Coup de balai, serpillière et Karcher. En politique, la forme c’est du fond

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Crédit photo photosdegauche.fr (rémy_blang)

Avouons le, j’ai pris quelques jours de vacances. C’était pour moi nécessaire après le magnifique succès du 5 mai, notre manifestation « Pour la 6e République » ayant rassemblé plus de 180 000 personnes. A ce sujet, j’attends toujours depuis une semaine une lettre du Préfet répondant à mon courrier lui demandant des explications sur les drôles de comptes de ses services. Je vous tiendrai au courant s’il me répond. Mon ami François Delapierre , au micro de France Inter, a bien résumé les choses avec humour. Il y avait 180 000 personnes dans la rue dont 30 000 avec des balais, et ce sont uniquement ces derniers que la préfecture a comptés. Ah ce balai ! Certains ont voulu résumer le sens profond du 5 mai comme la simple « manifestation coup de balai ». Ils pensaient nous flétrir de la sorte, mais après tout, pourquoi pas ? Il y a finalement dans cette expression un concentré de politique qui me convient. « Coup de balai » au moins, c’est clair et compréhensible pour des millions de gens qui en ont assez du système actuel et qui veulent le Balais changement, maintenant. Il va de soi que « le coup de balai » n’est pas un programme politique. Personne n’a jamais prétendu cela. Mais le propre de l’action politique est la capacité de construire une pratique qui s’articule notamment autour d’un programme (nous l’avons avec « L’Humain d’abord » vendu d’ailleurs à plus de 300 000 exemplaires), qui se décline ensuite parfois en quelques axes politiques privilégiés, devenant des forces matérielles par des actions de masses, elles mêmes mobilisés par des mots d’ordres, ou slogans d’agitation populaire. C’est dans cette dernière catégorie que je rangerai « le coup de balai ». Sans programme, cette phrase ne rime à rien. Mais à l’inverse, sans slogan d’agitation populaire, un programme, aussi subtilement écrit soit-il, est impuissant. La forme et le fond sont toujours lié en politique, du moins chez ceux qui vivent la politique comme une activité réelle et pratique ayant pour but de changer les choses, donc de mobiliser une majorité de citoyens, et en particulier de bouleverser l’ordre établi.A l’expression « coup de balai », lancée par Jean-luc Mélenchon pour initier l’idée du 5 mai, a répondu des tirs croisés, parfois contradictoires dans leur motivation,qui sont intéressants à observer. Certains sont venus parfois de gens qui sont eux-mêmes des forces composantes du Front de Gauche. Maintenant que le succès de la manifestation du 5 mai est derrière nous, je voudrais leur répondre. Cela me semble utile car dans les semaines qui viennent, à Toulouse, Montpellier, Amiens et beaucoup d’autres villes nous allons organiser des répliques du 5 mai. Nous en reparlerons. Je reprends donc le fil de mon propos. Un exemple. Mon camarade du Front de Gauche André Chassaigne a jugé pertinent, un moment, de déclarer «Parler de coup de balai, ça me blesse. C’est un slogan inacceptable aux relents de populisme. Il encourage chez les gens un rejet global de la politique.» Quelle erreur d’analyse. Je laisse de coté l’utilisation du terme « populiste », toujours flou dans sa définition, répété en boucle par les éditocrates qui n’ont que mépris pour nous. C’est toujours une maladresse de reprendre les mots de l’adversaire. Mais surtout, André, fier communiste revendiqué, semble oublier que « le coup de balai » est une symbolique directement inspirée de l’histoire du communisme. Passé et récent. Bien sûr, il y a la célèbre affiche que tout le monde connait, de Victor Deni de 1921 représentant Vladimir Illitch Lénine balayant le monde des rois, des banquiers et des popes. Mais, plus proche encore, au début des années 70, période où André était déjà membre du PCF, où ce parti obtenait des résultats électoraux supérieurs à 20 %, où par exemple Paul Laurent était n°2 du parti, le PCF utilisait aussi l’image du « coup de balai » dans sa propagande. Je ne crois pas qu’André et ceux qui pensent comme lui, considéraient la politique du PCF des années 70 comme « populiste » et « encourageant les gens a un rejet global de la politique ». J’ai même cru comprendre que certains avaient une nostalgie de cette époque.

