Documentaire • L’optimisation fiscale : une guerre contre la démocratie
Jamais les riches n’ont été aussi riches et n’ont payé aussi peu d’impôts. Quelque 20.000 à 30.000 milliards de dollars, les deux tiers de la dette mondiale, se sont ainsi évanouis dans la nature au cours de mesures d’« optimisation fiscale », un euphémisme comme notre époque en raffole pour ne pas appeler la triche et l’escroquerie par leur nom. Ces sommes invraisemblables ne sont bien sûr pas perdues pour tout le monde. Une petite dizaine de millions d’individus s’en goinfre, plongeant les 7 milliards restant de l’humanité dans une disette relative, voire bien réelle (868 millions souffrent de la faim qui tue l’un d’entre eux toutes les quatre secondes). Un documentaire réalisé par Xavier Harel, Évasion fiscale, le hold-up du siècle, diffusé sur Arte mardi soir 10 septembre à 20.50 et visible sur Internet pendant les 7 jours suivants (http://videos.arte.tv/fr/videos), relate avec pédagogie et un humour forcément noir l’ampleur et la mécanique de ce gigantesque tour de bonneteau. L’enquête qui mène de paradis fiscaux aux cabinets de conseil en « optimisation fiscale » en passant par les antichambres de banques montre à l’aide d’interviews et d’animations comment se creuse la dette des États au profit de quelques particuliers qui vivent de dividendes.
Tout passe par de savants montages. Fortes des conseils de bataillons de juristes et de comptables, les sociétés transnationales jouent de la disparité des systèmes juridiques pour déclarer leurs bénéfices là où ils sont le moins imposés. Ce sont ainsi des bureaux vides que trouve le journaliste à Jersey en lieu et place de sièges sociaux. Ou bien encore un modeste immeuble d’un étage censé abriter 285 000 sociétés dans l’État américain du Delaware tandis que Barack Obama à quelques encablures de là, depuis Washington, fait mine de s’indigner d’une situation similaire aux îles Caïmans (18 000 – seulement !- sur quatre étages). On peut douter de la volonté d’éradiquer ces paradis fiscaux malgré les rodomontades des représentants du G8 ou G20. On en dénombre toujours dans le monde une soixantaine et pas toujours si exotique que cela, voir tout près de nous la Suisse et au sein même de l’Union européenne, les îles anglo-normandes de Grande-Bretagne ou le Luxembourg…
Jean Ziegler, universitaire et homme politique suisse, actuellement vice-président du comité des Droits de l’Homme aux Nations-Unies n’hésite pas à dénoncer le fameux secret bancaire helvétique comme une pratique mafieuse qui autorise le pillage de pays voisins. Il interdit de savoir qui fait quoi et où, il laisse dans l’obscurité les mouvements de capitaux souvent virtuels qui permettent aux grandes sociétés multinationales de déclarer les bénéfices là où cela leur coûte le moins. En France, les sociétés cotées au CAC 40 sont en moyenne imposées sur leurs bénéfices à 8% contre 33% pour les petites et moyennes entreprises. Mais ces dernières ne seraient plus forcément en reste comme l’indique une enquête de Médiapart en date du 5 septembre. Des cabinets espagnols ou anglais prospectent désormais directement les dirigeants de ces petites et moyennes entreprises hexagonales pour leur proposer afin de réduire « charges et impôts » la création d’une société, contre la modique somme de 2 à 3000 euros, au choix en Angleterre, à Chypre… ou dans les pays les moins-disants fiscalement comme l’Espagne, les Pays-Bas, la Pologne… Pire, des particuliers se lanceraient de plus en plus massivement dans la triche comme l’indique le numéro du dimanche 8 septembre du Parisien/Aujourd’hui en France. Les saisies d’argent liquide aux frontières par les douanes dépasseraient au 1er trimestre 2013 les 103 millions d’euros contre 88 millions pour l’ensemble de l’année 2011. Soit une hausse de 518,3%…
La parade des États à ces diminutions de rentrée d’impôts s’avère aussi inadaptée qu’injuste. En effectuant des coupes dans les budgets publics, en multipliant les mesures d’austérité, ces politiques déstructurent la vie sociale et plongent les populations de pays entiers dans la gêne voire la misère. Les paradis fiscaux fonctionnent comme jamais, affirme Jean Ziegler. Si bien que cet ensemble de pratiques « d’optimisation fiscale » constitue une réelle et très dangereuse menace à l’encontre de la démocratie. Un peu légèrement, le documentaire conclut sur des avancées positives dans la réglementation. Comme si les institutions internationales, l’Union européenne par exemple ou bien encore l’administration américaine, n’avaient pas jusque-là montré leur empressement à servir les intérêts des sociétés transnationales ou, au mieux, à laisser faire. À l’évidence, les citoyens ne pourront compter que sur les politiques qu’ils seront capables d’imposer.