Les ordonnances de Diafoirus Hollande
Le costume présidentiel de la Vème République moribonde sied de mieux en mieux à François Hollande. Surtout sa parure monarchique. En annonçant cette semaine qu’au nom de la sempiternelle compétitivité, il ferait légiférer le gouvernement par ordonnances sur des normes administratives relatives aux entreprises ou qui touchent au domaine de l’urbanisme, le Président de la République foule aux pieds la représentation nationale et le peuple avec elle. Décidément les seules ruptures qui vaillent pour François Hollande, ce sont celles avec l’héritage et les traditions de la gauche depuis deux siècles.
En droit constitutionnel français, une ordonnance est une mesure prise par le gouvernement dans des matières relevant normalement du domaine de la loi. En faisant le choix des ordonnances, Hollande et le gouvernement imposent leur procédure législative et se substituent au Parlement.
C’est oublier que « la loi est l’expression de la volonté générale » comme nous l’enseigne Jean-Jacques Rousseau. Cette volonté générale, ce sont les nôtres qui l’ont attachée lors de la grande Révolution à la souveraineté populaire qui doit donc demeurer inaliénable. Pour en garantir l’expression, ils ont dès 1791 cherché un chemin pour une démocratie représentative qui ne sépare pas la possession de la souveraineté par le peuple de son exercice par le gouvernement. François Hollande lui n’en a cure. Au contraire, il en joue. Il avait déjà affiché son mépris du peuple en lui refusant le droit de s’exprimer à l’automne 2012 par référendum sur le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union Européenne (TSCG). Aujourd’hui, il approfondit sa pratique par l’usage d’ordonnances qui traduisent sa conception délégatrice de la souveraineté. Pour lui, le peuple n’est plus dès lors qu’il aurait délégué sa souveraineté à sa représentation. C’est cela qui lui permet de transférer ensuite cette souveraineté, une fois à Bruxelles, l’autre fois au gouvernement, bientôt aux « partenaires sociaux ». Par ce tour de passe-passe, François Hollande aliène en toute connaissance de cause la souveraineté du peuple et méprise sa volonté pour pouvoir imposer la sienne qui est aussi celle de l’oligarchie.
François Hollande assume ce faisant son ancrage dans le vieux monde et cherche à y ramener notre pays et notre peuple. Il sait très bien que les ordonnances sont des pratiques de l’Ancien Régime, à l’époque où le pouvoir royal les édictait au titre de lois. Il sait très bien que les ordonnances allaient de pair avec la mise en place de la monarchie parlementaire. C’est d’ailleurs sous la Restauration que le terme d’« ordonnance » est rétabli pour mieux marquer la rupture avec la Révolution. Ordonnances, décrets impériaux, décrets-lois des IIIème et IV République, voilà la lignée historique dans laquelle François Hollande choisit de s’inscrire.
Plus proche de nous, la pratique des ordonnances est aussi l’un des marqueurs de cette Vème République qui du régime césariste au régime monarchique est toujours placée sous la coupe de l’oligarchie. Faut-il rappeler que la première utilisation d’une ordonnance sur le fondement de l’article 38 de la Constitution remonte à la loi du 4 février 1960 qui permettait au Gouvernement de prendre des mesures de maintien de l’ordre en Algérie ! Faut-il rappeler que les ordonnances ont été le bras armé des pires saillies libérales, comme en 1986 quand Jacques Chirac Premier Ministre souhaiter privatiser 65 groupes industriels, redécouper les circonscriptions électorales et déjà flexibiliser le temps de travail ! François Mitterrand à l’époque avait su bloquer l’offensive. En 2006, c’est le peuple qui a fait rengorger à Dominique de Villepin le contrat première embauche (CPE) qu’il avait propulsé là encore à coups d’ordonnances !
Le recours aux ordonnances n’est jamais anodin. Il traduit tout à la fois une pratique, une conception et une visée politique. C’est l’outil des belles personnes qui, convaincues d’avoir raison contre tous ou soucieuses d’intérêts particuliers, se permettent de s’affranchir de la volonté générale. La rupture manifeste entre les gouvernants et le peuple rend l’utilisation des ordonnances de plus en plus courante. 184 ordonnances ont ainsi été prises de 2000 à 2005 contre 102 dans les quarante années précédentes (1960-1999) ! Les tenants du système justifient depuis des années cette croissance sans précédent du contournement du Parlement par une « simplification des normes », alibi repris au mot près par François Hollande. Ils s’en servent aussi pour transcrire en douce en droit français les textes de loi européens rédigés par des technocrates bruxellois qui constitutionnalisent ainsi chez nous l’orthodoxie libérale. Où comment la mise à jour des outils renvoie à la délégation de souveraineté transférée à l’Union Européenne sans le consentement du peuple…
La Vème République est à genoux. Le recours aux ordonnances par un Président élu il y a à peine 10 mois et qui dispose de la majorité dans les deux chambres témoigne de l’impasse démocratique dans laquelle nous plonge ce cadre institutionnel. Le système, pour s’auto-entretenir, poursuit sa course éperdue vers l’austérité et doit donc recourir à tous les biais pour contourner le peuple et sa représentation. Il s’agit d’un recours à la force institutionnelle qui fragilise encore un peu plus la légitimité du gouvernement. Dès lors que la multitude aura pris conscience que celle-ci n’est plus, l’insurrection citoyenne réapparaîtra pour le peuple comme le plus sacré des devoirs. Et comme toujours dans l’Histoire, et comme partout sur le continent sud-américain lors de la décennie passée, et comme en Tunisie ou en Islande aujourd’hui, c’est en appelant une Constituante que le peuple se donnera les moyens de décider de ses propres choix. Les saignées répétées des Diafoirus de tous bords ont eu raison de la Vème République. Il appartient désormais au peuple de s’en doter d’une nouvelle.