Anecdote, au hasard d’une lecture du grand Karl Marx, dans «La guerre civile » rédigé en 1871, je retrouve cette phrase décrivant la Révolution Française: « Le gigantesque coup de balai de la Révolution française du XVIIIe siècle emporta tous ces restes des temps révolus, débarrassant ainsi, du même coup, le substrat social des derniers obstacles s’opposant à la superstructure de l’édifice de l’État moderne. » Je m’amuse en la relisant.Comment soutenir encore dans ces conditions, qu’on l’approuve ou non (c’est un autre débat), que l’expression de « coup de balai » serait extérieure à l’histoire du mouvement ouvrier ? Bien entendu, par ces références historiques, je n’impose pas des arguments d’autorités. Chacun au Front de Gauche a le droit de livrer son appréciation personnelle sur les déclarations des uns et des autres. Nous n’avons pas une discipline de caserne. Toutefois, évitons les faux débats entre nous et parlons de l’essentiel. Le 5 mai, des milliers de gens (et souvent de communistes) sont venus avec des balais à la main, sur des pancartes, sur des casques, pour symboliser avec insolence, leur volonté farouche de changement radical et je note qu’au final André Chassaigne a approuvé le principe de notre manifestation. Comme quoi…

Venons en maintenant aux principaux locataires de Solférino. Il va de soi que je n’assimile pas Chassaigne à cette troupe. Avec eux l’hypocrisie se porte en sautoir sur leur costume gris, comme une décoration, un signe de reconnaissance. J’ai déjà démontré sur ce blog que tous ceux, parmi eux, qui considéraient à grands cris et tweets arrogants définitifs, que « le coup de balai » était une image horrible, fascistoïde, puisée dans la seule rhétorique de l’extrême droite, étaient des ignorants qui oubliaient leur propre histoire et les affiches de la SFIO des années 30. Mais, il est vrai qu’en ce temps là, la SFIO se vivait comme un parti révolutionnaire luttant contre le capitalisme et que même Léon Blum, dont ils nous bassinent les oreilles, se réclamait de « la dictature du prolétariat ». L’expression « coup de balai » fut utilisée également en 2011 par Ségolène Royal contre Nicolas Sarkozy, c’est dire… En réalité, les indignations solfériniennes sont souvent de médiocres tartuferies. Ceux qui jasent et s’offusquent du vocabulaire du Front de Gauche sont les mêmes qui vont chercher à l’imiter quelques jours plus tard… pour justifier l’injustifiable cette fois-ci. Et l’expression populaire révolutionnaire détournée, parfois employée par l’un d’eux, devient une misérable astuce de comptable magouilleur et cynique. Entre leurs mains, la torche se transforme en bloc de glace. C’est le contre exemple parfait de ce que je racontais précédemment. Aujourd’hui, Jean-Christophe Cambadélis a par exemple expliqué sur Radio J les problèmes de François Hollande de la façon suivante : « Il était difficile de développer pleinement notre politique de redressement dans la justice alors qu’il fallait passer la serpillière après Nicolas Sarkozy ». Koa !? Sous entendrait-il que l’ancien locataire de l’Elysées serait une saleté ? Allons Jean-Christophe ressaisis toi ! La serpillière contre un président de la Ve République qui a mis en place une « courageuse » politique de réduction des dépenses publiques, qui a rédigé le Traité Sarkozy-Merkel repris à la virgule près par MM. Hollande et Ayrault ? Vite, vite, un bel esprit de ton parti va te traiter de « populiste », va te dire que tu utilises « une rhétorique des années 30 » …Plus sérieusement, en réalité personne ne s’indignera car les mots de ce responsable PS, longtemps homme lige de DSK, ne font peur à personne. Ici la « serpillière » molle et froide de Cambadélis est l’antithèse même de notre énergique et chaleureux « coup de balai », même s’il semble puiser dans le même registre sémantique. Notre expression a une énergie positive, mettant en mouvement des consciences qui veulent changer les désordres du monde. La sienne est un étouffoir à aspiration populaire, un gadget pour mettre en oeuvre la machine à résignation au nom de la responsabilité passée de la droite. Bref, sa serpillière vise à effacer aussi au passage, les saletés commises par le gouvernement actuel : la scandaleuse ANI, le refus sectaire de l’amnistie sociale, la non hausse du SMIC, les 60 milliards de réductions de dépenses publiques, les 20 milliards d’euros offerts au patronat, etc. Enfin chacun sait qu’un coup de serpillière qui n’est pas précédé d’un bon coup de balai, ne produit que l’étalement de saleté et donc l’effet inverse du nettoyage…

