Elections Venezuela • Veille de scrutin à Caracas
Eric Coquerel et Christophe Ventura, deux membres de la direction nationale du Parti de Gauche, sont présents, du 11 au 16 avril, au Venezuela pour l’élection présidentielle de ce dimanche 14 avril. Eric revient dans son blog sur l’ambiance qui règne dans la capitale Caracas à quelques heures du scrutin.
A moins de 24 heures de l’élection présidentielle de la République Bolivarienne du Venezuela, je peux confirmer qu’ici règne bien une dictature. Songez que depuis le vendredi 12 avril, 17 h locale, la loi électorale interdit toute goutte d’alcool dans le pays… Et ce jusqu’à lundi matin. Voilà bien, « cher » Daniel Cohn-Bendit (voir sur ce blog la video du débat au Grand Journal qui m’a opposé à lui sur ce thème) et consorts, vous qui propagez à satiété que Chavez était un dictateur sans jamais avoir pris la peine de mettre un pied dans ce pays, ou dans les rues de ce pays pour les journalistes français habitués aux séjours cloîtrés dans leurs hôtels de luxe, la preuve irréfutable que vous cherchiez non ? Tout en maugréant un peu, je l’admets, contre cette règle qui nous prive du très réputé Rhum vénézuélien ou simplement d’une Cerveza locale, voilà la plaisanterie qu’avec mes amis Bernard Cassen et Christophe Ventura, également présents à Caracas, nous nous sommes faits hier soir.
Ambiance populaire et festive
Pour le reste, l’ambiance à Caracas est à milles lieux de la propagande distillée par les médias ou chroniqueurs bien pensants qui aiment à répéter en boucle des affirmations que même la droite ici n’ose énoncer avec autant d’arrogance et de mauvaise foi. Je me faisais cette réflexion en sillonnant les rues de la capitale vénézuélienne sitôt descendu de l’avion jeudi soir. Jeudi c’était à la fois le 11ème anniversaire du putsch raté contre Chavez en 2002 et la date du grand meeting de Nicolas Maduro. Une marée humaine de partisans de Maduro, t-shirt et casquettes rouges, a envahi les principales artères de Caracas. Mélange joyeux et festif d’une foule déambulant à pieds, en bus collectif, en moto ou en voiture vers le lieu du meeting. Le lieu ? Il est compliqué à indiquer avec précision car les sept plus grands boulevards de la capitale étaient rouges de supporters Chavistes. Ici, c’est l’unité de mesure pour jauger d’une manifestation : combien d’artères remplis-tu et je te dirais combien tu étais. Sept c’est manifestement la jauge maximum qui permet, sans risquer d’être contredit, d’utiliser le million pour unité. Après est-ce 3 millions comme je l’ai entendu dire ? Impossible pour moi de le confirmer mais c’est évidemment, et de loin, le plus grand des meetings politiques qu’il m’ait été donné de voir. Le discours de Maduro a duré 1h30 – je reviendrai sur son contenu plus loin. Le président par intérim a tenu à mettre en avant ses ministres, les responsables des partis qui le soutiennent et quelques invités de prestige comme Maradona venu lui donner l’accolade. Mais revenons à la foule. Première chose qui saute aux yeux : elle est très féminine. Beaucoup de femmes de tous âges non seulement présentes physiquement mais surtout politiquement : elles tiennent les micros sur les nombreux camions sonos ou dirigent de la voix et des slogans les groupes qui se forment sur les trottoirs. L’ambiance est « bon enfant ». Le tout donne un mixte entre supporters de foot, soirée à la fête de l’Huma, et la grande marche du Front de Gauche à la Bastille le 18 mars 2012. Une chose me surprend rapidement : si les affiches de Maduro dominent largement le centre de Caracas où se déroule ce gigantesque rassemblement, celles, laissées intactes du candidat de la droite, Henrique Capriles, ne sont pas rares. Les deux partagent même parfois un poteau sans que nul ne songe manifestement à en arracher une. « C’est la tradition politique ici » me confirmera Bernard Cassen. Autre surprise : à quelques centaines de mètres du rassemblement pro-Maduro, des supporters tout de jaunes vêtus, la couleur du mouvement Unidad, soutiennent bruyamment Henrique Capriles Radonski sans manifestement une once d’inquiétude. D’ailleurs sur les terrasses il n’est pas rare que casquettes rouges et jaunes se côtoient à quelques tablées l’une de l’autre en ce jeudi soir. On aura compris que l’ambiance n’est ni à la guerre civile, ni à la peur.
