Ce 1er décembre, « nous sommes en 1788 »
Paris s’est mis au rouge ce 1er décembre. A l’appel du du Parti de Gauche, de ses partenaires du Front de Gauche, et d’autres organisations comme L0 et le NPA qui s’y sont joints, de certains syndicats affiliés à la CGT, de personnalités diverses, pas moins de 100 000 personnes se sont mises en marche entre la place d’Italie et la place Léonard-Bernstein, près du ministère des Finances de Bercy. Un succès sans équivoque pour une manifestation en tenue de saison, écharpe, gants, pardessus, bonnets… parfois rouge ou rouge et vert, aux couleurs du PG, mais plutôt phrygiens. Quoi qu’il en soit, les slogans, les mots d’ordre de cette marche pour une révolution fiscale qui cible les privilèges, le Medef et les augmentations de la TVA au 1er janvier prochain étaient sans équivoque, loin de toute la confusion avec les « bonnets rouges » de Quimper. La référence à la révolte des « bonnets rouges » de 1675 est d’ailleurs paradoxale. Les historiens spécialistes de la période s’accordent pour dire qu’il s’est agi d’une révolte contre les prélèvements effectués par le clergé et les seigneurs locaux et non contre Paris. Nulle trace de nationalisme ou de régionalisme, encore moins de rejet de l’exploitation d’un pouvoir central affreusement jacobin vampirisant les provinces. D’abord parce que la Révolution française se produit plus d’un siècle plus tard. Ensuite parce que le club breton, qui est le premier à réunir des représentants des Etats-Généraux de 1789 pour discuter et coordonner l’action est composé de Bretons comme son nom l’indique et se trouve être à l’origine du club… des Jacobins. De quoi sourire de la référence historique du « ras-le-bol fiscal » présentée comme caractéristique identitaire de la Bretagne et de son opposition supposée séculaire à un pouvoir central prédateur.
La confusion ne marchait en tout cas pas avec les manifestants de la capitale et de province qui avaient fait dimanche le voyage. Les affiches de partis comme « Les travailleurs créent la richesse, les actionnaires se gavent », ou celles plus artisanales de participants à la marche disaient toutes en substance la même chose. « Justice sociale et justice fiscale maintenant », « Le problème c’est le coût du capital, pas du travail », « Notre règle d’or, l’humain d’abord », « Fraudeurs et exilés fiscaux disent Bercy beaucoup » ou encore « Pour la finance, des couilles en or, pour le peuple, des nouilles encore ». Le refus des multiples applications de la politique austéritaire, de l’injustice, du démantèlement des systèmes sociaux qui participent à faire la communauté des Français peuvent se résumer en un puissant et massif: c’est assez. En rang serré, dans le désordre habituel qui fait souvent précéder de plusieurs milliers de manifestants le carré de tête où se tenaient les représentants des organisations, les participants ont défilé avec beaucoup de calme, mais non sans colère froide et la résolution qui l’accompagne. Le roi président Hollande comme le fustigent certaines pancartes n’aura sans doute pas l’oreille assez fine pour le percevoir.
Pourtant, « Nous sommes en 1788 », constate Jean-Luc Mélenchon, premier à prendre la parole sur un podium installé sur la place Léonard-Bernstein, à l’issue de la marche, plus de deux heures après le départ de la manif. Il cite Victor Hugo, « c’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches », et dresse l’interminable et scandaleuse liste des cadeaux divers et variés dont ont bénéficié les puissants et dont le financement doit entre autres passer, dès janvier prochain par l’augmentation des taux de TVA, l’impôt le plus injuste qui soit, « un impôt d’Ancien régime ». Aussi face à ces ennemis qui ne sont ni « l’immigré, le fonctionnaire ou Paris » mais plutôt « la finance française et mondialisée, les 200 000 exilés fiscaux qui ont volé à la France 85 milliards d’euros, les actionnaires et leurs milliards de dividendes » le coprésident du Parti de Gauche s’est réjoui de la manifestation de puissance de la marche d’aujourd’hui. Il y a vu la naissance effective d’une force alternative de gauche qui permet tous les espoirs dans la résistance à la mise en place de la TVA en janvier et au-delà dans la nécessaire révolution fiscale à impulser. C’est peu ou prou ce que les porte-parole des autres composantes du Front de Gauche, Pierre Laurent, Christian Picquet, Clémentine Autain entre autres soutiendront à leur tour avec les nuances de leur positionnement. Pour Jean-Luc Mélenchon, cette révolution s’axe autour d’un principe plutôt simple : « Tout le monde paie des impôts, mais de manière progressive et selon ses moyens. » Certes, il n’est pas encore l’heure d’écrire cet article d’une nouvelle constitution indispensable, mais pour y parvenir, il lance un appel à la mobilisation pour l’organisation d’une nouvelle manifestation en janvier, encore plus large et plus massive. Le Front de Gauche va ainsi proposer dans les semaines qui viennent à toutes les forces de gauche, partis, syndicats, associations de salariés, écologiques de « faire naître le nouveau front populaire de notre temps ».