Bah, qu’importe en réalité pour les solfériniens. Pas sûr d’ailleurs qu’ils s’écoutent entre eux. Ici, la forme masque le fond. La consigne est exclusivement à la diabolisation à outrance du Front de Gauche et singulièrement de Jean-Luc Mélenchon. Pour eux, il est l’homme à abattre, « le grand méchant Mélenchon » comme a osé l’écrire bovinement Le Monde 2, hebdomadaire sur papier glacé (ici, c’est le mot « glacé » qui compte) paru le jour même de notre manifestation. C’est beau la presse « indépendante », non ? A ce sujet, lisez l’excellent billet de blog de mon jeune ami Antoine Léaument. C’est éclairant. Par jet continu, c’est exclusivement le vocabulaire mélenchonien, et seulement le sien, qui choque et qui indigne. A leurs yeux, il l’emporte sur toutes les horreurs de ce bas monde. Parallèlement aux dignitaires PS, les mêmes organes de presse, généralement proche du pouvoir, dédiabolisent avec une ardeur confondante Mme Marine Le Pen. Normal, son existence repoussante est aujourd’hui la principale énergie qui empêche la vieille scène politique de s’effondrer. C’est leur seule assurance vie croit-il, oubliant les terribles leçons de l’histoire, chaque fois qu’un pouvoir en crise a voulu jouer avec l’extrême droite en l’instrumentalisant pour stopper la progression des idées révolutionnaires de partage des richesses. La peur du rouge a fabriqué des monstres qui ont dépassé leurs créateurs. Toujours, le petit dompteur s’est fait dévorer par le fauve au final. Au PG, nous avons de la mémoire et sommes inquiets du spectacle actuel. Vigilance. Je m’arrête un instant sur ce point. La couverture médiatique du 1er mai raté du FN fut sidérante. 3 000 militants à peine se sont retrouvés Place de l’Opéra. Ils étaient le double l’an passé. Cela n’a pas empêché nombres d’observateurs d’insister sur « la dynamique FN », de mettre en concurrence ce ramassis misérable avec les manifestations des syndicats, de reprendre sans vérification aucune les soi disant 65 000 nouvelles adhésions au FN, etc… Quel baratin. Un exemple. Le Fn affirme avoir déjà désigné plus de 350 têtes de listes aux municipales. Mais, concrètement, cela signifie que dans chacune de ces villes où la presse nous affirme que le FN est déjà « en ordre de bataille », ils ne sont pas capables de rassembler 10 personnes pour écouter Marine Le Pen une fois par an. Pas si décoiffante que cela donc, la dynamique quand on la regarde de près… En écrivant cela, je ne minimise pas la progression du FN. Elle est électorale et culturelle, ce qui est pire. Mais je la restitue dans sa réalité. C’est important. Lutter contre l’extrême droite impose de lutter contre sa réalité et non contre « le fantasme solférinien du FN » qui permet de faire hurler aux mêmes qui font progresser l’extrême droite « Au secours, le Fn arrive ! Silence dans les rangs ». Au Front de Gauche, nous ne mangerons pas de ce pain là. Pour l’heure, depuis un an, la prétendue progression électorale du Fn est essentiellement due à l’effondrement de l’électorat PS. Mais cela peut changer demain et reste inquiétant.

