Carte postale • A Lima avant Quito
Cette deuxième carte postale du mois de juillet prend l’allure d’une interminable lettre. Elle vous arrive de Lima au Pérou. Depuis que je m’y trouve je n’y ai vu qu’un ciel gris. Le bleu et le soleil n’ont jamais percé. Un petit crachin glacé est venu parfois donner l’impression que l’humidité mortelle de l’air se purgeait d’elle-même. En fait, ici, je me trouve dans l’hémisphère sud et c’est donc l’hiver. Les témoignages de l’an passé prétendaient qu’il n’y avait pas vraiment d’hiver ici. Erreur complète. On devine donc combien j’ai hâte de revenir en été. Ce sera chose faite quand je serai en Équateur, au moment où ces lignes seront publiées. De plus je ne suis pas certain de parvenir à m’accoutumer à ces petits tremblements de terre qui sans cesse agitent le sol de la capitale péruvienne. Encore moins depuis ce qu’on m’a dit. Les scientifiques prévoient, sans pouvoir dire si c’est pour demain ou pour dans cent ans, un événement qui atteindra le niveau huit sur l’échelle de Richter !
À présent, je raconte ma rencontre avec le président de ce pays, Ollanta Humala. Cela s’est passé samedi 13 juillet au palais présidentiel Plaza Mayor. Notre entretien a duré une heure et quart. Il m’a commenté les grands axes de la politique qu’il met en œuvre, analysé l’événement qu’a été l’interception de l’avion du président bolivien et la réponse qu’y ont apporté les pays de l’UNASUR dont il exerce la présidence. Du coup je n’avais plus envie de me faire démolir le moral en écoutant François Hollande le 14 juillet. Selon ce qu’on m’en a dit, je crois que j’ai bien fait. A la fin de cette très longue note je fais quand même un écart pour parler d’un beau livre et d’une histoire de Français dans ces parages. Une histoire bouleversante. Ma prochaine carte postale viendra de l’Équateur où je me trouverai déjà quand cette note sera publiée. Elle sera davantage historique car je suis aussi sur les traces des hommes et des femmes des lumières et de la grande révolution de 1789, ici dans le nouveau monde. Et par-dessus tout je dirai où nous en sommes de la construction du Forum Mondial de la révolution citoyenne qui se prépare en lien direct avec les équatoriens.
Dimanche matin 14 juillet, je me trouvais place de France à Lima pour la cérémonie des Français. Ici nous pratiquons sur une place publique et en grande solennité. Y viennent les enfants des écoles françaises, le corps de sapeurs-pompiers soutenus par la France, tous les responsables des diverses activités que les Français ont ici en matière de recherche et de développement ou de travail scientifique. Sans oublier les représentants des Français de l’étranger et leurs associations. Bien sûr les autorités péruviennes y sont fortement représentées. Au milieu de la place une statue de la Liberté, son flambeau à la main. On a chanté à pleins poumons la Marseillaise et l’allocution de l’ambassadeur de France a célébré l’universalisme français avec un mot de Montesquieu : « avant d’être français, je suis un être humain ». Bref, la France des lumières. Le soir venu, à la résidence de France, on a encore chanté la Marseillaise. La réception a été un énorme succès qui a réunis mille deux cent personnes. Parmi tous ceux qui se trouvaient là, toutes sortes de jeunes Français, étudiants, stagiaires, professionnels divers se trouvaient là dont un bon nombre de ceux qui sont venus au-devant de moi partagent notre engagement de valeurs politiques. On s’est retrouvé entre gens positifs, qui font des choses utiles et en sont fiers
L’honnête homme
Maudits embouteillages ! Lima qui m’était pourtant parue plus fluide que bien des capitales sud-américaines, ce soir-là s’était embouteillée. J’ai fini le trajet, que j’avais commencé en taxi, au petit pas de course, dans l’état de stress que l’on devine quand on abandonne son véhicule pour courir à un rendez-vous présidentiel avec un quart d’heure de retard déjà sur l’heure prévue. Le parcours à l’intérieur du palais entre les divers contrôles me permit de reprendre mon souffle et de faire bonne figure le moment venu. Au demeurant, le président Ollanta Humala sait mettre son monde à l’aise. Après un abrazo sans façon, et après m’avoir rappelé qu’on se tutoyait, on entra dans la conversation comme si on s’était quittés hier. La simplicité tranquille de cet homme est extraordinairement contagieuse. Il n’y a en lui ni pompe ni superbe. Et ce qu’il dit concentre toute son attention.
