« Hugo Chávez était un hyper-démocrate »
Hugo Chávez s’est éteint des suites d’un cancer le 5 mars 2013. Réélu en octobre 2012 avec plus de 54% des suffrages, il aura présidé la République bolivarienne du Vénézuela pendant quatorze ans. Suite à l’annonce de son décès, des millions de Vénézuéliens ont gagné les rues de Caracas, encerclant l’hôpital où il était soigné d’une sarabande de cierges. Alors qu’un continent entier pleure sa disparition – l’Argentine, la Bolivie, l’Equateur et Cuba annonçant plusieurs jours de deuil national en hommage à sa mémoire – en France, seul le Parti de Gauche s’est ému de cette disparition. Ragemag a donc voulu s’entretenir avec Raquel Garrido, secrétaire nationale aux relations internationales du PG, qui avait rencontré le président Chávez plusieurs fois.
Quel était le rapport d’Hugo Chávez à la démocratie ?
Chávez a commencé sa vie par une entreprise militaire contre le pouvoir oligarchique du Vénézuela de l’époque : il a tenté de faire un coup d’état avec ses camarades en armes. Qui a été un échec. Mais qui lui a néanmoins permis d’incarner aux yeux des Vénézueliens l’opposition au gouvernement antérieur et d’approfondir sa pensée sur sa méthode d’accession au pouvoir. D’ailleurs, quand il décide de se rendre, il dit : « Je reviendrai. » Durant ses deux années d’emprisonnement, Chávez réfléchit beaucoup à cette question ; c’est un homme qui lit énormément et connaît très bien l’histoire des Lumières, de la Révolution française et de Simon Bolivar (il était rappelons-le chargé de l’instruction de l’histoire au sein de l’armée).
L’évolution que subit sa pensée durant cette période, autour de la question démocratique et républicaine, a eu un impact central dans sa décision de concourir à l’élection présidentielle de 1998. Il raconte souvent que lors d’une rencontre, Fidel Castro lui aurait dit que, pour gagner une élection, il fallait monter sur sa jeep pour faire le tour du pays et visiter chaque village. Chávez a suivi ses conseils et entrepris ce travail décisif d’ancrage sur le terrain, qui a payé en 1998.
« En 1998, on pouvait résumer son programme politique à cet élément unique : convoquer une Constituante pour rendre le pouvoir au peuple. »
Mais le point important dans la première campagne présidentielle de Chávez, et on pouvait résumer l’ensemble de son programme politique à cet élément unique, était sa volonté de convoquer une nouvelle Assemblée constituante pour que le peuple puisse enfin écrire une constitution neuve. Il ne voulait pas le pouvoir pour lui-même ; il voulait le restituer immédiatement aux Vénézuéliens. Sa première promesse politique consistait donc à rétablir la souveraineté populaire et correspondait à une conceptualisation hyper-démocratique de la République face à l’oligarchie en vigueur : sa critique de l’oligarchie se doublait donc d’une méthode concrète pour la renverser. Or, quand on pense sérieusement au renversement d’un ancien régime, on doit non seulement se poser la question de savoir à quoi doit ressembler le nouveau régime, mais également de savoir qui est légitime pour en jeter les bases. Si on est réellement démocrate, la réponse s’impose d’elle-même : le seul corps légitime pour énoncer les articles d’une constitution souveraine émancipée du régime antérieur, c’est le peuple lui-même par le biais d’une Assemblée constituante. C’était une pensée subtile et relativement dure d’accès dans les années 1990, où aucun parti de gauche dans le monde n’avait réellement cette vision proprement révolutionnaire : aucun ne proposait de changer les règles constitutionnelles par le peuple lui-même. C’était une révolution profonde dans la pensée démocratique elle-même.