Nous devons donc nous adresser à ceux qui doutent et s’abstiennent. Pour l’essentiel, ce sont les nôtres. Pour nous adresser à eux, notre parole doit être à la hauteur de leur désarroi et de ce qu’ils comprennent de la violence de la période. La forme, c’est du fond. J’insiste. Ceux qui sont dans l’action et dans la lucidité, confrontés à la rudesse de la réalité de notre temps, l’ont bien compris. Seuls les inconscients et les gardiens du vieux système veulent maintenir les anciennes convenances de langage. Parfois être naïfs, c’est être coupable. Nous ne sommes pas seuls à voir les choses ainsi. Ce week-end, il s’est passé un petit évènement qui à mes yeux à son importance. S’adressant aux militants d’Europe Ecologie Les verts, après avoir participé au 5 mai, Eva Joly a eu un propos terrible, venant de la part de quelqu’un qui fut une juge anticorruption implacable : « Mélenchon a parlé de coup de balai, choquant les oreilles sensibles? La belle affaire! La vérité, c’est qu’il est en deçà de la réalité : un ’Karcher’ ne suffirait pas à décrasser le système actuel ». Merci Madame ! Il va de soi, selon moi, qu’une phrase d’une telle puissance subversive ne peut rester sans lendemain. Si les militants d’EELV avaient fait le choix d’Eva Joly pour être candidate à la présidentielle, c’est qu’ils avaient bien senti que le combat pour la République exemplaire, que nous nommons 6e République, était une question majeure.

Je termine avec quelques lignes puisées dans Le Père Duchesne, le tonitruant journal révolutionnaire de Jacques-René Hébert. Que les amis jacobins et défenseurs de l’oeuvre politique de Maximilien Robespierre (parmi lesquels je me compte) me pardonnent ce choix de circonstances assez iconoclaste, il est vrai. Mais, mon ami l’historien Michel Biard, président de la Société d’Etudes Robespierristes (SER) et brillant spécialiste de la Révolution Française, auteur du savoureux « Parlez vous sans culotte ? » m’a fait passer il y a quelques jours un court texte extrait du Père Duchesne n°257, juillet 1793. Je le trouve brûlant d’actualité et finalement la meilleure réponse à ceux qui reprochent à Jean-Luc Mélenchon (et d’autres du PG) le parler « cru et dru » : « Si j’avais voulu trancher du bel esprit, je m’en serais aussi bien tiré qu’un autre. Moi aussi je sais parler latin ; mais ma langue naturelle est celle de la Sans-Culotterie ; j’aime mieux être lu des pauvres bougres, j’aime mieux leur apprendre de bonnes vérités, et les avertir des manigances des traîtres, que de prendre le ton de nos journalistes freluquets qui, pour plaire aux petites maîtresses et aux prétendus honnêtes gens, n’osent nommer les choses par leur nom. Il faut jurer avec ceux qui jurent, foutre. Ma rudesse, quoi qu’on en dise, ne déplaît pas autant que quelques viédases le prétendent. Tous ceux qui aiment la franchise et la probité ne s’effarouchent pas des bougres et des foutres dont je larde par-ci, par-là, mes joies et mes colères ; les oreilles si délicates qui sont déchirées de mes expressions les trouveraient délicieuses si je voulais être l’apôtre de l’aristocratie […] Il est donc clair que ceux qui s’offusquent tant de mon langage n’aiment pas la vérité, et, comme je n’ai cessé de la dire, ceux à qui je déplais si fort sont à coup sûr des aristocrates. »

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