Turquie • En direct de la place Taksim
Un militant du PG résidant à Istanbul raconte
Qu’est-ce que Gezi Park ? Un parc tout à fait banal comme il y en a des centaines, mais qui est devenu en une semaine le symbole de la résistance pour la liberté et les droits de l’homme en Turquie. L’histoire commence en fait il y a quelques mois. Pour la préparation des Jeux olympiques de 2020, le centre-ville d’Istanbul est en réhabilitation depuis 3 ans. Dans ce cadre la municipalité AKP procède depuis quelques années à une démolition des vieux quartiers insalubres avoisinant le centre-ville sans aucune consultation des acteurs locaux et parfois en violation totale du droit de propriété dans ces procédures d’expulsion.
Bref la mairie annonce que le petit parc de Taksim va être détruit et remplacé par un hôtel. Pendant deux mois, un petit groupe de militants écologistes vont faire signer des pétitions à la sortie du métro de Taksim pour s’opposer à ce projet. Le jour où les travaux doivent commencer, ils décident d’occuper le parc. La police les chasse avec violence. L’histoire se diffuse sur les réseaux sociaux et le lendemain plusieurs milliers de jeunes se réunissent sur chacun des axes menant à Taksim pour reprendre possession du parc. C’est à ce moment qu’auront lieu les premiers affrontements avec la police. Cette nuit-là, je suis avec mon ami D. jeune militant de la gauche turque. Sur le coup des deux heures du matin nous pensions rentrer lorsque sur le chemin du retour, dans le quartier de Beshiktas, nous avons vu des dizaines de milliers de personnes venir prêter main-forte aux contestataires après avoir été alertés par téléphone ou par internet de l’ampleur des évènements. Les rues sont complètement bondées et des voitures recouvertes de drapeaux et de portraits d’Attaturk arrivent de partout. Je n’avais jamais vu un rassemblement spontané d’une telle ampleur.
Lorsque la foule tente d’avancer vers la place de Taksim la police bloque le passage en usant de gaz lacrymogène et de jets d’eau. Les gens prennent la fuite lorsque les effusions sont trop fortes pour revenir ensuite par les rues adjacentes. Ils répliquent par des jets de pierre et tentent ainsi de gagner du terrain. Ils tentent aussi de construire des barricades de fortune. Lorsqu’ils ne peuvent pas prendre la fuite, tant les effusions de gaz sont fortes, les militants se réfugient dans les appartements avoisinants. Cela ne signifie pas que tout le monde soutient le mouvement, mais simplement que la population témoin des événements a été unanimement choquée par la répression disproportionnée adressée à un mouvement pacifiste dans lequel on trouvait de jeunes adolescents dont l’âge ne dépassait surement pas 16 ans.
Dans les quartiers plus éloignés du centre on proteste aussi entre 21 h et 23 heures en frappant sur des casseroles et en coupant rallumant très vite la lumière dans les appartements. (Pratique régulière jusqu’à aujourd’hui).
Dans la nuit qui suivra (samedi 1er juin), face au nombre croissant de manifestants la police décidera de se retirer de Taksim. L’occupation de Taksim est ininterrompue depuis une semaine et si la police continue à user de gaz lacrymogène sur les boulevards avoisinants il semble qu’elle ait reçu pour consigne d’attendre que la place se vide pour procéder à une offensive. Nous en sommes là.
Qui sont les jeunes qui occupent Gezi Park? Dans leur majorité ce sont des principalement des jeunes issues de la classe moyenne, étudiants ou jeunes travailleurs (la moitié de la population a moins de trente ans en Turquie). Cette opposition est loin d’être homogène. Parmi les drapeaux de Gezi Park on peut voir banderoles socialistes, anarchistes, kémalistes, nationalistes. On peut aussi voir des militants des mouvements kurdes et alévis. Même si elle reste en marge de la prise de décision une partie de l’extrême droite a aussi rejoint le mouvement. Sur la place Taksim la foule a du intervenir à deux reprises pour mettre fin a des jets de pierre entre Jeunes turcs (organisation de jeunesse kémaliste et nationaliste) et BDP (parti prokurde). Cependant la majorité des jeunes présents n’appartient à aucun parti et ne se revendique d’aucune idéologie. Tous les textes adoptés refusent la récupération du mouvement par des organisations ou des idéologies. Même Mustafa Kemal Attaturk et le Kémalisme –pourtant figure centrale de l’opposition turque depuis des années- n’y sont pas cités.
Ce qui regroupe ces jeunes c’est avant tout leurs refus de voir leur mode de vie remis en question par le gouvernement. Enfant d’une classe moyenne précaire ils ont la chance de vivre mieux que leurs parents et d’avoir plus de libertés dans leurs choix de vie. Pas encore mariés, buvant, se déplaçant et vivant comme bon leur semble, ils supportent de moins en moins le projet gouvernemental s’infiltrant dans leurs vies privées.
Que revendiquent-ils ? Quelques plates formes ont été votées ce week-end. Elles sont longues et sont régulièrement amendées. On peut cependant relever quelques axes principaux:
Vivre dans une Turquie vraiment démocratique. La libération des élus, des étudiants et des journalistes emprisonnés (plus de 10 000 prisonniers politiques). Une véritable réforme de la justice pour permettre à celle-ci de travailler librement. L’indépendance des médias par la fin de la censure, l’arrêt de l’intimidation de l’AKP sur les journalistes, le retrait des groupes commerciaux proche du pouvoir dans la direction des journaux.
Égalité de droit et de traitement entre les sunnites et les autres communautés religieuses. Le respect des droits et des spécificités des minorités kurdes chrétiennes et alévies. La reconnaissance de l’athéisme et de de l’agnosticisme.
La séparation des pouvoirs. La possibilité pour toutes les composantes du peuple et de la société civile de s’exprimer sans risquer d’être réprimé de quelque manière que ce soit. La mise en place de véritable contre-pouvoir permettant au citoyen d’exercer son rôle en dehors des élections.
L’arrêt immédiat des projets d’aménagement décidé sans consultation par les municipalités d’Ankara et Beyoglu. La fin de la dépossession des particuliers ou profit de sociétés privées propriétaires de capitaux.
Le 1er ministre Erdogan est rentré il y a deux jours de l’étranger. Il a été accueilli par ses partisans et a prononcé un discours ou il a appelé à reprendre la répression du mouvement. Les protestataires prévoient une attaque dans les jours qui viennent.