ démocratique toutes les décisions économiques notamment monétaires et budgétaires pour les soumettre soit à une macro-règle qui s’imposerait à tous, soit à une institution indépendante de la souveraineté populaire, voire aux deux en les combinant – comme on le voit avec les institutions de l’Union Européenne. On avait peine à croire il ya quelques années qu’un tel cynisme antidémocratique ait pu être couché noir sur blanc et on pensait qu’il ne s’agissait que des élucubrations d’intellectuels isolés. Or cela est désormais en train de se mettre en place à tous les échelons pour éloigner la gestion des institutions publiques des choix citoyens. Et c’est là que nous retrouvons notre moderne triptyque.

C’est au niveau européen que le « biais démocratique » a été le plus éliminé : la gouvernance européenne a récupéré directement ou indirectement la majorité des outils économiques que les nations membres lui ont transférés ; ils sont entre les mains d’institutions non élues (BCE, Cour de justice, Commission…), sans contrôle d’un parlement européen croupion (sans les pouvoirs d’un vrai parlement ni de réelle légitimité vue l’énorme abstention pour son élection), et bénéficiant de la complaisance des dirigeants nationaux qui se soumettent à un système de règles contraignantes. Les institutions européennes, éloignées de tout réel contrôle démocratique, ont pris le pas sur les échelons nationaux légitimement élus.

La Région est le seul membre du triptyque qui soit le fruit d’une élection au suffrage universel direct. Mais cela n’est le cas que depuis une vingtaine d’années ; la légitimité historique de cette institution est faible dans la conscience des citoyens (surtout quand la région ne dispose pas de réelle consistance historique ou culturelle) ; la participation électorale est faible faute de l’évidence de l’enjeu politique. Son rôle a pourtant grandi avec les nouvelles compétences qui lui ont été progressivement attribuées : investissement dans les lycées, formation professionnelle pour adultes, transports régionaux et surtout une compétence économique majeure dans le contexte de compétitivité accrue entre territoires, avec un budget où la part discrétionnaire est importante. Peu à peu le poids de la région s’est consolidé face au département ; l’un des objectifs poursuivi par les réformes en cours (Sarkozy puis Hollande) est d’assurer définitivement la prééminence de la région. A la région le rôle stratégique de lutte économique dans la compétition mondiale ; au département la tâche de soulager socialement les dégâts de la mondialisation.

Enfin à l’échelle communale la montée en puissance des institutions de coopération intercommunale à fiscalité propre est patente : Communautés de commune, Agglomérations, Métropoles. Celles-ci récupèrent des compétences stratégiques : transports, déchets, eau, économie, aides à la pierre etc.… au détriment des communes. Or justement ces institutions de l’intercommunalité ne sont pas élues au suffrage universel direct mais composées de membres élus par les conseils municipaux ; ce caractère indirect de leur mode d’élection contribue à éloigner cette gestion du citoyen au profit de logiques purement gestionnaires et bureaucratiques. L’un des objectifs des réformes en cours est de faire disparaître définitivement l’autonomie communale. L’élection municipale, la plus mobilisatrice en France avec l’élection présidentielle, établit une relation démocratique forte entre une population et son maire y compris dans les grandes villes ; ce « biais démocratique » est manifestement trop gênant pour nos libéraux !

Coopération, solidarité et démocratie contre Compétition et bureaucratie.