La droite joue la stratégie de la tension
Pourtant les leaders de l’opposition jouent la tension. C’était palpable vendredi, lors de leur audition devant les accompagnateurs internationaux réunis par le Conseil National Electoral (CNE). Ils ont concentrés leurs interventions sur la crédibilité du scrutin. Attaqué principalement le CNE, une des cinq branches du pouvoir public national dont l’autonomie est reconnue par la constitution à côté des autres pouvoirs, exécutif, législatif, judiciaire et citoyen. Le ton très offensif des représentants de Capriles avait manifestement pour but de donner corps à des éléments qui en manquaient justement. Rien en tous cas de nouveau pouvant expliquer pourquoi Capriles, qui avait reconnu la sanction des urnes en octobre dernier, parait cette fois la mettre en doute à l’avance. Plusieurs des accompagnateurs internationaux, dont beaucoup de Nord-américains, ont interrogé ses représentants sur ce paradoxe sans aucune réponse probante. D’autres, Sud-américains, ont avancé la fiabilité du système de vote électronique mis au point par le CNE « supérieur à ce qui fait ailleurs sur le continent » (dixit un écrivain brésilien), car prévoyant une confirmation papier (le vote électronique émet un récépissé mis à son tour dans une urne, les deux devant, au final, correspondre en nombre de votants). Est-ce que cela augurerait d’une contestation du scrutin ont demandé les accompagnateurs ? Les représentants de la droite sont restés vagues se contentant de rappeler que Capriles avait toujours accepté, jusqu’à maintenant, la volonté populaire. Dans les rangs Chavistes les interrogations demeurent sur leurs objectifs même si les sondages qui circulent officieusement donnent une telle avance à Maduro (on parle de 10 points) que l’on doute des possibilités de contester sérieusement le résultat dimanche.
Il est vrai que le ton de Capriles est d’autant plus vif sur ce point que son contenu programmatique s’est adouci voir a disparu… En réalité, Henrique Capriles ne peut se démarquer des acquis du Chavisme qu’il a pourtant combattu. Le leader de la droite fait plutôt dans la surenchère sociale ces derniers jours allant jusqu’à promettre une augmentation de 40 % du salaire minimum contre 20 % pour Maduro !
Les nouvelles « missions » de Maduro
Nicolas Maduro n’a nul besoin de ces promesses à l’emporte-pièce. Ce syndicaliste, proche de l’ancien président, reprend évidemment les cinq grands objectifs historiques énoncés lors de la campagne de Chavez en octobre dernier (en résumant succintement : Indépendance nationale, poursuite de la construction du socialisme bolivarien du 21ème siècle, coopération accrue avec les pays d’Amérique latine et des Caraïbes, contribution à la construction d’un monde multipolaire garantissant la paix dans le monde, préservation de la vie et de l’espèce humaine sur la planète). De même il poursuit les « missions » (objectifs précis que le gouvernement se donne à réaliser à court terme) lancées par Chavez notamment dans le domaine du logement, de la santé, de l’éducation… Mais il a ajouté jeudi, pour la première fois m’explique Maximilien Arvelaiz, ambassadeur du Vénézuéla au Brésil et étudiant en France au début des années 2000, les siennes propres. Parmi elles : l’investissement, c’est à dire la nécessité pour le Venezuela, pays dont l’économie est dépendant de sa rente pétrolière, de diversifier rapidement sa production industrielle et agricole pour gagner en souveraineté, notamment alimentaire, afin de limiter de coûteuses importations ; la lutte contre la corruption ; la sécurité. Sur ce dernier point, Chavez avait déjà entamé le travail en créant une police nationale. Car jusqu’en 2011, le Venezuela ne disposait que de polices municipales donc non coordonnées. Le corps de la police nationale est aujourd’hui de 16 000 membres.
