Adoption du Rapport Lunacek au Parlement européen • Une victoire sur les réactionnaires mais limitée au compromis social-libéral majoritaire
Déclaration du Parti de Gauche
Mardi 4 février, le Parlement européen a adopté le Rapport de l’eurodéputée Ulrike Lunacek (groupe Verts) intitulé « Feuille de route de l’UE contre l’homophobie et les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre ». Cette Résolution non contraignante a recueilli 394 voix Pour (dont celles de Jean-Luc Mélenchon et du groupe GUE), 176 Contre et 72 Abstentions. Après le rejet du Rapport Estrela en décembre dernier sur les droits reproductifs et l’IVG, l’adoption du Rapport Lunacek est une victoire sur le camp des réactionnaires qui a le vent en poupe, en France comme dans le reste de l’Europe, et qui s’était une nouvelle fois mobilisés auprès des eurodéputés pour faire échec à leur ennemi désigné qu’ils nomment « la théorie du genre ». Les eurodéputés français de l’UMP et les allemands de la CDU/CSU ont clairement rejoint le camp réactionnaire en votant Contre la Résolution (seul 30% des députés du groupe de droite PPE, venant d’autres pays, ont voté Pour la Résolution).
Le Rapport donne une vision assez complète de tous les champs des discriminations homophobes et transphobes et identifie des domaines d’actions très divers : contre les discriminations sur le lieu de travail, à l’école, en matière de santé, en matière de famille, de libre circulation, en matière de liberté d’expression, de droit d’asile. Les discriminations en raison de l’identité de genre doivent désormais faire l’objet d’une prise en compte systématique au même titre que l’orientation sexuelle, de même qu’est introduite la question émergente des « personnes intersexuées ». Et il pose la question de l’intersectionnalité des discriminations avec la visibilité des femmes lesbiennes. L’un des principaux points positifs du Rapport Lunacek est qu’il continue à vouloir inscrire la lutte contre l’homophobie et la transphobie dans un cadre universaliste, à travers le projet de directive de lutte contre toutes les discriminations. Ce projet a été maintes fois rejeté depuis 2004 du fait de l’opposition notoire d’Angela Merkel qui choie son électorat conservateur et endosse le refus du patronat allemand qui craint d’être amené à dépenser quelques euros dans la mise en œuvre effective de la lutte globale contre toutes les discriminations (notamment en milieu professionnel) par des dispositifs « trop contraignants ».
Cette victoire sur les réactionnaires ne doit cependant pas occulter que si le Rapport Lunacek recommande toute une série d’actions utiles, son adoption tient au fait qu’il propose une vision limitée au consensus social-libéral qui dicte la ligne des institutions européennes et qu’il reste timoré en matière d’actions positives pour l’égalité des droits (couples, familles, droit à l’autodétermination de son identité de genre à l’état-civil). Le Rapport s’en tient pour l’essentiel au domaine des droits négatifs à la non-discrimination, alors que l’égalité des droits positifs est l’un des principaux moteurs d’une lutte effective contre l’homophobie ou la transphobie. De ce point de vue, la résolution 1728 d’avril 2010 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (elle non plus non contraignante) portait des revendications plus ambitieuses car elle se plaçait dans une perspective de droits humains universels. Par exemple, concernant la diversité des modèles conjugaux et familiaux, la résolutionprône la reconnaissance mutuelle entre Etats-membres des différents dispositifs de couples là où il y en a… mais le principe même l’égalité des droits entre couples homos et hétéros n’est pas énoncé comme faisant partie d’une feuille de route contre l’homophobie. La filiation comme parentalité sociale protectrice et non-discriminatoire au service de tous les enfants quels que soient leurs parents (et non uniquement la question des couples), n’est pas abordée en tant que telle comme évolution souhaitable par les Etats-membres et, bien sûr, le Rapport ne dit mot de l’accès aux techniques de la PMA pour les femmes lesbiennes. Quant à la question des personnes transgenres, le Rapport revendique certes auprès de l’OMS une classification dépsychiatrisée et dépathologisée… mais tout en continuant à demander une classification comme « trouble non pathologique ». Et la question du droit au libre changement d’état-civil (CEC) n’est pas abordée comme un impératif de droit humain universel. Elle est juste abordée, en creux, à travers une « évaluation des conséquences des restrictions applicables au CEC des personnes transgenres » en matière du droit de liberté de circulation au sein de l’UE, et non par une condamnation en tant que telles de ces restrictions.
Cette Résolution est en bien des points illusoire quant à son efficacité réelle, dans le contexte d’austérité et de libéralisme économique prônée par cette même Union européenne. Ainsi, la résolution pointe les discriminations au Travail et envisage pour principale mesure le suivi de l’application de la directive de 2000, mais dans le même temps l’UE prône des politiques libérales qui cassent les législations du travail protectrices des salariés et au contraire accentuent la concurrence de tous contre tous qui font le lit des discriminations et harcèlements en milieu professionnel. Le paragraphe sur la Santé ouvrirait sur le papier la voie à un chantier ambitieux en matière de droit à la santé sexuelle en fonction des différentes orientations et pratiques sexuelles mais à l’heure des programmes d’austérité et des coupes budgétaires imposées dans toute l’Europe, par la Troïka de la Zone euro et les gouvernements libéraux ou sociaux-libéraux consentants des Etats-membres, il est illusoire de penser à une véritable politique de santé publique (prévention et offre de soins) intégrant les questions de santé sexuelle et d’égalité des droits des différents publics LGBT du système de santé. On le voit déjà, à des degrés divers, dans tous les pays affectés par les politiques d’austérité en Europe (Grèce, Espagne, France…) : démembrement des financements aux établissements de santé publique et suppressions d’aides aux associations engagées dans la lutte contre le Sida et les infections sexuellement transmissibles.
Le Parti de Gauche a participé activement avec ses partis-frères européens à l’adoption d’une motion sur les droits LGBT en Europe, par le Congrès du Parti de la Gauche européenne (PGE) de Madrid en décembre 2013. Cette motion fixe la propre « feuille de route » de la Gauche européenne sur l’agenda européen à venir. Elle place la lutte des droits LGBT non seulement sur le terrain des droits négatifs à la non discrimination mais aussi sur celui des droits positifs (notamment : égalité des droits des couples, des familles et des enfants, filiation non biologique, accès à la PMA et droit à l’autodétermination de l’identité de genre) ainsi que sur le terrain de la lutte contre l’austérité économique pour l’effectivité de l’égalité des droits civils formels.