Hongrie • En pays magyar, épisode 2 : smartphone vs. finance, écosocialisme et tournesols
Me voici au pied des collines de Buda, face au Danube et au Parlement qui trône sur l’autre rive, côté Pest. Mais avant l’incursion dans cette ville, un retour sur le débat que j’ai tenu vendredi à l’Académie d’été des Verts sur l’écosocialisme.
J’avais retrouvé la veille ma camarade du PG Sophie Rauszer, qui m’a aidé à préparer ce séjour. Sophie travaille actuellement au Parlement européen, elle connaît bien la Hongrie. Je retrouve aussi un compagnon de route de la décroissance, Vincent Liegey, que j’ai connu il y a quelques d’années et qui est désormais responsable des débats d’idées à l’Institut culturel français de Budapest et y fait un travail remarquable. Accompagnés de Guillaume, étudiant à l’IEP de Lille et en stage à l’Institut, ils sont venus participer aux débats de l’Académie d’été et nous passons toute une pluie d’orage sous un parasol à discuter du pays. Leur expérience et leur analyse sont évidemment une mine précieuse. Je leur fais part de mon étonnement : depuis mon arrivée je n’ai pas entendu prononcer une seule fois le mot « austérité », rien sur le rôle des travailleurs et des syndicats – quasi-inexistants il est vrai en Hongrie. Personne ne semble critiquer la construction libérale de l’Union européenne, et globalement le niveau de structuration idéologique des débats me parait assez éloigné de ces réalités. Alors je décide de mettre un peu de rouge dans tout ça, après tout je suis là pour ça.
L’après-midi même, je me rends donc au débat « Restarting the world of finance », où la majeure partie des interventions tourne contre toute attente autour de la responsabilité individuelle et la surconsommation. Je sais bien qu’on est dans un rassemblement d’écolos et que c’est un sujet majeur mais enfin en pleine crise on ne parle ni dette, ni euro, ni fiscalité, ni politiques d’austérité ? L’un des intervenants, Michal Polak, qui travaille au Ministère des finances en Slovaquie, a bien tenté d’aborder ces sujets, et de belle manière (« Le pouvoir des États existe mais il est sciemment non utilisé. Il n’y a pas besoin de renforcer l’État, mais de le diriger »). Mais je suppose que le public s’approprie spontanément les questions sur lesquelles il est le plus à l’aise, et les échanges se sont vite concentrés sur le débat « avoir un Iphone ou pas ». Bon. Il faut dire que les provocations en ce sens de Yusaf Akbar, britannique enseignant à la Business School Central European University, n’ont pas aidé. Alors que les deux économistes s’accordaient à en qualifier les causes de structurelles, celui-ci nous a doctement expliqué que ce n’était pas une crise que nous traversions mais un changement de structure au long cours, qu’il serait douloureux mais qu’on en verrait le bout et qu’on s’en sortirait. Ah. En attendant, que chacun fasse attention à ce qu’il achète et tout ira bien. Rompez les rangs.
Je ne suis pas économiste, mais moi aussi j’ai un PhD britannique et deux-trois trucs à dire sur le sujet. Je suis donc allée, un peu agacée j’avoue, prendre place dans le cercle du centre où des places libres attendaient les membres de l’audience qui souhaitaient s’exprimer. Et j’y ai fait du « Gouverner face aux banques » en anglais. En substance, blâmer les individus me semble présenter deux erreurs fondamentales : un, faire l’impasse sur la possibilité dont disposent ou non ces individus de faire des choix alternatifs – je reprends pour ça l’exemple de la voiture en zone rurale et montagneuse, loin de tout transport en commun, mon préféré. Deux, faire porter la critique sur les conséquences, et non sur les causes, passant ainsi sous un silence commode la responsabilité de la finance, de la mondialisation et du système capitaliste. J’ai proposé en conséquence aux intervenants de se positionner sur deux pistes concrètes pour réorienter la production et la relocaliser au plus près de besoins réels : la mise en place de taxes sociales et environnementales aux frontières, alimentant un fonds de coopération internationale, et l’extension des droits des salariés pour reprendre en coopérative les entreprises qui ferment et sont délocalisées. Seule réponse à cela : oui ce serait bien, mais on ne peut pas à cause de la concurrence libre et non faussée. Et la proposition de Yusaf Akbar : une fois par mois, troquez votre sortie au restau contre un don de 30 euros à ces « charities » qui font un boulot si formidable auprès de ceux qui en ont besoin. Great. Plus libéral tu meurs. En conclusion du débat on arrivera quand même au fait qu’il faut à la fois une action de l’État et des individus organisés. Ben voilà. On n’est plus si loin de la Révolution citoyenne.