Construire l’Etat social
J’avoue que lorsque que Christophe Ventura m’a annoncé cela j’ai été surpris. En réalité sur bien des aspects, Chavez a du construire depuis 1998 les fondations d’un Etat social et parfois même les outils d’un Etat tout court telle cette police nationale. Nationalisation, redistribution des richesses produites par la rente pétrolière, politique de la santé, du logement et de l’éducation, indépendance nationale : on retrouve là des objectifs qui s’apparentent à ceux d’une reconstruction sur des bases sociales de type de celle entreprise par le CNR à la libération en France. Je lui résume en souriant ma pensée : « Chavez en définitive c’est le CNR et la théorie du Foco »… A quoi, sans doute plus pertinent, Christophe répond « Chavez c’est plutôt un mélange de De Gaulle et Che Guevara »
On le voit, si la révolution Bolivarienne a le socialisme pour ligne d’horizon, on peut même dire l’écosocialisme, terme dont beaucoup des dirigeants du PSUV se réclament aujourd’hui, les objectifs à moyen terme sont ceux d’un Etat social (l’impôt sur le revenu reste par exemple à inventer au Venezuela). Mais cette mise en mouvement au cours des années 2000, pareillement démarrée par l’ »autre gauche » dans plusieurs pays sud-américains dont l’Equateur, mine évidemment tout l’édifice libéral qui n’a eu de cesse justement de déconstruire partout l’Etat social. Sa subversion de l’ordre libéral et austéritaire donne une incontestable portée révolutionnaire au Chavisme. Non seulement reconnue par les siens : ce peuple vénézuélien qui devrait, dimanche, élire largement Nicolas Maduro, mais plus largement par l’ensemble de la gauche sud-américaine. C’était manifeste lors d’un dîner organisé vendredi par le PSUV : représentants le PG (seul parti de la gauche française et du Front de Gauche à être représenté ces jours-ci à Caracas), Christophe Ventura et moi-même avons pu entendre de la bouche de tout ce que le continent compte de partis de gauche (hors social-démocratie totalement hors jeu voir opposée aux processus en cours) des hommages sincères et sans langue de bois à Chavez et l’importance de la révolution bolivarienne pour consolider ou développer le processus de transformation sociale et écologique entrepris à des degrés et rythmes divers sur le continent sud-américain.
En les écoutant, j’ai pu vérifier combien était aigue chez eux la conscience que les expériences de révolution citoyenne en cours en Amérique latine, à commencer par celle du Venezuela, constituait la première alternative concrète et réussie pour sortir de la longue nuit néolibérale. Celle qui a commencé par assombrir le monde voici plus de 30 ans aux Etats-Unis et en Angleterre sans oublier le Chili de Pinochet, terre d’expérimentation des Chicago boys inspirés par l’économiste libéral Milton Friedman. Dans une courte intervention (à l’inverse de bien de mes amis du PG je ne maîtrise malheureusement pas la langue de Garcia Marquez), je le résumais ainsi « Lo que es Chavez no muere. Tenemos que actuar para sur lo que fue Tatcher muera con ella, por siempre ». L’élection de Nicolas Maduro dimanche devrait être un coup supplémentaire porté au néolibéralisme. En attendant que la chaine craque à son tour en Europe.
Je ne voudrais pas terminer cette note sans une anecdote. La révolution bolivarienne c’est aussi, c’est sans doute surtout, la réconciliation de l’espérance socialiste avec la démocratie. C’est évidemment essentiel pour nous qui pouvons ainsi nous appuyer sur des expériences concrètes en la matière à opposer à l’idéologie libérale. La pays où l’on va voter pour la 16ème fois en 15 ans (et l’été prochain ce sont déjà les municipales), le pays où existe le référendum révocatoire à mi-mandat que nous proposons aujourd’hui dans le cadre de la 6ème république, est une source d’inspiration dans le domaine de l’implication citoyenne. J’y réfléchissais vendredi quand déambulant dans la principale artère commerçante de Caracas je découvrais la vice-présidente du PSUV, Ana Elisa Osorio, tenir un forum citoyen en plein air réunissant sous un simple auvent de tente des dizaines de personnes. Je pensais alors à la fierté de Temir Porras, vice-premier ministre des affaires étrangères, en annonçant aux accompagnateurs internationaux, vendredi : « nous devrions avoir environ 80 % de participation dimanche». Et à ses côtés, Maximilien Arvelaiz (moins de 80 ans à eux deux) d’ajouter : « ce sera une grande fête démocratique ». Je n’ai pu alors m’empêcher de comparer ces records de participation au phénomène inverse dont la France pâtit. Sans doute qu’un affrontement électoral à enjeu entre la droite et une gauche digne de ce nom, donne tout simplement envie de voter. Fasse que le Front de Gauche puisse prouver tout cela rapidement en France.
>>> Lire la suite sur le blog d’Eric Coquerel.