Loi d’avenir agricole : Encore un renoncement politique

Le projet de « loi d’avenir agricole » est actuellement discuté au Parlement. Il est censé traduire les orientations politiques du gouvernement en termes de transition écologique de l’agriculture, d’installation et de régulation du foncier. Le PG attendait des propositions fortes pour changer de modèle agricole et assurer une véritable transition écologique de l’agriculture. Le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll a fait de l’agro-écologie son cheval de bataille. Allions-nous découvrir un projet politique digne de ce nom, à même d’opérer le virage de l’agriculture ? A la lecture de l’exposé des motifs du projet de loi, on aurait pu se réjouir de voir enfin pris le taureau par les cornes. On y lit la promesse « d’énoncer les orientations de long terme, de réaffirmer la nécessité de régulation ». L’une des priorités politiques mise en avant est d’assurer « un haut niveau de sécurité sanitaire pour les consommateurs et de réduire les impacts négatifs de l’agriculture sur les milieux naturels ». Mais on déchante assez vite. Les orientations sont tous azimuts et bien souvent contradictoires.

Le projet de loi affirme que l’une de ses finalités est le soutien aux revenus des agriculteurs et le développement de l’emploi au travers d’un meilleur partage de la valeur ajoutée. La réponse politique vise à renforcer la compétitivité et l’innovation des filières. Ces deux notions « compétitivité » et « innovation » apparaissent comme les figures de proue du jargon gouvernemental.

S’il faut favoriser l’ancrage territorial de la production et le développement des circuits courts, l’agriculture doit également relever « le défi de la compétition internationale » et « renforcer la capacité exportatrice la France », etc. La doxa productiviste côtoie allègrement les incantations en faveur de la transition agro écologique ou de la promotion d’une agriculture familiale, territorialisée.

ll ne s’agit plus de défendre un modèle agricole, celui de l’agriculture familiale et encore moins de l’agriculture paysanne, mais d’entériner la supposée duplicité des modèles agricoles : la figure de l’agrimanager qui gagne des marchés à l’export et celle du « petit producteur » qui fournit des produits fermiers au marché du coin. Cette vision binaire est censée réconcilier les apôtres de l’agrobusiness et les partisans de l’agriculture paysanne.

On cherchera tout autant les mesures concrètes et les outils législatifs en faveur d’une véritable rupture par rapport au système de production dominant. La question de fond est de savoir en quoi ce projet de loi permet de créer des emplois, de favoriser réellement une agriculture écologique et d’améliorer la répartition de la valeur ajoutée au sein des filières agricoles.

A la décharge du gouvernement on pourra citer quelques articles qui semblent aller dans le bon sens. Le projet de loi prévoit de reconnaître des « groupements d’intérêt économique et environnemental » à l’initiative d’agriculteurs pour lancer collectivement des démarches en faveur de l’agro écologie. Il introduit les clauses environnementales dans les baux ruraux. Fait nouveau, il contient une définition de l’agro écologie : « Les systèmes de production agro-écologiques privilégient l’autonomie des exploitations agricoles et l’amélioration de leur compétitivité, en diminuant la consommation d’énergie, d’eau, d’engrais, de produits phytopharmaceutiques et de médicaments vétérinaires, en particulier les antibiotiques. Ils sont fondés sur les interactions biologiques et l’utilisation des potentiels offerts par les agro-écosystèmes, […] »

Concernant la politique de structure et le foncier, les conditions minimales d’installation qui verrouillaient l’entrée dans la profession et écartaient notamment les installations hors cadre familial et non conventionnelles sont revues pour être moins limitantes. La gouvernance des SAFER (sociétés d’aménagement foncier impliquée dans la régulation du marché foncier rural) est révisée pour apporter un peu plus de pluralisme au sein des conseils d’administration souvent phagocytés par quelques copains émargeant au sein du syndicat majoritaire.

Mais les lobbies agricoles et de l’agro-industrie ont été particulièrement virulents. Le gouvernement s’est montré soucieux de ne pas froisser le syndicat majoritaire impliqué dans la cogestion des politiques de l’Etat depuis 50 ans. Il s’est avéré trop frileux pour ébranler les intérêts économiques agroindustriels. Le projet de loi devait s’attaquer à l’utilisation excessive des intrants chimiques dans les cultures et des antibiotiques à destination des élevages. Il devait proposer des mesures précises pour assurer une meilleure répartition de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne alimentaire. Soit le texte reste silencieux sur ces questions, soit il ressort profondément édulcoré des mois de discussions. Il apparaît comme une compilation de mesures vidées de leur substance.

Face aux pollutions liées aux nitrates, le gouvernement propose seulement de rendre obligatoire les déclarations annuelles d’azote dans certaines zones vulnérables. En quoi ce dispositif résout-il les problèmes de pollutions diffuses ? Afin de diminuer la consommation d’herbicides et de pesticides, le projet de loi subordonne la vente de produits à la délivrance de conseils. Autrement dit, c’est au propre vendeur ou distributeur de produits phytosanitaires d’inciter l’agriculteur à baisser sa consommation ! Quant aux mesures pour diminuer la consommation d’antibiotiques, il est seulement prévu d’établir des recommandations et un objectif non contraignant de réduction de 25 % d’ici 2016.

Cette « loi d’avenir » est une occasion manquée pour engager l’agriculture dans une véritable transition écologique. Plus d’un an et demi après l’élection présidentielle, les ambitions agroécologiques affichées par le gouvernement ne se traduisent pas dans les faits. L’actualité est là pour nous le rappeler. Les décisions récentes vont plutôt dans le sens d’un rétropédalage voire d’un renoncement. Les derniers arbitrages sur la politique agricole commune contredisent les efforts du gouvernement pour communiquer sur une PAC plus « verte » et plus « juste ». Le ministre de l’agriculture vient de ré-autoriser les épandages aériens de pesticides (notamment pour les cultures intensives de bananes dans les Antilles et la viticulture). La réglementation concernant le régime d’autorisation des activités d’élevage porcin a été assouplie : plus besoin d’étude d’impact environnemental pour les agrandissements de porcheries industrielles. La commission européenne vient à nouveau d’épingler la France pour son manque d’action et de contrôle dans le cadre des programmes de lutte contre les pollutions des eaux par les nitrates.

Les orientations prises par le gouvernement appellent à une mobilisation de gauche pour des propositions concrètes en rupture avec le modèle productiviste agricole. Cette rupture nécessite une volonté politique forte face aux corporations et lobbies. C’est une nécessité si l’on veut garder des paysans pour une alimentation de qualité, la préservation des écosystèmes et des campagnes vivantes.

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