Hongrie • En pays magyar, épisode 1 : la Green Summer Academy
Je vous écris en pays magyar, face au Lac de Velence où se tient l’Académie d’été des Verts d’Europe centrale et de l’Est. J’y ai été invitée à parler de notre Manifeste pour l’écosocialisme, dernière étape de ce premier semestre 2013 qui, depuis nos Assises du 1er décembre 2012 et la parution du Manifeste adopté par le Congrès du Parti de Gauche au Printemps, m’a vu battre la campagne aux quatre coins de France, au Maroc, en Tunisie, à Londres, Rome et Porto. Et désormais donc, en Hongrie. Je suis arrivée hier dans l’ambiance camping d’un rassemblement très jeune, végétarien et non fumeur. Une sorte de Notre-Dame-des-Landes avant l’heure, moustiques-tigres en sus. Bon. J’avais fait des réserves de barbecue, de vin rouge et de café-clope pendant mes quelques jours de pause dans le Poitou. Et connaissant la voracité de tout ce qui pique pour les peaux sucrées, fait des provisions d’anti-moustiques.
Surprise à l’arrivée, des vigiles de sécurité en uniforme de boite privée, pas franchement dans le ton. La rançon d’une rumeur lancée en guise de provocation par le porte-parole du gouvernement faisant état de la venue sur place des opposants Gordon Bajnai et Tavares, auteur du controversé rapport européen sur les droits de l’homme en Hongrie. Rumeur fausse, mais vrai branle-bas de combat, manifestation de Fidelitas, les jeunes du Fidesz d’Orban devant le camping, et presse déchainée. A ce qu’on m’en dit, car je suis arrivée après. Las, les gardes, eux, sont toujours là pour nous protéger. Même si je ne sais pas de quoi. Les conversations sont malaisées, la plupart des participants étant Hongrois, et l’anglais pas toujours maîtrisé. Résultat, je passe une partie de la soirée à discuter avec un syndicaliste allemand qui a passé sa vie à sillonner la planète pour conseiller et former les syndicats de Gambie, d’Équateur ou encore de Hongrie.
Et avec Gaspar Miklos Tamas, philosophe, ancien dissident, qui se définit comme ex-libéral puis de gauche à nouveau. Fils de juive communiste, il me raconte dans un français impeccable qu’il tient de sa mère, comment celle-ci a été paradoxalement sauvée par son étiquette de communiste, qui lui a valu d’être emprisonnée et non déportée pendant la guerre. Je l’interroge sur l’état politique de la Hongrie. Je connais mal ce pays, et malgré les articles que j’ai pu lire avant mon voyage, je suis bien décidée à essayer de mieux le comprendre ici, sur place, par l’échange direct et le témoignage. La situation, toute en contradictions, est délicate à appréhender pour un Français et ne peut se contenter d’approximations. Historiquement et politiquement, hors de question de plaquer mes propres clichés. Donc j’écoute de toutes mes oreilles, je relance et questionne, j’enregistre, mais je m’abstiens pour l’instant de commenter.
Mon interlocuteur, qui est venu de Budapest pour l’ouverture de l’Académie d’été, dresse un tableau pour le moins sombre de l’état de l’opposition politique en Hongrie. Côté partis politiques, le MSZP, équivalent socio-libéral de notre Parti Socialiste crédité d’environ 25% des suffrages exprimés dans les derniers sondages, aurait très peu d’adhérents. Tout comme les 5 ou 6 confédérations syndicales qui existent dans le pays, quasi inexistantes semble-t-il. Comme je lui pose la question des organisations paysannes et agricoles, me souvenant d’un mouvement contre la dernière réforme foncière d’Orban accusé d’attribuer dans la nouvelle répartition un peu trop de terres à ses proches du parti au pouvoir, le Fidesz, j’apprends qu’en réalité les deux grosses organisations hongroises « de fermiers » sont très majoritairement le fait de grands propriétaires terriens, même si l’une est proche du PS local et l’autre de la droite. Pas grand chose donc à attendre de ce côté là, rien de comparable en tout cas à un mouvement de masse comme a pu l’être le mouvement des sans-terre en Amérique du Sud par exemple. J’insiste : Et du côté de la « société civile », des associations, collectifs citoyens, des universitaires et des intellectuels, rien vraiment ? Ben pas grand chose, non. Une centaine d’intellectuels, pas vraiment actifs, pas trop engagés selon lui. On ressort de là, mon camarade allemand et moi, déprimés. On va se reprendre une bière au « Bufé ».