Je ne suis pas venu à sa rencontre pour vérifier des accusations et encore moins entendre une défense. Je m’intéressais à l’homme et à sa perception des problèmes et des solutions. La sympathie personnelle qu’il m’inspire au plan humain depuis que je le connais ne se dément pas. Et si je sais bien que cela n’a pas de valeur politique, il me semble néanmoins que cela a du sens. Je place l’élection de ce président dans la vague démocratique qui a couvert toute l’Amérique du Sud compte tenu des conditions dans lesquelles il a dû faire campagne et de l’adversité médiatique bestiale qui s’est opposée à lui. Je pense que notre privilège d’observateur engagé est de pouvoir écouter et observer des façons d’agir et de penser différentes qui nous apprennent beaucoup de toutes les manières possibles. Nous savons depuis le début que chaque pays connaît des processus de transformation différents. C’est pourquoi, dans le passé j’ai toujours refusé le prétendu clivage entre le « bon » Brésil et le « méchant » Venezuela. Il faut en faire de même dans le cas du Pérou et de son président par rapport aux autres pays de l’Alba ! D’une façon plus générale il faut que je répète ce qu’est à mon avis la bonne manière d’appréhender notre relation aux gouvernements de la vague démocratique d’Amérique du sud. L’enjeu n’est pas de les soutenir ou pas. Répétons-le : il n’y a pas de modèle pour nous. Seulement des sources d’inspiration. A partir de là nous ne devons « soutenir » aucun gouvernement, aucune personnalité ce qui reviendrait à nous identifier à eux et donc à en faire des modèles. Nous soutenons des politiques en particulier et nous participons à des campagnes de défense commune contre l’oligarchie, le parti médiatique et l’Empire. Notre esprit critique ne doit jamais désarmer, et pas davantage le devoir d’apprendre avec modestie de ceux qui sont en mode action ! Tant qu’on se parle, nous formons une même mouvance, ce qui n’interdit ni les débats, ni les critiques. En me recevant, moi qui ne suis rien, sinon le symbole d’une certaine gauche européenne, le président péruvien donne un signe de connivence et de volonté de dialogue avec nos forces politiques. Je ne l’oubliais pas au moment où nous nous fîmes un abrazo final et qu’il me fit l’amitié de me raccompagner en me tenant par l’épaule. Au moins puis-je dire une chose : c’est que sur le plan personnel cet homme est moins pusillanime dans ses relations que bien d’autres qui me tournèrent le dos sitôt que François Hollande fut élu ! Que ceux-là soient revenus depuis à de meilleures sentiments après avoir découvert le personnage peu fiable du président français ne me fait cependant rien oublier.
