« Les ultrariches sont des vandales »
Capital fait son numéro de juillet sur les riches. Vous y lirez des éditoriaux dythirambiques sur ces « formidables créateurs de richesses » et, à quelques pages de là, sans craindre le paradoxe, une double page qui décrit les montages opaques de l’ultrariche Bernard Arnault. Les éditocrates de Capital dansent le menuet pour les puissants, mais lorsqu’il s’agit d’établir la réalité des comptes des seigneurs de notre temps, ils font appel à un chercheur, Benoît Boussemart, que Mulliez, le patron d’Auchan (entre autres), tenta de faire taire devant les tribunaux. Dans ce numéro, vous trouverez aussi votre serviteur dans le rôle du coupeur de têtes illustrant la haine française contre les riches. Je reproduis ci-dessous l’entretien donné à ce journal.
Capital. La France est l’un des pays du monde qui abrite le plus de millionnaires. Vous en réjouissez-vous ?
François Delapierre. Avec dix millions de pauvres, certainement pas. Mais le problème, ce sont plutôt les milliardaires. On assiste au développement d’une caste d’hyper-riches dans le monde entier. C’est vrai aux Etats-Unis, en Chine ou en Russie. Ces oligarques sont aussi présents en France. Ils n’ont pas amassé leur fortune au terme d’une vie de travail. Ils se sont contentés de faire quelques coups, en Bourse ou ailleurs. C’est un modèle d’enrichissement ultrarapide et sans limite. Je le dis tout net, ces gens là sont un fléau pour notre pays. Ce mauvais cholestérol de l’économie est une classe dangereuse pour la démocratie.
Q. Pourquoi ?
R. Parce qu’une telle concentration d’argent dans les mêmes poches génère forcément une concentration des pouvoirs. Avec leurs milliards, les hyper-riches disposent d’une capacité d’influence colossale. Ils peuvent acheter des pans entiers de l’appareil d’Etat par la pratique du pantouflage. Bernard Arnault a même un étage rempli d’anciens magistrats, flics, chefs du contre-espionnage, hauts fonctionnaires du fisc. Il contrôle des journaux. Cela lui permet de faire valoir ses intérêts, et de mettre les ministres de l’Economie dans sa poche. Il n’est pas le seul d’ailleurs. Toutes les grandes fortunes font pareil, et les Woerth, Lagarde, Borloo, DSK ou Moscovici sont tous ou ont tous été leurs obligés.
Q. Vous voulez dire que l’Etat soutient les milliardaires ?
R. Bien sûr. Il leur offre des entreprises sur un plateau lorsqu’il privatise, il leur réserve des marchés nouveaux, comme le poker en ligne, il leur accorde des facilités fiscales incroyables, négociées dans le bureau des ministres ou du président. La niche Copé à elle seule leur a fait gagner des fortunes. Ce ne sont pas les chômeurs qui vivent au crochet de l’Etat, ce sont les milliardaires. Et cette collusion malsaine entre le monde de l’argent et les plus hautes sphères de la République favorise la délinquance, la fraude fiscale et la corruption.
Q. Vous êtes excessif !
R. Ah bon ? Vous croyez que ces gens sont des modèles, peut-être ? Regardez Mme Bettencourt. Tout ce qui tourne autour d’elle est pourri par le fric. Ses amis la pillent, ses domestiques l’espionnent, sa fille lui fait un procès. Même une vieille famille comme les Wendel se déchire pour les millions. L’abus d’argent dissout tout sentiment humain. Les ultrariches ne peuvent faire confiance à personne. Ils se réfugient d’autant plus dans un égoïsme social exacerbé. La vérité c’est que les milliardaires se fichent des gens, de leur pays, de la planète. Ce sont des vandales.
Q. Vous ne pouvez pas dire ça. Ils créent des entreprises, de l’activité, des emplois. Sans Mulliez, il n’y aurait pas d’Auchan…
R. Mulliez, ce n’est pas Superman ! Que serait-il sans les milliers de personnes qui travaillent pour lui ? Rien du tout, il ne faut pas l’oublier. Et Maurice Levy, le patron de Publicis, qui, à 70 ans, partira avec un bonus de 5,4 millions d’euros pour clause de non concurrence ? Vous croyez que c’est lui qui invente les slogans publicitaires avec lesquels son entreprise gagne de l’argent ? Les ultra-riches ne créent pas de la richesse, ils s’approprient celle qu’ont créée des milliers de personnes. Les Américains disent « winner takes all », le vainqueur prend tout. Cette captation de la richesse d’une entreprise par un seul démotive les salariés et casse l’esprit d’entreprise.
Q. Dans ce cas, que préconisez vous ?
R. Je suis pour l’instauration d’un revenu maximum. Un patron du Cac 40 gagne en moyenne 360 fois plus qu’un smicard. Ce n’est pas humain. Il faut fixer une limite, une limite relative. Je propose qu’elle soit au niveau de 20 fois le revenu médian. Il tourne aujourd’hui autour de 1500 euros. Ca leur laisserait tout de même 360 000 euros cette année, ils ne vont pas mourir de faim. Et ils auront intérêt à ce que le revenu médian progresse. Il faut leur réapprendre à se soucier des autres. Et à comprendre que la planète n’est pas infinie.
Q. Le gouvernement actuel va dans cette direction avec la taxe à 75%. Cela vous satisfait-t-il ?
R Absolument pas. Cette taxe provisoire payée par les entreprises n’aura aucun effet sur le partage des richesses. François Hollande est convaincu qu’il faut laisser les puissants festoyer à leur aise, car plus ils seront riches, plus grosses seront les miettes qui tomberont de la table. C’est du libéralisme compassionnel. Si l’on accepte ce retour au 18e siècle, nous aurons une société de perruquiers et de mendiants.