Fallait-il se mobiliser pour défendre le trader Jérôme kerviel contre la Société générale ?
Il est l’incarnation d’un rouage essentiel du capitalisme financiarisé
La lumière s’est récemment à nouveau portée sur Jérôme Kerviel, grâce notamment à Jean-Luc Mélenchon, qui a décidé de prendre la défense du trader et de dénoncer ainsi le système politico-financier dont il n’est que le symptôme et le paravent. Son argument est simple : Kerviel est innocent et c’est la Société générale qui porte l’entière responsabilité de ces exactions.
Évidemment, certains gardie ns de la vertu s’interrogent sur l’opportunité de défendre un « ennemi de classe » comme Kerviel pour un dirigeant politique tel que le coprésident du Parti de gauche. C’est pourtant justement en partant d’une véritable analyse de classes que l’on peut comprendre de quoi il retourne vraiment dans cette affaire. Et pourquoi il faut défendre Jérôme Kerviel. Pourquoi défendre ce fils d’une famille modeste, issue des couches populaires, qui est allé se vendre au grand capital, en l’occurrence la Société générale, pour être l’un des fers de lance de la finance toute-puissante et mondialisée ? Pourquoi braquer ainsi les projecteurs sur l’innocence toute relative de ce personnage, au vu de son zèle dans la prise de risque et la maximisation du profit, alors que les syndicalistes en lutte méritent bien davantage le soutien constant que leur apporte le Front de gauche ? C’est bien en partie à cause de la coupable besogne de tous les Kerviel du monde que des milliers d’entreprises ferment à tour de bras et jettent à la rue des millions de salariés. Pourquoi, alors ? Parce que Kerviel, comme beaucoup d’autres de son espèce, n’est que l’instrument de la haute finance : instrument pour mener la lutte des classes et instrument pour la masquer aux yeux du peuple. En fait, Kerviel appartient à une nouvelle classe intermédiaire, que l’on peut appeler le contre-prolétariat.
Le contre-prolétariat, c’est cette classe bâtarde d’agents de la sphère financière, composée des traders, créateurs de produits financiers, stratèges marketing et autres courtiers, dont le but est de faire croire que la source de la richesse aujourd’hui, c’est le rendement financier et non le travail productif réel. Leur monde est un monde sans ouvriers, sans corps vivants, sans lutte de classes.
Pourtant, les financiers sont eux aussi des travailleurs soumis à l’exploitation (puisque leur travail est la source du profit des actionnaires), mais dont la particularité est de percevoir une rémunération qui, non seulement masque cette exploitation, mais place même ces travailleurs du côté de la classe dominante, au regard de leurs intérêts propres. Sont-ils des capitalistes, puisqu’ils servent le capital ? Non, ils ne sont pas propriétaires de leurs moyens de travail et sont par conséquent des salariés exploités. Alors, en toute logique, ne devrait-on pas les compter comme une frange du prolétariat ? Non plus : leur allégeance au capital, ainsi que la nature et la hauteur de leurs primes, les met précisément à part de la classe prolétarienne.
En effet, les bonus faramineux qu’ils touchent sont une part directement prélevée sur la plus-value créée par les capitalistes financiers. Si on leur ôtait la part de leur revenu tout droit issue de ce partage direct de la plus-value, ils deviendraient immédiatement de simples prolétaires. Cette part de plus-value est donc le paiement aux contre-prolétaires par la classe capitaliste de leur trahison de classe. Pour le dire en un mot, Kerviel a été employé pour lutter contre sa classe d’origine. Non seulement à travers les exigences folles de rendement imposées par la finance aux entreprises, dont il s’est fait la cheville ouvrière, mais aussi par la nature même de son travail qui conduit à gommer les rapports d’exploitation, en ensevelissant le prolétariat sous des montagnes de valeurs virtuelles. Le contre-prolétariat, en tant que bras armé de la classe capitaliste, se développe donc contre le prolétariat… tout contre.
Pourquoi donc en définitive défendre Kerviel ? Au-delà du faisceau de présomptions qui indique que cet homme est innocent et qu’il n’est que le fusible d’une affaire d’État politico-financière, il faut défendre Kerviel, car il est la démonstration vivante d’un rouage essentiel du capitalisme financiarisé et de la façon dont il broie les travailleurs sans états d’âme.
Il faut défendre Kerviel, car le système financier l’utilise pour Lire la suite dans l’Humanité