Basta ! Retour sur les élections italiennes

Les résultats des élections italiennes ont déclenché une avalanche de commentaires et de sarcasmes notamment dans les pays de la zone euro. Pourtant, l’Italie n’est pas une anomalie : la forte secousse qui s’est produite en guise d’avertissement de l’autre côté des Alpes, ne relève pas d’une sorte d’exotisme méditerranéen mais révèle d’un malaise profond dans cette Europe du Sud qui subit jusqu’à la nausée les politiques d’austérité et les dénis de démocratie.

Illustrations-rifondazione_comunista Des militants du PG étaient présents à Rome pour partager cette soirée électorale avec les camarades de Rifondazione Comunista et pour les soutenir. Au-delà d’une vision surplombante de la « crise à l’italienne » diffusée par les « voix autorisées », l’analyse ci-dessous rend compte d’échanges avec des citoyens italiens après les résultats.

La caste dirigeante centriste contre le peuple
Au préalable, il est important de rappeler que le technocrate Monti a été nommé à la tête du gouvernement –sans jamais avoir été élu- pour mener les politiques libérales dictées par la commission européenne et la BCE, succédant à un Berlusconi usé par les scandales et la corruption. Les grands partis italiens ont tous cautionné sa nomination alors que sa politique d’austérité prenait en otage les jeunes générations, sans travail et sans avenir, mais aussi les retraités et les salariés toujours plus précarisés. Ainsi, une fracture abyssale s’est-elle produite entre cette caste dirigeante et un peuple italien à bout de nerfs.
C’est dans ce contexte que les 24 et 25 février, se déroulaient simultanément deux élections au suffrage universel: celle des députés et celles des sénateurs. Ces deux chambres sont à parité de pouvoir. Les listes en présence étaient pour la plupart des listes dites de coalition. Il est symptomatique que le parti de Berlusconi -PDL- (allié de la Ligue du Nord) dirige la liste qualifiée de « centre-droit », que le Parti Démocrate –PD- de Bersani se réclame du « centre-gauche » et Monti du « centre » (alors qu’il est soutenu par le parti de la droite nationaliste de G. Fini). Tous dans le cercle de la « raison » et de la modération.
A l’opposé, un mouvement a fait campagne en fustigeant les partis : c’est le mouvement « 5 étoiles » (M5S) de Beppe Grillo. Trublion de la politique qui a fait une carrière de satiriste télévisuel, il a construit sa popularité en dénonçant toutes les dérives de la classe politique italienne enlisée dans les affaires et les politiques d’austérité dictées par l’union européenne. Il a fait campagne sur le thème de la démocratie participative et directe issue d’internet.
A cours d’un meeting à Rome, ce tribun a réussi à rassembler plus de 800 000 personnes, ce qui atteste d’une véritable attente pour un message mobilisateur qui ne reproduise pas les discours de consentement et de soumission à la doxa libérale. Le programme de Grillo est-il cependant à la hauteur de cette attente populaire ? C’est peu probable car les thèmes sociaux n’ont pas vraiment été abordés, Grillo déclarant même que le conflit générationnel s’est substitué à la lutte des classes et que les « vieilles structures » (partis et syndicats) doivent disparaître.

Divorce à l’italienne
Jusqu’à la veille de la proclamation des résultats, le centre gauche était donné largement vainqueur, surfant sur l’impopularité de Monti et le rejet présumé du Berlusconisme. Bersani a ainsi mené une campagne sans aspérité, dite « de responsabilité » pour s’attirer le soutien des autres chefs d’Etat européens et distillant qu’il était le point d’équilibre entre Monti et la gauche radicale.
Ce scénario a été mis en échec. Même s’il est majoritaire à la chambre (29,7% des voix et 340 députés sur 630 du fait d’une prime donnée à la majorité), le PD et les partis de sa coalition se sont effondrés. Berlusconi, qui dans un délire démagogique a même promis le remboursement de taxes déjà perçues, le talonne en voix à la Chambre (29, 2% et 125 sièges) et au Sénat où Bersani obtient 123 élus et Berlusconi 117 sur un total de 315 sièges. La presse italienne titrait hier matin à propos de Bersani « le vainqueur déconfit », ce qui résume parfaitement la situation.
C’est dans cette configuration que le M5S devient de fait le premier « parti » d’Italie avec 25, 5% et 23, 8% des suffrages aux deux Chambres. Il aura donc le pouvoir de faire ou défaire une majorité puisque l’hypothèse « raisonnable » d’une alliance avec un Monti à 10% s’éloigne et que Bersani au risque de perdre tout crédit ne peut accepter les propositions de gouvernement d’Union nationale lancées par Berlusconi. Le M5S fait entrer à l’assemblée des dizaines de députés, jeunes (moins de la trentaine), inexpérimentés, choisis (franchisés ?) dans le cadre de primaires via internet. Bersani a donc proposé à B. Grillo, dans la logique de la politique italienne, une alliance (et même la présidence de l’Assemblée). Celui-ci a décliné l’offre, pour l’instant, répondant que le M5S se déterminerait au cas par cas pour voter le cas échéant des lois proposées par le PD.

Et l’autre gauche dans ce chaos ?
Le Parti de Gauche a soutenu dans cette campagne un rassemblement (Rivoluzione civile –R.C-) autour d’Antonio Ingroia, un magistrat connu pour sa lutte contre la corruption et la Mafia. Les candidats étaient issus de Rifondazione Comunista, du parti du juge Di Pietro (Mani Pulite) et de la Fédération des Verts. Sur le papier, R.C pouvait espérer obtenir entre 5 et 7% des voix et ainsi franchir la barre des 4% nécessaires pour obtenir des députés à la chambre via le système proportionnel. La désillusion a été cruelle puisque la liste a obtenu 2,8% et 1,2%.
A l’heure où les résultats tombaient et où les visages se fermaient au siège de Rifondazione, il était difficile de produire une analyse à chaud. La campagne de R.C a été menée en moins de 40 jours, sans moyens financiers en comparaison des grandes machines que sont le PD et le PDL. La presse (en partie propriété de Berlusconi) a fermé ses antennes à A. Ingroia, Berlusconi déclarant même que les magistrats –qu’il qualifie de « rouges »- étaient pires que la mafia. Les mesures sociales du programme n’ont pu être défendues, le message ayant été largement parasité par la campagne de B. Grillo qui a attiré les voix d’électeurs traditionnels de Rifondazione. On peut aussi regretter que la confusion se soit installée du fait de la scission opérée par une figure charismatique de Rifondazione, Nichi Vendola, qui a créé son propre parti (Sinistra, Ecologia et Libertà –SEL-) pour rejoindre Bersani. Il est à noter que SEL a obtenu peu de voix, y compris dans le fief de Vendola. Pourtant compte-tenu de la loi électorale italienne, il pourra se prévaloir d’une trentaine de députés.
Avec les militants de Rifondazione, nous avons tenté de comprendre comment, dans les semaines qui viennent -et qui seront décisives-, la bataille doit continuer, d’autant plus que la situation pourrait rapidement se bloquer et aboutir à de nouvelles élections. L’enjeu pour Rivoluzione Civile est désormais de porter haut et fort un message de rupture avec les politiques libérales, de se montrer mordant et intraitable tant avec les médias qu’avec les libéraux. Sur la base d’un front de gauche des pays de l’Europe du Sud, les liens entre la France et l’Italie doivent s’intensifier.

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