Grand marché transatlantique • Le retour du grand marché
Cela fait plusieurs années que Jean-Luc Mélenchon et le Parti de Gauche mettent en garde contre le projet de Grand marché transatlantique qui se trame dans le dos des peuples. Celui-ci vient de connaître une accélération spectaculaire à l’initiative d’Obama et Merkel, qui ont décidé que les négociations commenceraient cet été pour une application qui pourrait débuter dès 2015. Sans que François Hollande ne dise un mot.
Un projet qui rode depuis 15 ans
Constituer un grand marché transatlantique intégré est un vieux projet des libéraux et des sociaux-libéraux. Dès 1995, le démocrate Clinton, le démocrate-chrétien Jacques Santer et le social-démocrate Felipe Gonzalez lancent un « nouvel agenda transatlantique ». Il installe des instances permanentes non élues qui vont devenir de puissants lobbies en faveur du grand marché. Cela aboutit en 1998 au projet de Nouveau marché transatlantique, lancé par le conservateur Leon Brittan et les libéraux italien et allemand Mario Monti et Martin Bangemann. L’objectif est une zone de libre-échange avec suppression des barrières douanières, mais aussi réglementaires, au commerce des biens, des services et de l’investissement. Ce projet est provisoirement stoppé par Jospin et Chirac au sommet UE–USA de Londres. Bush, Merkel et Barroso le relancent en 2007. Et au Parlement européen, la droite et les sociaux-libéraux votent plusieurs résolutions pour en accélérer la mise en œuvre d’ici 2015.
Merkel et Obama tiennent le guidon, Hollande pédale
C’est Barack Obama qui donne l’impulsion faisant entrer ce projet dans une phase de négociation concrète. Angela Merkel souscrit à cette accélération le 1er février dernier à Berlin. Puis le conseil européen des 7-8 février se prononce « pour un accord commercial global UE USA ». Le 13 février à Washington Barack Obama signe avec Barroso et Van Rompuy une déclaration adoptant le nom du futur « accord de partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement ». Avec l’objectif d’ « accélérer la libéralisation du commerce et de l’investissement ». Tout s’est donc décidé sans que François Hollande ne dise un seul mot au nom de la France. Le mandat de négociation de la Commission européenne doit être adopté définitivement le 14 juin par le Conseil. Rendu impuissant sur les négociations commerciales par les Traités européens, le Parlement européen devra se contenter d’une résolution non contraignante. Et à peine le mandat sera-t-il donné à la Commission que les négociations pourront être lancées en marge du sommet du G8 du 17 juin. Dans l’opacité la plus totale puisque la négociation commerciale est une compétence exclusive de la Commission.
L’exception culturelle : l’arbre qui cache la forêt
Le seul débat qui existe aujourd’hui sur ce projet porte sur la menace qu’il représente pour la création culturelle et audiovisuelle. Cette dernière est en effet protégée en Europe par des mécanismes d’aide publique mais aussi de réglementation de la diffusion (quotas) qui sont autant d’obstacles au libre commerce. En réalité le projet est beaucoup plus vaste et dangereux pour l’ensemble de l’économie et des services publics (santé, protection sociale, transports, énergie). Le projet de mandat de la Commission vise en effet la « suppression totale des droits de douane sur les produits industriels et agricoles » et « l’objectif d’atteindre les niveaux les plus élevés de libéralisation des investissements. »
L’Europe tirée vers le bas
Pour libéraliser l’accès aux marchés, l’UE et les USA vont devoir faire converger leurs réglementations dans tous les secteurs car les normes plus contraignantes sont considérées comme des obstacles au libre commerce. Or les USA sont aujourd’hui en dehors des principaux cadres du droit international en matière écologique, sociale et culturelle. Ils refusent d’appliquer les principales conventions sur le travail de l’OIT, le protocole de Kyoto contre le réchauffement climatique, la convention pour la biodiversité mais aussi les conventions de l’Unesco sur la diversité culturelle. Leurs règlements sont donc dans la plupart des cas moins contraignants que ceux de l’Europe. Ce marché commun libéralisé avec les USA tirerait donc toute l’Europe vers le bas.
Une catastrophe écologique
Ce projet table sur les exportations comme solution de relance de l’activité. Il sera donc un frein à la relocalisation des activités. La hausse escomptée des exportations entrainera une augmentation des émissions de gaz à effet de serre que la Commission évalue entre 4 et 11 000 tonnes, en contradiction totale avec les engagements de l’UE pour réduire ces émissions. Cet accord est aussi une incitation au pire productivisme au détriment de la qualité sociale et écologique des produits. Par exemple dans la construction, les normes HQE sont beaucoup plus contraignantes que les normes américaines LEED. Idem en matière de limitation de la pollution automobile ou de production d’énergie.
Dans le domaine agricole, l’ouverture du marché européen entrainerait aussi l’entrée de produits à bas coûts de l’agro business états-unien : bœuf aux hormones, volailles lavées au chlore, OGM, animaux nourris aux farines animales. Sans parler du fait que les USA ne connaissent pas les « indications géographiques protégées » ce qui pourrait leur permettre de commercialiser du « champagne » produit en Californie.
Un désastre productif et social
Même sur un plan purement commercial, un tel accord de libre échange se ferait au détriment de l’Europe. Le taux moyen des droits de douane est en effet de 5,2 % dans l’UE et de 3,5% aux USA. Les USA retireront donc un avantage 40% supérieur de la suppression totale des droits. Et la faiblesse du dollar par rapport à l’euro profitera encore plus aux USA au détriment des productions européennes qui seront incitées à délocaliser. Combiné avec la faiblesse écologique et sociale des coûts de production états-uniens, cet accord deviendra ainsi une machine à délocalisations. La Commission reconnait par exemple que cela entraînera une « baisse importante » de l’activité et de l’emploi dans la métallurgie. Cela aggravera le chômage. Et cela durcira la pression contre les protections sociales et les services publics. Barroso a ainsi expliqué que « 80% des gains économiques attendus de l’accord viendront de la réduction du fardeau réglementaire et de la bureaucratie ».
Une impasse géopolitique
Cet accord est enfin un moyen politique pour les USA d’arrimer l’Europe à leur domination mondiale en déclin. Les USA se heurtent depuis 2001 à l’OMC à la résistance des pays du Sud (Chine, Brésil, Argentine, Inde) qui bloquent un nouveau cycle de libéralisation commerciale et financière. Le grand marché transatlantique est un moyen d’écraser cette résistance en enrôlant l’Europe dans un ensemble libéralisé dont le poids économique serait tel (50% du PIB mondial) qu’il imposerait les intérêts de Washington au monde entier.