Bangladesh : Le drame du dumping social et du productivisme
Plus de 1 700 morts en huit ans, tel est le lourd tribut payé par les ouvrières du textile au Bangladesh pour fournir à bas coûts des vêtements aux grandes marques occidentales. Il aura donc fallu des morts par centaines, qui se seront littéralement tués à la tâche pour renouveler sans cesse le besoin de consommation matérielle entretenu par la mode et la publicité dans nos pays dits civilisés, avant qu’une quarantaine d’entreprises acceptent de signer l’accord des syndicats textiles internationaux et de la Campagne Clean Clothes pour plus de sécurité dans les ateliers de fabrication. Mais au-delà des actions de sécurisation, au-delà de la hausse des salaires, ces drames doivent nous interpeller sur la nécessité d’un développement endogène et du droit des peuples à décider et maitriser leur propre avenir. Rien ne justifie que ce soit des populations, maintenues esclaves du dumping social, qui aient à payer pour nous habiller. L’industrie textile n’a rien à faire à l’autre bout du monde, elle peut et devrait être locale. Des mesures de protectionnisme solidaire prendraient alors tout leur sens en recréant de l’activité ici, et en permettant ailleurs une activité de qualité, librement choisie pour les besoins locaux des peuples.
Avec un millier de morts, la catastrophe du Rana Plaza a enfin attiré l’attention de l’opinion et obligé plusieurs multinationales à réagir en signant, en mai dernier, un accord sur la sécurité face aux incendies dans les usines textiles du Bangladesh (1). Mais cet accord signé entre syndicats, ONG et plusieurs marques de vêtements et enseignes de la grande distribution est encore très loin de répondre aux problèmes de fond. Car si le secteur du textile a commencé à s’implanter au Bangladesh dans les années 70, avec la mise en place de zones franches dans lesquelles les entreprises bénéficient de conditions fiscales très avantageuses, c’est le boom de la consommation d’habillement, dans les années 90, qui a signé l’envolée de l’industrie locale qui représente aujourd’hui 15% du PIB du pays et 80% de ses exportations. Second exportateur mondial de produits textiles, juste après la Chine, le Bangladesh propose l’une des mains d’œuvre les moins chères du monde : 30 euros par mois contre 150 ou 200 en Chine. Une optimisation sociale alléchante pour les grandes marques, qui peuvent ainsi baisser leurs prix sur le marché occidental, tout en empochant de substantiels bénéfices au prix de conditions de travail déplorables pour les ouvrières. Les bénéfices de l’espagnol Mango sont ainsi passés de 1 à 2 milliards d’euros entre 2004 et 2012 ; Carrefour a triplé son bénéfice net en 2012, pour atteindre 1,23 milliard d’euros ; et chez Primark, le groupe d’habillement le moins cher outre-Manche, les profits ont été multiplié par cinq en dix ans (2).
Un grand merci de la part du capital aux ouvrières bangladaises… et aux autorités de leur pays qui, sous l’égide du FMI et en bons soldats du capitalisme globalisé, ont bien fait leur travail en vidant les campagnes de populations rendues à la misère dans les villes et devant vendre leur force de travail à très bas prix. Un procédé que dénonçait déjà Victor Hugo en son temps et qui rejoint celui appliqué à toutes les filières marchandes sur lesquelles prospère le capitalisme : de l’uranium au Niger aux terres rares au Congo en passant par l’or et les diamants dans plusieurs pays d’Afrique. A chaque fois des civils écopent en masse de conditions de vie inacceptables, au profit d’une poignée d’oligarques.
La solution n’est évidemment pas d’aménager les conditions d’exploitation de ces populations au profit des capitalistes, mais de rendre à ces peuples, comme au nôtre, leur souveraineté et leur dignité d’être humain, leur droit à maitriser un développement endogène. Nous devons ensemble mettre un terme à ce travail d’esclave et à la société productiviste qui le sous-tend. Renonçons dès maintenant aux injonctions publicitaires et aux diktats marchands. Dans les pas des préceptes de l’écologie politique, mettons en œuvre au plus vite, à l’échelle mondiale, une société écosocialiste capable de répondre à nos besoins réels que sont une nourriture saine, un environnement non pollué, une habitation décente, une culture émancipatrice, des loisirs et un travail choisis. D’ores et déjà produisons local et pensons global !
(1) http://www.bastamag.net/article3081.html
(2) http://www.bastamag.net/article3076.html