Ayant réussi à choper la wifi, je prends les dernières nouvelles du front. L’été a clairement commencé, les messages se font rares. Mais je reçois les nouvelles de globe-trotter solidaire de Jean Luc Mélenchon, lui aussi en vacances politiques et en mission, de l’autre côté du Nouveau Monde, celui qui bouge et réinvente la politique, là-bas en Amérique du Sud. L’hiver péruvien m’apporte un peu de fraîcheur ; l’annonce du lancement du Forum mondial de la Révolution Citoyenne à Quito m’évoque des souvenirs de mon séjour en Équateur il y a deux ans. On s’encourage, on plaisante, on partage photos, anecdotes, analyses et impressions. Plus de 10.000 km nous séparent et il me semble vertigineux de réaliser que nous portons le même discours internationaliste, les mêmes idées en simultané d’un bout à l’autre de la planète pour l’écosocialisme et la Révolution citoyenne, à partir de cas concrets et d’une infinie variété de situations.
Ce matin, j’ai choisi d’assister à un atelier-débat sur la politique du gouvernement Orban, posant la question de ce régime et de ses spécificités. Une panne de courant nous ayant privés de la traduction simultanée, j’ai tenté de suivre les intervenants hongrois à côté de l’interprète chuchotant en anglais. J’en retiens, en quelques mots de résumé mêlé de mes lectures, le sentiment de plus en plus tenace que la politique menée par Viktor Orban est un exemple étincelant d’oligarchie. Le Fidesz a obtenu en 2010 une écrasante majorité qui lui permet de décider seul au Parlement, il est encore crédité de 45 à 50% des suffrages exprimés dans les sondages. On ne peut pas parler de dictature. Mais on ne peut pas non plus qualifier ce régime de démocratie, dans le sens où il fonctionne avec très peu d’expression citoyenne et 50% d’abstention. Et surtout, le gouvernement mené par Viktor Orban est régulièrement épinglé, notamment par le nouveau parti PM (Parbeszed Magyarorszagért, Dialogue pour la Hongrie) et le LMP (Lehet Mas a Politika, Une autre politique est possible, placé aux alentours de 5%) de favoritisme : l’attribution des concessions de vente de tabac, de terres agricoles, de marchés publics sans appels d’offres, vont souvent aux mêmes proches et amis du régime.
Sous couvert de nationalisme revendiqué, Orban mène une politique d’essence parfaitement capitaliste, mais exclusivement réservée à une poignée de privilégiés. Car pour le reste de la population, c’est impôt fixe à 16% pour tout le monde, une TVA record à 28%, et un salaire moyen de 450 euros mensuel. 40% de la population vit en dessous du seuil de dignité. Pas franchement empreint de justice sociale. Certains parlent du coup de « capitalisme nationaliste ». Raison pour laquelle on peut y retrouver à la fois des accents antilibéraux, comme la récente demande de fermeture des bureaux du FMI et la lutte contre les injonctions de la Troïka, combinés avec des relents nationalistes qui mettent en avant la famille et la religion et permettent ainsi au Fidesz de s’allier sans sourciller au parti d’extrême-droite Jobbik qui s’est illustré par la création de milices rurales (la « Garde hongroise », interdite depuis), par son positionnement violemment antisémite et anti-roms, antilibéral et anticommuniste. Dans les intentions de vote, Jobbik se situe entre 10 et 15%.
Du coup, les débats de la « Green Summer Academy », qui regroupe un peu moins de 200 personnes sur les 4 jours à vue de nez, comment dire… Paraissent parfois un peu vains. Pour ne pas céder au découragement, je me dis qu’il importe au contraire d’y être, de soutenir et surtout, de témoigner. Pour qu’au moins les Hongrois qui luttent et résistent, celles et ceux qui essayent par d’autres manières de réinventer leur beau pays et sa société abîmée, que ceux-là se sentent moins seuls. Et les autres observés.
Avant mon départ de Velence, un couple âgé de Hongrois me demande avec insistance de profiter de la beauté de la ville de Budapest et de ne pas focaliser sur la politique actuelle du pays. Je touche là du doigt ce que j’ai lu sur le site francophone hu-lala.org, cette difficulté des Hongrois à « faire accepter au monde que l’actualité hongroise ne se résume pas au parti d’extrème-droite Jobbik, à ses milices désarmées de la Magyar Garda et à la catastrophe de la boue rouge ». Certes. Il faut hélas reconnaître que ça façonne quand même diablement un pays. Qu’à cela ne tienne cependant, je suis fermement décidée à voir la beauté de ce pays avec un regard déssillé, les yeux grand ouverts, avec lucidité.
… Et à côté des diverses notes et articles politiques que j’ai emportés, je me suis également armée d’auteurs et poètes pour m’accompagner voir le soleil se lever à l’Est sur les rives du Danube et les collines de Buda.