La «règle d’or», règle des ânes

Pour Jacques Généreux, professeur à Sciences-Po, qui publie une version enrichie de « Nous, on peut ! Manuel anticrise à l’usage du citoyen », la « règle d’or » est une ineptie idéologique doublée d’une mise en cause de la démocratie.

Genereux
Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) institue la fameuse règle d’or de l’équilibre budgétaire. Elle impose aux Etats d’inscrire dans leur loi, et de préférence dans leur Constitution, l’obligation de limiter à 0,5 % du PIB leur déficit structurel, c’est-à-dire le déficit hors variations conjoncturelles. La Commission européenne est chargée de mesurer le niveau des déficits structurels et de signaler tout dépassement illégal. Si un pays viole la règle d’or, les autres Etats signataires du TSCG peuvent, sur proposition de la Commission, saisir la Cour de justice européenne qui a la possibilité d’imposer au pays concerné une amende allant jusqu’à 0,1 % du PIB (2 milliards d’euros pour la France, par exemple).

Cette règle d’or est d’abord une renonciation pure et simple à la démocratie. Fidèles au penchant dictatorial qui les inspirait déjà dans l’élaboration du traité constitutionnel européen, puis dans la ratification sans référendum d’un traité identique à celui rejeté par trois peuples souverains, les gouvernements signataires du TSCG veulent que, désormais, le vote des électeurs n’ait plus aucune prise sur l’orientation rigoriste de la politique budgétaire. Quel que soit le résultat des élections à venir, un gouvernement ne pourra appliquer que la politique budgétaire unique fidèle à un dogme néolibéral unique. Une autre politique sera considérée comme un délit punissable par des magistrats internationaux.

La règle d’or est ensuite une règle des ânes en économie politique ! Imposer un quasi-équilibre permanent des comptes publics, en dehors des déficits conjoncturels engendrés par les récessions, revient à considérer qu’en temps normal toute dépense publique supérieure aux recettes courantes est un mal en soi, que l’endettement est en soi un moyen de financement condamnable ! C’est là évidemment une ineptie. Sans dette, les économies modernes n’existeraient tout simplement pas. Dans toute économie développée, le secteur des entreprises, considéré globalement, est en déficit permanent, en raison des dépenses d’investissement étalées dans le temps.

Ce déficit n’apparaît pas dans la comptabilité privée, car celle-ci n’inscrit pas en charges de l’année la totalité des dépenses engagées dans l’année : les investissements sont répartis sur plusieurs exercices et seule une fraction des sommes investies est comptée en charges de l’exercice en cours (l’amortissement). En revanche, les règles de la comptabilité publique exigent l’inscription au budget de toutes les sommes dépensées par l’Etat dans l’année. Appliquez cette convention aux entreprises privées et, alors, celles-ci sont en déficit permanent, quand tout va bien, c’est-à-dire quand elles investissent.

On ne parle jamais d’une « dégradation » des comptes privés quand les dépenses d’investissement creusent le déficit privé. Or la seule différence entre ce déficit privé et son jumeau public est de n’être pas appelé « déficit ». Si le déficit et l’endettement privé peuvent jouer un rôle positif pour l’économie nationale, il en va de même pour la dette publique finançant les investissements publics. Si l’on se réjouit de voir nos entreprises investir et dépenser dans l’année plus d’argent qu’elles n’en gagnent, il n’y a aucune raison économique de s’alarmer quand une administration publique étale ses dépenses d’investissement dans le temps.

Il y a en revanche une vraie raison politique, à peine masquée, derrière la règle d’or. Ses partisans ne veulent pas d’un Etat qui persiste à investir dans l’éducation, la santé, la recherche, le logement, les transports collectifs, la sécurité, etc. Ils souhaitent que toutes ces activités productives soient confiées à des entreprises privées, pour étendre la part de la vie sociale qui est ouverte à la libre course aux profits marchands. Tel est le projet strictement politique que d’aucuns tentent de maquiller en bon sens économique. Mais le fard appliqué ici pour maquiller la réalité est vraiment trop grossier pour passer inaperçu. D’autant que la règle d’or est une ânerie économique pour une autre raison encore.

Si, par malheur, le TSCG entrait effectivement en vigueur et si les gouvernements européens s’efforçaient vraiment de ramener leur solde structurel vers l’équilibre – tous ensemble dans une Europe déjà largement touchée par la récession –, ils ne réussiraient qu’à provoquer une dépression durable et générale dans l’UE et, ce faisant, ils n’atteindraient jamais leur objectif d’équilibre budgétaire.

Article paru dans « Marianne 2 » le 21 septembre 2012

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