Face à la logique de la compétition entre les territoires il ne s’agit pas de défendre l’idée que la commune reste le seul lieu de gestion pertinent de l’intérêt général. Nulle intention dans mon propos de contester qu’il peut y avoir différents niveaux d’échelles pertinentes selon les sujets à traiter. Pourquoi ne pas envisager une politique commune macroéconomique à l’échelle européenne ? Pourquoi ne pas étudier la cohérence des transports dans une région ? Pourquoi ne pas envisager la gestion de ce bien commun qu’est l’eau à l’échelle d’un bassin versant ? Le problème n’est pas là. Il réside dans la capacité à répondre à ces questions, d’une part en les fondant sur une coopération consentie et solidaire entre les différentes collectivités locales, d’autre part en le faisant avec les citoyens, pas sans eux ou contre eux. La modernité ne consiste pas à évincer les citoyens pour confier la gestion à des experts ; la modernité implique au contraire de faire de cette gestion un enjeu de la citoyenneté et des instances de décision collective. Le propre de la République est de servir l’intérêt général ; c’est sous cet auspice qu’il faut établir les modalités de fonctionnement démocratique des collectivités locales. L’efficacité économique fondée sur la rationalité instrumentale ne produit pas l’intérêt général, bien au contraire, tant les expertises sont soumises aux puissances des lobbys et des intérêts financiers. Une vraie réforme des collectivités territoriales devrait au contraire de ce qui se fait actuellement être fondée sur les principes suivant : 1) Garantir l’unité et l’indivisibilité de la République en faisant de la loi nationale l’impératif qui garantit l’égalité de tous sur le même territoire ; 2) Donner la prééminence à une logique de coopération et de solidarité entre les territoires et entre les institutions locales ; 3) Soumettre toutes les autorités à la légitimité démocratique de la souveraineté populaire à travers le suffrage universel et le contrôle citoyen. Après ce cadrage général, nous allons essayer de comprendre la portée des propositions présentées dans le projet du gouvernement actuel.

Deuxième partie :

La logique bureaucratique domine l’acte 3 de la décentralisation

Déficit démocratique confirmé.

Les médias et les élus focalisent leur attention sur les modalités d’élection au niveau du département et des agglomérations. Ce n’est à mon avis pas l’essentiel, mais examinons les propositions. L’élection du Conseil départemental (nouveau nom du conseil général) se fera par canton au scrutin binominal paritaire à deux tours. On n’élira plus une personne par canton, mais un couple : un homme et une femme, tout en conservant le même nombre de conseillers départementaux. Le nombre de cantons sera donc divisé par 2, avec donc un nouveau redécoupage. C’est une nouvelle usine à gaz électorale, unique au monde, fruit du génie bureaucratique français. Elle est justifiée par deux arguments : 1. imposer la parité, 2. rééquilibrer les territoires. Il existe un moyen beaucoup plus simple d’atteindre ces objectifs : le scrutin de liste départemental à la proportionnelle, avec une liste paritaire (alternance homme/femme comme aux élections municipales, régionales ou européennes) et une représentation équilibrée des territoires du département dans chaque liste pour préserver un ancrage territorial. Un tel scrutin peut être mis en place sans augmenter le nombre de conseillers, sans redécoupage arbitraire, tout en garantissant la parité de genre et une représentation démocratique. Etait-ce ceci qui gênait nos génies bureaucratiques, plus soucieux de renforcer le bipartisme PS / UMP que d’assurer une juste représentation des sensibilités ? Derrière ce mode surréaliste de scrutin pour les élections départementales se cache un autre objectif : limiter les compétences du département à celles d’un guichet social aux moyens réduits.

L’autre « innovation » démocratique est à la fois insignifiante et trompeuse : les électeurs voteraient, lors des municipales, pour des candidats fléchés sur les listes pour siéger aux conseils des communautés de communes ou d’agglomérations. Innovation insignifiante, quand on sait qu’au bout du compte ce sont les présidents d’Agglomération qui sont les véritables détenteurs du pouvoir local. Innovation trompeuse car ces élus seront moins encore l’expression de l’équipe municipale et sans responsabilité directe devant le peuple.

La région à la tête d’une structure de plus, bureaucratique et non élue : la CTAP !

La prééminence est désormais clairement donnée à la région, d’abord par ses compétences élargies, mais plus encore par son rôle de pilote de toutes les collectivités territoriales de son territoire. Est ainsi prévue la mise en place d’une Conférence Territoriale de l’Action Publique (CTAP). Dirigée par le Président de région elle rassemblera les grands féodaux de la région (Présidents de chaque département, des grandes agglomérations, des maires des villes plus de 100 000 habitants et de 4 (4 !) représentants des autres maires). Le président et le préfet de région seront maitres de l’ordre du jour. La CTAP élaborera un Pacte de gouvernance territoriale qui s’imposera à chaque collectivité. Elle émettra un avis sur les demandes de toute collectivité locale d’assurer à titre expérimental des compétences relevant d’une autre collectivité, pouvant ainsi recomposer la responsabilité de chaque collectivité et redistribuer à la carte les compétences. Nul doute que les Eurométropoles (Lille, Lyon, Marseille) et les communautés métropolitaines (agglomérations de plus de 400 000 habitants), voire d’autres intercommunalités, se tailleront le plus gros des compétences au détriment des communes et des départements. Avec une carte des compétences établie au gré des majorités et des combinaisons politiques, le risque est grand de voir se mettre en place un véritable patchwork, tant au sein de chaque région qu’entre elles. Ce serait l’éclatement de la gestion territoriale et du cadre républicain. Se profile la fin de l’unité de la loi sur le territoire et se crée les conditions de l’expérimentation législative dans une région, vieux rêve des antirépublicains.

