Municipales • Marinaleda ou la révolution citoyenne

Marinaleda_Paz.jpg Le village de Marinaleda se trouve à 100 km de Séville, dans une région pauvre où les structures agraires du latifundio sont aux mains de grands d’Espagne, comme le Duque del Infantado ou la Duquesa de Alba pour lesquels travaillent encore des milliers d’ouvriers agricoles. Par ici, on a longtemps vécu sous le joug d’un caciquisme brutal et on a connu la faim, quand on était journalier agricole de père en fils, bonne ou plus souvent sans emploi, de mère en fille. C’est pourtant dans ce petit bourg de 2600 habitants que se met en place depuis 1979 un laboratoire inédit de radicalités concrètes.

Cette révolution citoyenne andalouse remonte ainsi aux premières élections municipales après la Transition démocratique, avec la victoire de Juan Manuel Sanchez Gordillo, formé à l’école du syndicalisme agricole radical du SOC (Syndicat des ouvriers agricoles). Le charisme de celui qui a été sans cesse réélu depuis et son sens de la pédagogie politique jouent un rôle important. Mais c’est bien un bouleversement par la base qui se met en place, avec la prise de décision confiée à des assemblées populaires municipales, impliquant dans l’action concrète ceux qui jusque là n’avaient pas voix au chapitre dans l’Espagne du sabre et du goupillon.

Marinaleda_dessin.jpg La métamorphose de cette petite bourgade rurale s’est faite selon des objectifs méthodiques et précis, conjuguant exemplarité des élus municipaux d’Izquierda Unida, consultation permanentes citoyens et pratique systématique du rapport de force : occupation d’un barrage, puis de 1200 hectares de terres non cultivées à el Humoso, mise en place d’une production maraichère irriguée qui donne du travail à 400 personnes, partage horizontal du travail ainsi créé et diversification des revenus, avec la mise en place de la coopérative agro-alimentaire Humar, pression constante sur la Junta socialiste d’Andalousie pour obtenir de meilleurs équipements publics grâce à d’incessantes manifestations et occupations.

La bifurcation est aussi culturelle. Une contre Semaine sainte, « fête pour la paix », se tient tous les ans à Pâques, sans oublier que dans les assemblées municipales, on débat autant de la nécessité d’un canal d’évacuation que de la guerre de Syrie ou de la dette des pays du Sud. Les femmes sont la priorité de cette politique d’intégration par le travail et la mobilisation collective. Elles sont désormais présentes dans l’ensemble des postes de décision et de responsabilité de la municipalité et des coopératives.

Marinaleda_rue.jpg Le bouleversement des conditions de vie est évident. Là où le taux de chômage dépassait les 30%, les sans emplois sont devenus une exception. Dans les coopératives, quelle que soit sa fonction, on touche 47 euros par jour, bien plus que le salaire d’un journalier agricole moyen. Là où l’on s’entassait dans de petites maisons vétustes, on peut désormais accéder à un logement de 90 m2 pour 15 euros par mois, grâce au programme d’autoconstruction. Le matériel est subventionné par la région, l’architecte est un fonctionnaire municipal et les constructeurs sont les futurs propriétaires eux-mêmes. La crèche, les activités sportives ou culturelles sont 4 à 10 fois moins chères que dans les communes voisines.

Quand on a le courage de bifurquer et de résister collectivement, on est évidemment soumis à un rude traitement par les médias et les autorités locales qui cherchent à dénigrer et affaiblir ces partageux des temps modernes. Les temps sont durs depuis quelques années. Avec la crise, il n’y a plus de travail dans le bâtiment sur la côte. Mais c’est surtout la répression policière qui est très forte. Les amendes pour avoir participé à des manifestations ou des opérations du syndicat SOC-SAT sont disproportionnées, de 6 à 10 000 euros par personne pour l’occupation du terrain militaire abandonné de las Turquillas. Peu importe, « quand on pense à ce que nos parents ont fait pour se sortir de la misère, on se dit que nous aussi on sera à la hauteur » affirme avec enthousiasme Sergio Gomez, le conseiller municipal à la jeunesse.

Marinaleda_carte.jpg A Marinaleda, la seule réponse à la crise et à l’austérité, c’est l’action et la planification de nouveaux projets. Dans une Espagne à la dérive où quasiment 6 jeunes sur 10 n’ont pas d’emplois, le syndicat et les habitants du village ont lancé de nouvelles opérations. On réquisitionne symboliquement dans des hypermarchés de la région des biens de première nécessité ou du matériel scolaire sur lequel la TVA est passée de 4 à 21 %, depuis que le Parti Populaire est au pouvoir. De nouvelles municipalités se tournent ver ce modèle comme La Pedrera à quelques kilomètres. De nouvelles terres sont occupées et mise en valeur selon des modèles écologiques.

Ce ferment de révolution citoyenne en Andalousie se nourrit de nouveaux projets, de soutiens internationaux et appelle à ce que ces initiatives concrètes s’étendent en Europe et dans le monde.

Commentaires

Les Commentaires sont clos.