Intervention de Christophe Ventura au meeting du front populaire Tunisien
Mes camarades, chères amies du Front Populaire. Au nom du Parti de Gauche, de ses coprésidents Martine Billard et Jean Luc Mélenchon, je tiens à vous remercier pour votre invitation.
C’est pour moi une grande fierté de m’adresser à vous, en cette période déterminante pour l’avenir de la Tunisie en révolution, et en présence de Basma Khalfaoui et M’Barka Brahmi qui sont devenues l’incarnation et les dignes symboles de la résistance du peuple tunisien. Pour cela, elles ont payé le prix fort. Celui de la mort, par lâche assassinat, de leurs maris respectifs, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.
Comme nous l’avons dit à de nombreuses reprises, encore le weekend dernier devant vos frères d’Al Massar réunis également à Paris, le processus révolutionnaire ouvert en 2011 en Tunisie a regonflé le coeur de la gauche internationaliste.
Nous ne sommes pas de ceux qui craignent l’irruption du peuple sur la scène politique, qu’il soit tunisien, français, ou autre. Et, malgré les craintes légitimes face à la situation sécuritaire actuelle très tendue, comme l’ont encore montré les abjectes attaques terroristes de la semaine dernière et de mercredi, qui ont causé la mort de huit membres de la garde nationale auxquels je souhaite rendre hommage ici, nous ne ferons jamais partie de ceux qui expriment leur regret d’un régime dont ils oublient qu’il était la négation de la République tunisienne, du peuple tunisien et même, contrairement à une idée très répandue, de l’idée que nous nous faisons de la laïcité.
Seuls ceux qui croient qu’une révolution peut se faire sans rapports de forces, c’est-à-dire ceux qui ne croient pas aux révolutions, ont pu oublier un temps que tout processus révolutionnaire déclenche mécaniquement des forces contrerévolutionnaires qui s’attèlent à un processus qu’ils n’ont pas déclenché, pour le détourner. Bref, face aux discours démobilisateurs, nous continuerons à dire que la Révolution déclenchée en Tunisie en janvier 2011 peut et doit influencer les forces de gauche en Europe, tout comme le font les révolutions citoyennes d’Amérique latine.
Notre devoir est donc de soutenir les forces progressistes tunisiennes à chaque fois qu’elles le demanderont. A notre place, sans prétendre leur dicter une stratégie qui relève de choix souverains. Pour nous, la Tunisie ne se résume pas à des statistiques économiques produites par des soi-disant experts du FMI ou d’ailleurs. Ce même FMI qui vient de déclarer qu’il s’inquiète pour la stabilité économique du pays, sans un mot pour les forces du progrès en lutte, sans le début d’un avis sur les responsabilités de cette situation… Peut-être finalement qu’à l’instar de certains dirigeants français, le FMI se satisferait d’un pays sous la férule d’Ennahda, où les « affaires » marcheraient, sans être dérangées par des grévistes et des manifestants réclamant leur dû et défendant leur patrie. Après tout, Monsieur Strauss Kahn n’avaitil pas, en son temps, félicité Ben Ali ?
Ces forces progressistes tunisiennes ont, comme vous le savez mieux que nous, été durement éprouvées depuis le début de l’année. Je veux rendre ici un nouvel hommage aux camarades Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, dont les assassinats furent un crime contre le peuple tunisien dans son ensemble.
Qu’elles émanent de vous-mêmes, camarades du Front populaire, ou de l’Union pour la Tunisie, désormais votre alliée au sein du Front du salut national alliance par laquelle vous avez su répondre avec force aux nouveaux crimes commis durant l’été ces forces ne lâchent rien. Cette capacité de résistance s’enracine dans une histoire de luttes, autour des mouvements de la gauche tunisienne, des forces du peuple tunisien, et d’une société civile d’une richesse inouïe, symbolisée par un grand syndicat, l’Union général tunisienne du travail (UGTT), que tout le monde arabe et au-delà vous envie
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Cette capacité de résistance se manifeste de mille manières dans les grèves, qui parsèment le pays, les luttes des femmes, des pêcheurs artisanaux, des avocats, des syndicats de policier dénonçant l’instrumentalisation des forces de sécurité par le pouvoir en place, des étudiants, qui ont aussi manifesté hier, des enseignants, des chômeurs de Siliana il y a un an.
Et je pense aussi à ces militants qui, face aux défaillances et obstructions d’un gouvernement qui souhaitent visiblement cacher ses compromissions, réalisent à la place de la justice officielle des enquêtes sérieuses et détaillées sur les crimes politiques. Comme celle des camarades qui cherchent la vérité sur les assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Enfin, cette capacité de résistance s’illustre dans le nouveau bras de fer engagé cet été face au pouvoir.
Sans la décision des députés de l’opposition, dont bien sûr ceux du Front populaire, de quitter l’Assemblée nationale constituante, la troïka n’aurait pas été acculée à accepter un dialogue national. Sans votre unité et votre détermination sans failles, Ali Laârayedh et le gouvernement n’aurait pas annoncé, aujourd’hui même, son engagement à démissionner. Il faudra toute votre unité et votre détermination pour que soit respectée et traduite en faits cette annonce.
L’établissement d’un rapport de forces obligeant le pouvoir à discuter, la mobilisation populaire, consciente et non téléguidée par quelconque Etat-major, la formation d’un camp du progrès qui n’acceptera pas de revenir en arrière, et qui saura se présenter au futures élections bien plus uni qu’il ne l’avait été en octobre 2011, sont autant d’exemples pour nous tous. Soyez certains de pouvoir compter sur nous dans les prochaines semaines, qui seront déterminantes, quoiqu’il arrive.
Ce soutien sans faille est pour nous d’autant plus évident que nos adversaires, voire nos ennemis, sont les mêmes. En France comme en Tunisie, les réactionnaires, l’extrême-droite, s’attaquent toujours aux étrangers, à la gauche, aux syndicalistes. En Tunisie, comme en France, l’oligarchie financière continue à spolier le peuple pour préserver ses intérêts. En Tunisie comme en France, ces forces rechignent toujours à donner la parole au peuple, quand elles ne le bâillonnent pas de force.
Le Parti de Gauche sera donc toujours aux côtés du Front populaire et du peuple tunisien dans les luttes qui viennent pour la défense de la démocratie au sens le plus strict du terme, des libertés, de la laïcité, et de la souveraineté politique.