Démantèlement du service public par le biais de la décentralisation

Cela va de pair avec un grand lâchage par l’Etat de ses responsabilités. Sous le couvert d’approfondissement de la décentralisation, l’Etat se défausse dans des domaines clés de ses prérogatives. Il ne s’agit pas seulement de lui reprocher de transférer des compétences sans transférer les ressources correspondantes, comme l’entend souvent. Même avec les ressources suffisantes, il est nuisible que certaines compétences de service public national ne soient plus assurées par l’Etat mais par les régions.

Ainsi pour la formation professionnelle, l’apprentissage, l’orientation et l’enseignement supérieur. Le code de l’éducation serait modifié, permettant à la région d’être, d’une façon générale, compétente en matière de formation professionnelle en direction des jeunes, des adultes, des personnes handicapées et des personnes détenues. Un nouvel article ferait la région le maitre d’ouvrage pour arrêter la carte des formations professionnelles initiales, établir la liste des ouvertures et fermetures de sections de FP dans les établissements du second degré. Plus de cadrage national au niveau de l’apprentissage pour les conventions puisque le contenu de la convention type serait déterminé par chaque région, sans clauses de caractères obligatoires ! Quant à l’orientation, l’Education nationale en est en grande partie dessaisie : elle ne se fait plus sous l’autorité du délégué à l’information de l’orientation, mais sous la houlette de la région qui l’organise : que deviennent les CIO, dès lors que différents types d’organismes peuvent être reconnus comme participants au service public. Il est clairement dit que la région organise le service public de l’orientation tout au long de la vie, que les personnels d’orientation relevant du Ministère de l’EN sont placés sous l’autorité de la région et que la charge des CIO est transférée à la région, comme aussi les biens meubles et immeubles. Ce qui était en cours pour l’enseignement supérieur et la recherche est confirmé : la région définit un schéma régional de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation quand bien même il est fait référence au cadre des orientations du plan national.

En matière de développement économique, le schéma régional de développement économique et de l’innovation est loin de mettre au cœur le soutien à l’économie sociale et solidaire, ni d’ailleurs à la relocalisation et aux circuits cours. Ainsi le fonds de solidarité économique se donne-t-il comme priorité les actions de soutien à l’internationalisation et à l’innovation des PME et des entreprises intermédiaires, en conformité avec un plan régional pour l’internationalisation des entreprises. Compétitivité oblige ! Pour les transports, la région, chargée de l’aménagement, du développement, de la cohérence et de la mise en valeur du réseau ferré d’intérêt local est appelée à poursuivre le processus de se substituer aux carences de l’Etat et au démantèlement de la SNCF, avec transfert de la propriété d’infrastructure ferroviaire correspondant.

Notons par ailleurs que les moyens de pression sur les communes et les groupements de communes seraient renforcés par les conditions qui leurs seraient imposées. Pas de subventions de la région pour un projet qui n’entrerait pas dans les orientations fixées par le schéma régional (symétriquement, pas de subvention du département pour un projet non conforme au schéma départemental). La liberté communale est singulièrement mise à mal.

Le triomphe de la métropole.