Pour situer l’état d’esprit dans lequel se trouve Ollanta Humala, je vais citer la comparaison un peu provocante qu’il m’a faite. « Tu comprends, me dit-il, c’est un peu comme ceux qui se passionnent pour le foot. Ils sont dans l’euphorie et l’enthousiasme du match à ce moment-là et ne se posent pas d’autres questions. Mais ensuite il faut rentrer à la maison et savoir si demain tu vas travailler ou pas, si les enfants vont aller au collège et s’il y a quelque chose à manger. Moi je me sens responsable de savoir si dans mon pays il y a du travail et s’il y a à manger». Je présente là les choses comme il me les a dites avec assez d’insistance pour que je me rende bien compte que c’est là une conviction très forte pour lui. À un autre moment, peut-être parce qu’il s’est souvenu de la personne à laquelle il s’adressait, il m’a dit : « l’idéologie c’est très important, bien sûr, mais ça ne doit pas remplacer le réel ». Je pense qu’il m’a dit tout cela parce que j’étais accompagné par un camarade de la gauche de son parti et qu’il a croisé dans la pièce attenante avant de me rencontrer dans ce salon particulier qui avait été prévu pour cela. Mais moi je n’étais pas venu faire des reproches. Juste me donner la chance de pouvoir parler de l’exercice du pouvoir avec un homme que j’estime et qui est dans la deuxième année de son accession au pouvoir sur nos bases politiques communes. Ça ne m’a pas empêché ensuite d’entendre aussi ce que m’ont dit les camarades du nouveau « Frente Amplio de Izquierda ». Ils se définirent : « c’est comme le Front de Gauche en France ». Eux attribuent la responsabilité de leur rupture avec la majorité présidentielle à Ollanta Humala. D’autres aussi sont venus me voir : ils participent aux élections en cours dans le parti du président en se définissant comme la gauche de ce parti. J’ai remis mon commentaire à plus tard, quand j’aurai le temps d’approfondir ce que j’ai entendu. D’une façon générale je ne me mêle pas des discussions qui opposent les nôtres là où je vais. Je vois tous ceux qui veulent bien me parler. J’enregistre ce qu’on me dit et ensuite je réfléchis en me demandant comment je m’y prendrais moi-même si j’avais à décider sur le sujet. C’est ma forme de réalisme gouvernemental : je me demande toujours comment nous devrions faire nous-même chez nous. L’étude des autres est donc un carburant précieux.
Je sais que Humala a dû souffrir quelques empoignades avec ses amis sans que ceux-ci aient su lui proposer un autre cadre d’action global si je comprends bien. J’ai connu cette situation en France en 1983. Nous réclamions alors à cors et à cris « l’autre politique » pour nous opposer au « tournant de la rigueur ». Mais aucun de nos chefs n’avaient la moindre proposition concrète dans ce sens. Je n’ai pas oublié la leçon. Si la radicalité n’est pas concrète ce n’est qu’un songe creux. Cela ne veut certainement pas dire qu’il faut en rabattre de nos ambitions mais qu’il faut les formuler avec un mode opératoire. C’est ce que nous avons voulu faire avec notre premier forum du parti de gauche intitulé : « gouverner face aux banques ». Le programme d’action qui s’en est déduit, le livre que Jacques Généreux a donné sur le thème (« nous on peut »), tout cela est notre réponse méthodologique au danger de l’abstraction futile. Je m’en tiens toujours fermement à cette ligne d’action. Je pense que notre tour viendra et qu’il faudra être prêt. D’ici là il faut agir, sans oublier d’apprendre, et d’écouter ceux qui peuvent nous aider à comprendre, a tous les niveaux.
L’action du nationalisme de gauche au Pérou
Voici donc ma synthèse de ce que j’ai compris de mon échange avec le président péruvien. Ici, il n’est question ni de rupture avec le capitalisme ni d’éco-socialisme. La politique du président Humala est celle d’un nationaliste de gauche. Il ne s’agit de rien d’autres que de donner a la communauté péruvienne, conçue comme un tout, son indépendance collective et personnelle. Cette position lui vaut la solide haine du parti médiatique qui l’accable ici comme le sont tous nos amis partout. Cela lui vaut aussi l’incompréhension de plusieurs secteurs de gauche et de sa majorité. Mais ce qu’il fait mérite attention et nous apprend aussi beaucoup de choses. A son sujet comme au sujet de beaucoup d’autres dirigeants et de beaucoup d’autres gouvernants de la vague démocratique il faut absolument renoncer aux vieilles habitudes mentales du passé qui voudraient voir partout ou bien des modèles ou bien des traitres. Ollanta Humala dans ses pires manques est dix mille fois plus à gauche que n’importe quel jour de la vie de François Hollande ou de l’un quelconque des membres de son gouvernement. Par de nombreux aspects de sa politique, il est aussi une source d’inspiration pour notre action.
Toute la politique mise en œuvre au Pérou repose sur la bonne santé de l’économie minière. Ce que l’on appelle « l’extractivisme » a donc encore ici de beaux jours devant soi. La croissance est de six points par an. La croissance reste un horizon indépassable pour nos gouvernements dans cette région. L’intensité……Lire la suite sur le blog de Jean-Luc Mélenchon