LRU à l’Horizon 2020 • Chronique d’une marchandisation annoncée de l’Université et la Recherche

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Jeudi 21 novembre 2013 au Parlement européen de Strasbourg, douze députés membres du groupe de la GUE/NGL (dont Jean-Luc Mélenchon) ont voté contre le texte « Horizon 2020 – Programme cadre pour la recherche et l’innovation (2014-2020) » dont le budget s’élève à plus de 70 milliards d’euros. Remplaçant le 7e programme-cadre pour la recherche, « Horizon 2020 » poursuit la libéralisation de l’espace européen de la recherche en incluant notamment un meilleur soutien aux petites et moyennes entreprises et en introduisant la compétitivité comme objectif et valeur de la recherche. En votant contre ce texte, les députés européens du Front de Gauche pour changer l’Europe marquent une opposition à la marchandisation de l’université et de la recherche en France et en Europe en lien avec la stratégie de Lisbonne. Dans le même temps, des voix de plus en nombreuses s’élèvent en France contre le déficit structurel des universités. Quel est le lien entre l’espace européen de la recherche et la situation française des universités ?

Dès janvier 2000, la Commission européenne lance l’idée d’un Espace européen de la recherche (EER) combinant un «marché intérieur» européen de la recherche et des initiatives conçues et financées par l’Union. En avril 2007, la commission publie un Livre vert sur «L’Espace européen de la recherche : nouvelles perspectives» visant à mettre en œuvre la nouvelle économie européenne de la connaissance, à développer des partenariats public-privé et à renforcer l’autonomie des universités. Quelques mois plus tard, en France, sous le gouvernement Fillon, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (dite loi LRU ou loi Pécresse du 10 août 2007) instaure l’autonomie des universités. La loi LRU prévoyait que, d’ici 2013, toutes les universités accèderaient à l’autonomie dans les domaines budgétaire et de gestion de leurs ressources humaines et qu’elles pourraient devenir propriétaires de leurs biens immobiliers. Dans un contexte de désengagement massif de l’Etat sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la loi a aussi accru le pouvoir des présidents d’université et renforcé la présence du monde économique dans l’université, mettant souvent à mal la démocratie universitaire. Elle a créé les conditions d’un système universitaire à deux vitesses : les grandes universités métropolitaines engagées dans la course à l’excellence et les petites universités de province et de proximité, souvent contraintes de fermer des filières d’enseignement et des laboratoires « non rentables ». Avec le Programme investissements d’avenir, (22 milliards d’euros destinés à l’enseignement supérieur et à la recherche) et l’alignement européen des critères du classement de Shanghai, la loi a progressivement instauré un climat de compétition interuniversitaire à tous les étages : compétition entre les universités, les sites, les pôles d’excellences, les laboratoires, mais aussi compétition interne au sein des universités, entre les services, les composantes, les laboratoires, les enseignants-chercheurs et les personnels techniques et administratifs. Compétition aussi dans la recherche à l’échelle européenne car en 2013, les chefs d’État et de gouvernement des États membres de l’UE, réunis en Conseil européen, ont décidé que, dans le cadre de l’Horizon 2020 « toutes les politiques seront mises à contribution pour accroître la compétitivité ». Si une place est bien accordée à la recherche fondamentale et universitaire, c’est essentiellement au service de l’innovation tournée vers le profit. Et si certaines sciences humaines et sociales sont convoquées, c’est en grande partie dans une perspective utilitariste et marchande.

Six ans après l’entrée en vigueur de la LRU, deux ans après l’élection de François Hollande, quel bilan peut-on tirer ?
Alors que l’université et la recherche françaises sont parmi les plus reconnues en Europe, on ne compte plus les universités françaises au bord de la faillite. Beaucoup d’entre elles sont condamnées d’augmenter leur déficit chaque année depuis le passage aux RCE (responsabilités et compétences élargies) et accueillent des étudiants dans des amphis surchargés (et, pour certaines universités, sans chauffage par mesure d’économie), avec des cursus rabotés par manque de moyens et des enseignants-chercheurs non remplacés du fait de postes gelés pour ne pas accroitre la masse salariale. En réalité, ce déficit est structurel car l’Etat n’a jamais transféré la totalité des salaires des titulaires à l’université. En mars 2013, après les coupes budgétaires décidées par le gouvernement, la conférence des présidents d’université déclarait dans un communiqué : «une part importante d’universités est inéluctablement conduite au déficit». De son côté, le SNESUP-FSU, principal syndicat de l’enseignement supérieur, dénonce cette dégradation depuis plusieurs années, alors même que des milliards sont scandaleusement gaspillés en Crédit impôt recherche. A partir d’une enquête récente sur les difficultés budgétaires des universités depuis le passage aux « Responsabilités et Compétences Élargies » le SNESUP dresse un bilan accablant de la situation financière de l’ESR. Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour dénoncer cet état de fait, au travers des motions votées dans les conseils centraux des universités, par les déclarations des présidents d’universités, dans les interrogations et interventions des parlementaires.

Les votes des députés de la GUE/NGL s’inscrivent dans cette démarche de résistance : en France et en Europe, l’austérité universitaire n’est pas une fatalité.

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