Après une nuit agitée où il m’a fallu défoncer une porte au couteau de cuisine et à coups de latte au pied pour sauver une intervenante allemande qui avait eu la malencontreuse idée de s’enfermer dans la salle de bains commune, me voilà repartie vers l’académie d’été pour l’atelier écosocialisme. Après mon introduction (que vous pouvez télécharger ici en pdf) avec Hegyi Gyula, ancien député européen, nous avons embrayé sur des échanges qui nous ont en définitive emmenés assez loin dans la réflexion politique. Très agréablement surprise. Une partie de la discussion a porté sur le terme de « socialisme » qui évidemment ici revêt une signification particulière… Les hongrois présents au débat, dont certains députés, divergent sur la nostalgie ou le rejet liés à ce terme et de manière plus générale au communisme chez les jeunes. Nous nous accordons néanmoins sur le fait que ce qui provoque de la nostalgie est précisément ce qu’il faut conserver : l’enseignement gratuit, la possibilité de trouver un logement pour tous… J’en ai également profité pour revenir sur la notion d’oligarchie qui me semble le clivage le plus pertinent en regard de ce qui se passe ici avec Viktor Orban. En matière d’énergie par exemple, Orban a joué le pourfendeur des compagnies occidentales, fort bien. Mais il ne l’a fait que pour mieux donner les mêmes pouvoirs à ses amis. Confiscation aux uns, cadeau aux autres. Et à la fin, la même concentration de pouvoirs, et toujours rien pour les citoyens.
Et puis, les questions des participants ont surtout révélé un vrai appétit pour ce que nous faisons en France, que ce soit au niveau du rassemblement politique du Front de Gauche ou quant à notre Manifeste pour l’écosocialisme. Les questions ont porté sur notre participation ou non au gouvernement – « au système » – , sur la démarche et le projet écosocialiste, mais aussi beaucoup sur les radicalités concrètes que nous portons avec notre association d’élus La gauche par l’exemple, ou auxquelles nous nous joignons. Régie publique de l’eau, AMAP, jardins collectifs, désobéissance civique, collectifs transition et actions de type Clan du néon ou déboulonneurs anti-pubs, initiative citoyenne européenne sur le revenu de base ou l’eau : la transition est déjà en cours, elle s’invente tous les jours sur le terrain. Je leur ai fait part de mon expérience des mobilisations massives en Ardèche contre les gaz de schiste et de la lutte des Fralib. Les yeux se sont mis à pétiller…
Il faut dire qu’en Hongrie, le plus grand ennemi c’est avant tout l’atonie de la société, et la grande question reste : comment mobiliser ? Dans ce pays très libéral au niveau sociétal, presque libertaire selon certains témoignages, on m’explique qu’il y a très peu de répression, finalement presque pas besoin de sanction : comme si les citoyens avaient intégré ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas faire. Cela produit de jolis paradoxes, où ce qui est interdit est souvent permis et où on ne trouve aucun CRS en face des manifestants. Je ne sais pas s’il faut s’en réjouir ou en gémir. Car au final, cela prouve surtout que le camp d’en face n’en a pas peur. Pour le rapport de forces c’est moyen.
Cet extrait de Sombre , le roman magnifiquement humain d’Alice Zeniter sur la Hongrie, résume l’essence des choses bien mieux que je ne saurais le faire (cliquer sur l’image pour l’agrandir… et lire confortablement) :
Enfin je ressors enchantée de ce débat, où les camarades me dirent avec un sourire ravi que de belles graines avaient été semées et où des contacts furent pris pour la suite en Hongrie. Me voilà réconciliée avec les moustiques tigres, les serrures coincées, les espaces non fumeurs envahis de chiens et la ratatouille hongroise. Sourire.
Prête à aller admirer Budapest, à y découvrir les alternatives qui pullulent, et à me plonger en attendant dans la contemplation, tout au long de la route qui m’y emmène, des champs de tournesol qui s’étendent à perte de vue…