L’autre grand gagnant de la réforme avec la région est le troisième pilier du triptyque bureaucratique : la métropole. L’intercommunalité instituée autour de grandes agglomérations, accentue les déséquilibres territoriaux avec le reste des territoires, comme souligné dans la première partie. Le projet de loi favorise explicitement la formation de nouvelles métropoles au statut et aux compétences renforcées, en en faisant les vrais lieux de pouvoir. Paris doit prendre la main sur tout le territoire de sa couronne dans une entité nouvelle, Marseille est clairement invitée à rejoindre Lyon en absorbant dans un ensemble métropolitain les ¾ du territoire des Bouches du Rhône (coup de force contre lequel s’élèvent plus d’une centaine de maires et de conseils municipaux sur les 110 concernés). Lille (voire Nice) devrait faire partie comme Lyon et Marseille des Eurométropoles et une dizaine d’agglomérations urbaines seraient en voie de métropolisation : Strasbourg, Nancy, Rennes, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Grenoble… Ces mastodontes urbains avec à leur tête des présidents omnipotents, tels de nouveaux féodaux, auraient la mainmise sur les communes intégrées et structureraient fortement les autres territoires, réduisant le département à un simple guichet social et les communes à des entités sans consistance dont le seul pouvoir sera de faire les mariages et de donner le nom des rues…. Maire d’une ville dans l’agglomération de Montpellier, je ressens déjà la perte de substance des prérogatives communales que représente le transfert à l’agglomération des compétences des transports, des déchets, de l’eau etc… Les citoyens n’ont plus ce même pouvoir de contrôle sur leurs élus. La résistance des communes à la métropolisation est saine et doit être défendue. Contrairement à ce qu’écrivent certains plumitifs aux ordres cela n’a rien de ringard et de réactionnaire. C’est la résistance de la démocratie communale ; c’est la résistance de la souveraineté populaire qui veut garder le pouvoir d’élire ses élus, d’avoir prise ainsi sur le choix de la politique à mettre en œuvre sur le territoire où ils vivent.

La question centrale de la compétence « urbanisme ».

Les articles 40, 41 et 51 du projet de loi en débat constituent une véritable rupture dans la maîtrise du sol, enjeu stratégique du développement local s’il en est. Ils enlèvent la compétence urbanisme aux communes pour la transférer aux communautés de communes, aux agglomérations et aux métropoles. En clair, les communes perdent leur pouvoir d’établir leur Plan local d’urbanisme (PLU) qui sera décidé à l’échelle supérieure comme c’est le cas aujourd’hui dans les métropoles existantes. Or ce document est décisif : c’est celui qui décide si un terrain est constructible, naturel ou agricole, et quelle est sur un terrain déclaré constructible la nature de la densité construite. Bref le PLU dessine le paysage urbain et a des conséquences considérables sur l’environnement naturel et humain qui constitue le cadre de vie de la cité. En l’enlevant aux communes on l’éloigne du contrôle citoyen et on le soumet un peu plus à la logique des aménageurs plus sensibles aux profits des promoteurs immobiliers qu’à l’intérêt général.

Conclusion : Exiger le retrait du projet de loi « acte III de la décentralisation »

Pour conclure, après ces remarques qui ne sont qu’une ébauche d’analyse du projet de loi, on voit à quel point le discours démagogique sur « la décentralisation qui rapproche les décisions du citoyen » est creux et mensonger. La décentralisation qu’on nous propose vise à dessaisir les citoyens de toute maitrise sur le territoire qu’ils habitent. On confie la gouvernance de ce territoire à un aréopage de grands féodaux à la tête des régions et des grandes agglomérations, dans l’objectif avoué de transformer leurs territoires en enjeux de la compétition mondiale, jouant les territoires les uns contre les autres. Tout est d’ailleurs ordonné pour que l’Etat se défausse davantage encore de ses responsabilités, telle la formation, subordonnée aux besoins régionaux spécifiques et aux intérêts proprement économiques. Cette nouvelle architecture institutionnelle renforce un ensemble de grands potentats locaux et urbains, affaiblit le pouvoir des citoyens et corrélativement la force de l’Etat et de la loi républicaine. Il est donc du devoir de tout élu responsable du mandat que lui a donné le peuple, du devoir de tout démocrate et de tout républicain attaché aux libertés communales et à l’égalité de tous devant la même loi, bref du devoir de tout citoyen, de tout mettre en œuvre pour faire échec à cet acte 3 de la décentralisation, à rejeter cette loi en l’état. Ce projet de loi doit être retiré purement et simplement de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Une vraie décentralisation démocratique et républicaine doit être fondée sur la souveraineté populaire, le contrôle citoyen, la coopération entre les collectivités et la solidarité entre les territoires et les populations : Oui à une décentralisation mais non à la féodalisation !

28 janvier 2013

René REVOL, Maire de Grabels,

Membre du Parti de Gauche (Front de gauche)

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