8 septembre, délégation du PG à Tunis
Tunis, le 8 septembre 2013
Le voyage de notre délégation s’est poursuivi hier avec une journée très intense de rencontres et bien sûr, la grande manifestation de la fin de journée, commémorant l’assassinat de Mohamed Brahmi il y a quarante jours.
Après nos réunions avec le Front populaire d’avant-hier, nous avons pu discuter avec l’Union pour la Tunisie, l’autre composante de l’oppostion regroupée au sein du Front du Salut National. Nous avons eu un entretien avec Beji Caïd Essebsi, leader de Nida Tounes (l’une des principales composantes de l’Union pour la Tunisie). L’aspect le plus frappant de cet entretien est la similitude du constat de L’Union pour la Tunisie avec celui du Front Populaire sur le blocage politique actuel : le gouvernement n’est pas légitime pour gérer les affaires du pays et organiser des nominations par milliers de ses partisans dans des postes de l’appareil d’Etat ; l’Assemblée Nationale Constituante aurait dû terminer sa tâche ; la Tunisie est dans une situation économique dramatique et les libertés sont en recul. M. Essebsi a par ailleurs insisté sur la force de la société civile tunisienne et son attachement aux acquis sociétaux. Comme nos interlocuteurs de l’avant-veille, il nous a rappelé la levée de bouclier du peuple qui a tenu en échec le gouvernement islamiste lorsque celui-ci a souhaité ajouter dans la constitution l’idée de complémentarité entre les hommes et les femmes, ce qui aurait constitué un recul majeur en remettant en question l’égalité, affirmée dés la fondation de la République de Tunisie par Bourguiba. Ainsi, même si Nida Tounes porte une conception économique plutôt libérale de l’avenir de la Tunisie, il y a accord avec le Front Populaire sur la nécessité de rétablir la démocratie pour bloquer le coup d’Etat rampant du parti Ennahda.
Le constat est partagé par le secrétaire général de l’UGTT, Houcine Abassi, que nous avons eu la chance de rencontrer. L’UGTT, principale centrale syndicale du pays avec près d’1 million de membres, est l’une des quatre organisations nationales chargées d’organiser les négociations entre gouvernement et opposition. Notre entretien nous a permis de mesurer la responsabilité de cet homme et de son organisation dans l’avenir du pays. Il nous a fait part des compromis réalisés par l’opposition, et du fait que le gouvernement n’avait pas fait de pas important vers la résolution du blocage actuel : en effet le gouvernement Ennahda refuse de démissionner aujourd’hui, ce qui lui laisse le temps de raffermir son contrôle sur le pays et donc potentiellement de verrouiller les éventuelles élections futures. M. Abassi a insisté sur l’importance pour nous de défaire l’image de la Tunisie donnée par certains média français : pour lui, beaucoup de journalistes font croire que la situation de la Tunisie serait excellente, avec un gouvernement d’islamistes modérés respectueux de la démocratie, où chacun serait libre de défendre ses convictions ; « tant qu’il n’y a pas de chaos la Tunisie n’intéresse pas » nous a-t-il dit. Alors qu’il faut que tout le monde sache bien ce qui se passe ici, et que la démocratie coure un grave danger. Très concrètement, des milices islamistes dites de « protection de la révolution » commettent des exactions à travers le pays ; le local de l’UGTT a été saccagé par ces milices. Avec un visage grave, M. Abassi nous a affirmé que sa tâche était de garder son sang froid malgré tous les risques encourus, pour aider le peuple tunisien dans sa mobilisation, et n’a pas écarté l’hypothèse de grèves dans tout le pays pour faire pression sur le gouvernement.
Cette matinée très dense a terminé par un déjeuner fraternel avec nos camarades du Watad-PPDU, avec lesquels nous avons longuement échangé sur nos analyses respectives des situations françaises et tunisiennes et de l’intérêt à raffermir encore nos liens. Le Watad est en effet particulièrement intéressé par l’éco-socialisme et porte un projet de transformation sociale pour son pays. Aujourd’hui bien sûr l’urgence est à stopper la manœuvre d’Ennahda, mais sans pour autant oublier les fondements de la révolution tunisienne : la dignité humaine, la liberté, le travail, l’égalité, la justice
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Avant de nous rendre à la manifestation nous avons été reçus par une délégation des députés « retirés » de l’Assemblée Nationale Constituante au siège du Massar. Ces députés sont issus des différents partis du Front du Salut National et refusent de siéger à l’Assemblée tant que le gouvernement n’aura pas démissionné et qu’un agenda de rétablissement de la démocratie n’aura pas été acté. Eux aussi ont insisté sur le rôle que nous pouvions jouer dans le soutien internationaliste à la révolution tunisienne en témoignant en France de la situation du pays. « Il faut faire connaître le muselage des médias, la situation économique dramatique, les nominations par milliers » nous ont-ils dit, à l’appui de l’exemple d’un journaliste menacé de la peine capitale pour avoir appelé la population à ne pas payer ses factures d’eau et d’électricité.
Cet entretien terminé, nous nous sommes rendus à la grande manifestation de l’opposition. En rangs serrés avec nos camarades du Front Populaire et avec les quelques 100 000 citoyens présents, là où l’AFP n’en annonce que quelques milliers alors que son correspondant était invisible et d’ailleurs injoignable. Nous avons défilé jusqu’au Bardo dans une ambiance déterminée et chaleureuse où la volonté sans faille du peuple transparaissait à chaque slogan entonné. « Belaid, Brahmi, vivants, vivants ! Nous ne vous oublierons pas ! » / « Nahda voleur bourgeoisie compradore ! » / « Le peuple exige la démission du gouvernement ! » et bien entendu le slogan de la campagne « Dégage ! Dégage ! » soulignant qu’après le départ de Ben Ali, le processus révolutionnaire doit se poursuivre.
Au bout de la manifestation, un meeting de toute l’opposition s’est tenu, où les principaux représentants du Front du Salut National, ainsi que Mbarka Brahmi ont pris la parole pour encourager les Tunisiens a continuer le combat. Jean-Luc a ensuite pu exprimer notre solidarité, rappelant qu’en France il y a des camarades qui soutiennent le processus révolutionnaire et qu’avec nos centaines de milliers de citoyens franco-tunisiens, notre sort était imbriqué et qu’il était fondamental que nous marchions ensemble dans notre combat pour la liberté et la démocratie.
Sakina Faouzi